Notre entrée s’annonce : une dariole d’aubergine, façon pièce montée, avec purée de poireaux, aubergine confite et caviar d’aubergine, sauce aux poivrons et tomate confite. Le resto se remplit. On entend le brouhaha des conversations, le cliquetis des couverts. Les tables parlent. Notre conversation reprend. Mes invitées m’invitent à me présenter à mon tour. Je m’exécute. Beaucoup trop longuement, sans doute, car mon enthousiasme naturel m’amène à détailler un de mes engagements associatifs, L’Industrie Magnifique – pour laquelle j’avais d’ailleurs fait connaissance avec la DRAC il y a 18 mois. Mes invitées me prennent à mon propre jeu et me bombardent de questions. Et puis le débat s’élargit : le rapport de l’art et de l’industrie, la place de l’art dans l’espace public, l’industrie et le territoire…
Le plat du jour nous est servi, un pavé de julienne, avec asperges – les premières asperges qui ont pointé le bout de leur nez – et sauce vierge relevée aux épices. Un petit bonheur. Le service est prévenant. Anne Mistler et Pascale Richter partagent quelque chose de très important : depuis 10 ans, elles ont créé un petit groupe de réflexion, informel, de 7 personnes, toutes de professions différentes, qui ont toutes la même passion pour la ville, en particulier celle qu’elles habitent, Strasbourg. « On se voit tous les mercredis matins. On est très heureux de le faire », explique Pascale. « On a été étonné que ça dure. Et ça dure depuis 10 ans ! », s’exclame Anne. « Je l’appelle ma petite université, elle me nourrit incroyablement. C’est un véritable partage de curiosités, avec un vrai équilibre de parole », confie Pascale. « On est tous très liés maintenant », avoue Anne.
Le groupe s’appelle Wasistdas, parce qu’il s’efforce de « regarder la ville d’en-haut », comme depuis cette petite fenêtre sur le toit, en se demandant « qu’est-ce que c’est ? » Qu’est-ce que la ville ? Qu’est-ce qui fait une ville ? Comment peut-elle évoluer ? Il est né au moment des Assises de la Culture en 2008, pour « aller un peu plus loin, poursuivre la réflexion et l’échange, partager nos manières de voir », sur le mode des Stammtisch.
Wasistdas se réunit tous les mercredis à 8h. Durant une heure. Toujours au même endroit, un bistrot un peu hors du temps – « On est très attachés à la serveuse. » Là, toutes sortes de sujets sont abordés, souvent par l’anecdote ou le récit d’un voyage, d’une lecture récente ou d’un spectacle vu par l’un ou l’autre. Et puis sept regards différents se croisent et s’enrichissent. Et au bout d’une heure, chacun rejoint ses activités.
Le groupe reste assez clos, malgré de nombreuses demandes d’adhésion, mais accueille un invité de temps en temps. « Robert Hermann est venu nous parler un mercredi matin à 8h, révèle Pascale, parce que nous voulions mieux comprendre ce qu’est l’Eurométropole qu’il préside. » Wasistdas organise parfois de petites manifestations, comme lors des dernières élections municipales : « On a promené les candidats dans un mini-bus, chacun leur tour. La conversation s’engageait depuis des lieux qui posaient question quant au devenir de la ville. Le candidat en choisissait un, nous en choisissions deux autres. » Le groupe est intervenu à plusieurs reprises dans le cadre d’Ososphère, « un programme d’actions autour des cultures du numérique et du renouvellement de forme de la ville », développé depuis 20 ans à Strasbourg.
Je demande quels sont les projets de Wasistdas. « On réfléchit, mais c’est un peu trop tôt pour le dire… », lance Anne. Mystère et patience alors. Silence. Paroles de couverts. On mange avec appétit. Je capte des bribes de conversation des tables voisines…