Sautter, le jardin d’Eden

Si vous faites un tant soit peu attention à ce que vous consommez, vous détournant des produits industriels marketés et que vous avez récemment trempé vos lèvres dans un jus, qu’il soit de pommes, de poires ou de raisins, mélangés peut-être à des cassis, des mirabelles ou des coings, bu un jus de tomate, d’orange ou d’ananas, alors il y a de fortes chances pour que vous ayez consommé l’un des produits de la marque Sautter de Sessenheim, tant l’entreprise est ancrée dans le paysage et ses jus pressés disponibles du nord au sud de l’Alsace depuis plus de 130 ans.

Depuis plus de 130 ans, la marque Sautter propose ses jus pressés dans toute l’Alsace mais aussi à l’étranger. © Christoph de Barry

On pourrait presque arguer que c’est l’absence de vignes, dans ce nord Alsace mésestimé, qui est à l’origine de la création, par Eugène Sautter en 1888, de l’entreprise de négoce en vins et production de cidre à l’emplacement du site actuel. Car à défaut de vignes, la plaine du Rhin regorge de vergers. Des pommes, il y en a même tant qu’on aurait beau croquer dedans à toute heure du jour et de la nuit, qu’il en resterait encore… Seule option : les presser ! Et laisser la nature opérer, afin de transformer le jus en cidre à une époque où le recours à la pasteurisation, fraîchement brevetée quelques années plus tôt, n’a pas encore intégré les process industriels, pas plus que la consommation des jus celle des ménages.

«C’est dans les années 1950 qu’une campagne du ministère de la Santé en faveur de la consommation des jus de fruits va modifier la donne», explique Nathalie Sautter-Schutz, arrière-arrière petite fille du fondateur à la tête de l’entreprise avec son mari Jean- Baptiste depuis cinq ans. Ses grands-parents Ernest et Yvonne attrapent donc la balle au bond et créent aussitôt la marque Pom’or qui se spécialise d’abord dans la production de jus de pommes, puis rapidement étend son activité aux fruits rouges avant d’élargir sa gamme aux jus plus exotiques.

Tant et si bien que l’entreprise finira par fusionner avec la cidrerie pour s’appeler en toute logique Sautter-Pom’or.
Un filon suivi à son tour par Frédéric, père de l’actuelle dirigeante qui reprend l’entreprise en 1986 avec sa sœur Anne-Lise et son épouse Anne-Marie. «Mes parents ont modernisé l’outil de production», assure Nathalie. Sautter produit aujourd’hui quelques 2,5 millions de bouteilles par an ce qui représente pas moins de 1 500 à 2 000 tonnes de pommes. Toutes en provenance d’arboriculteurs amateurs ou professionnels des environs. Des pommes d’Alsace vendues au poids ou rétrocédées à tarif préférentiel à raison de 63 bouteilles pour 100 kilos.

Sautter produit aujourd’hui 2,5 millions de bouteilles par an. © Christoph de Barry

200 variétés de pommes, au moins…

Dès leur arrivée, les fruits sont pesés, mis en commun, lavés, pressés et stockés dans d’immenses cuves en inox qui ressemblent à s’y méprendre à celles que l’on trouve dans les caves coopératives du sud de la région. « Nous pressons les pommes quand c’est la saison. Ensuite, nous embouteillons au fur et à mesure des besoins et pics de consommation, comme autour de Noël ou en été», explique la dirigeante. Ce sont ainsi près de 200 variétés de pommes, dont certaines typiques de la région, qui entrent dans la composition des jus Sautter. Une diversité qui fait leur richesse et permet d’obtenir un équilibre dans le goût, quels que soient l’année et l’ensoleillement.

Au-delà des jus de pommes filtrés ou troubles – un des favoris, tant il conserve intacte la saveur du fruit – Sautter presse et commercialise une cinquantaine de variétés en jus, nectars, sirops, boissons. Fruits locaux ou exotiques, jus de légumes…. Même le cidre poursuit sa lancée depuis que son image modernisée s’est échappée de la crêperie. « Notre cidre est très différent du breton », détaille d’ailleurs Nathalie Sautter formée à l’école hôtelière puis en marketing. «Aujourd’hui, nous en exportons même en Allemagne et en Russie». Autre corde à leur arc, la prestation à façon qui s’est développée en même temps qu’a explosé le nombre de magasins de vente à la ferme : « Nous pressons leurs pommes et y apposons leurs étiquettes. »

Chez Sautter, l’essentiel de la production est toute-fois écoulée dans la région en grandes surfaces, au sein des dépôts de Gresswiller et Schaeffersheim ou dans le magasin de vente de l’entreprise qui réunit autour des jus maison un certain nombre de produits amis, essentiellement alsaciens, mais aussi du jus de pruneaux en provenance du Sud-Ouest.
À la pointe, Sautter l’est aussi en matière de développement durable. Impliquée de longue date dans la consigne — celle-ci représente 70% de sa production — l’entreprise est équipée de sa propre station d’épuration tandis que le marc, résidu de peau et de pépins, est valorisé auprès d’un agriculteur du coin.

Nathalie Sautter, dirigeante © Christoph de Barry

Comment distinguer un jus, d’un nectar ou d’un sirop ?

« Tout ceci est parfaitement codifié », explique Nathalie Sautter-Schutz. Ainsi les « purs jus » n’ont le droit de porter ce nom que s’ils sont « sans ajout de sucre ni d’eau.» Le fruit à l’état pur, donc. Simplement pasteurisé pour en garantir la conservation. Les nectars, au contraire, nécessitent l’ajout d’eau car après pressage : « on obtient une purée plutôt qu’un jus, à l’instar de l’abricot. » Quant aux jus à base de concentrés, ceux-ci s’expliquent par la provenance lointaine des fruits pressés sur leurs lieux de production. Déshydratés une fois cueillis, ils sont alors simplement réhydratés sans ajout d’additifs lors la mise en bouteille, comme pour l’orange ou l’ananas.

Une nouvelle gamme de jus d’exceptions : Apfel

Rançon du succès due à l’augmentation progressive de la demande : le manque de place.
Avec ses 18 employés, Sautter est aujourd’hui à plus de 80% de sa capacité de production. Un projet d’agrandissement des lieux de stockage permettant par effet de vases communicants d’accroître les lignes de production est d’ores et déjà en projet. Presque une nécessité à l’heure où l’entreprise historique, par ailleurs très présente chez de nombreux restaurateurs, vient de lancer une nouvelle gamme de jus d’exceptions baptisée Apfel. Des jus tranquilles ou pétillants imaginés pour accorder les palais en quête d’associations nouvelles aux plaisirs gastronomiques. Jolis flacons de 25 cl aux contenus subtilement classiques (pomme-coing, pomme-mirabelle de Lorraine, pomme Golden, etc.) à marier avec un foie gras, des crustacés, une viande rouge ou un camembert, selon l’envie!

Sautter l’a compris depuis longtemps, la pomme est assurément un produit d’avenir. Ne dit-on pas d’ailleurs que d’en consommer régulièrement serait gage de bonne santé ? Ce n’est assurément pas Ernest, 102 ans, grand-père de Nathalie qui vous soutiendra le contraire !


Sautter Pom’or
13, route de Strasbourg à Sessenheim


Par Jibé Mathieu
Photos Christoph de Barry