Les Jardins de Gaïa : histoires de thés

Depuis l’ouverture de la Maison de thé en 2004, les Jardins de Gaïa invitent les amateurs à déguster un grand cru ou une de leurs compositions dans un havre zen. Il y a tout juste un an, la marque a décidé de familiariser un peu plus le public avec cette plante sacrée, en confiant à Sarah Albertini la création d’une École du thé. Immersion.

La séance s’ouvre par un petit cours. Si elle a renoncé à devenir enseignante pour se consacrer à sa passion du thé, Sarah Albertini n’en reste pas moins un très bon professeur. Elle nous apprend ce qu’est un cultivar (variété obtenue par sélection, pour ses caractéristiques uniques), qu’il existe une surprenante plantation de thé (plante pourtant tropicale) en Écosse, que les dinosaures en ont peut-être brouté puisqu’il est apparu il y a 70 millions d’années, et qu’avant d’en découvrir l’infusion, les Chinois l’utilisait pour agrémenter leurs soupes. Les petites feuilles vertes du camellia simensis, dont on fait la boisson la plus bue dans le monde après l’eau, cachent de nombreuses histoires et légendes.

Après la théorie, la pratique. Devant nous se déclinent toutes les nuances de thés natures, du blanc au sombre (Pu- ehr), en passant par les classiques thés verts et noirs et les méconnus jaunes et bleu-vert. La plante est complexe, et déguster un bon thé ne s’improvise pas. La température est minutieusement relevée, les thés blancs, verts et jaunes se révèlent à basse température (75-80°C) tandis que les thés noirs, sombres et wu-long (thé bleu-vert) ont besoin de chaleur (95°). L’eau ne doit jamais être bouillonnante, au risque de casser et dénaturer la feuille. Le temps d’infusion est scrupuleusement respecté : 3 à 4 minutes pour les thés verts, noirs et sombres, 5 à 7 minutes pour les blancs, jaunes et wu-long.

Les gestes sont calibrés. Au son des minuteurs, il faut être rapide et précis pour faire s’écouler la « liqueur » des pots à infuser dans les tasses. Chaque détail compte pour que toutes les saveurs se révèlent. À la manière d’un œnologue, on goûte, compare et tente de mettre un nom sur ses sensations. Je perçois des notes florales ici, iodées là. Ai-je raison ? Là n’est pas vraiment la question, l’important est de percevoir toutes les richesses et les arômes subtils que dégage cette plante.

Dernière étape pour finaliser mon intronisation : apprendre à le servir dans les règles de l’art. Nous voilà prêts pour le Gong Fu Cha (service traditionnel chinois) et le Cha No Yu (son pendant japonais), où il s’agit de se laisser guider par ses sens. Je sens entre mes mains la chaleur du pot à infuser et la douceur de la porcelaine fine. J’écoute le bruit de l’eau qui circule de la bouilloire à la théière et de la théière à la tasse, et le son de cette « petite dinette » qui s’entrechoque. J’observe les feuilles et les bourgeons s’ouvrir dans l’eau.

Il était une fois le thé

J’hume les vapeurs s’échappant des pots. Enfin je découvre les saveurs qui évoluent à chaque gorgée.
D’un service à l’autre, les variétés de thés et les noms changent mais le principe reste le même. Les ustensiles sont raffinés et manipulés avec soin, les gestes sont codifiés, mais il ne s’agit pas là d’une cérémonie. Dans la tradition chinoise comme japonaise, tout est pensé pour libérer de nouveaux arômes à chaque infusion. Prendre le thé est un moment de détente et de partage où l’on se concentre sur ses impressions et l’on s’enquiert de celles des autres.

Jusqu’à mon passage par l’École des Jardins de Gaïa, je pensais être amatrice de thé. Et puis j’ai réfléchi à quoi ressemblait mon rituel personnel : mettre la bouilloire en marche ; attendre que l’eau chauffe à mon bureau ; l’oublier ; le constater une heure après ; relancer la bouilloire ; remplir mon mug et laisser flotter ma boule à thé comme un sous-marin ; abandonner l’infuseur au fond de la tasse et la délaisser sur un coin de mon bureau ; boire mon thé 30 minutes plus tard. Morale de l’histoire, je bois bien souvent du thé froid et trop infusé. Je me suis bien gardée de confier cela à Sarah Albertini. Désormais, quand je prendrai le thé, il ne sera plus question que de savourer l’instant, aussi précieux que le liquide au fond de ma tasse !

L’Empereur Shennong, divin patron de l’agriculture et de la pharmacopée, avait décidé de goûter toutes les plantes afin de distinguer les bénéfiques des toxiques.

Grâce à son corps transparent, il était capable d’observer directement leurs effets. Un jour que Shennong s’affairait à sa tâche, son corps devint entièrement noir et il s’écroula, empoisonné par une plante. Une feuille s’envola alors et tomba dans la marmite qui bouillait en permanence à côté de lui. Dans un dernier effort, il but cette eau dans laquelle la plante alors inconnue avait infusée. Son corps redevint transparent et il put se redresser.

Cette feuille qui le sauva provenait d’un théier sauvage sous lequel il était tombé. Depuis ce jour, le thé est consommé pour ses vertus médicinales, détoxifiantes, stimulantes et apaisantes.


Par Marine Mai
Photos Pascal Bastien

Les Jardins de Gaïa
6, rue de l’Écluse à Wittisheim
La page de l‘École de thé