Parfum Culte : Youth Dew d'Estée Lauder, 1953 - Illustration : Laetitia Gorsy

Youth Dew d'Estée Lauder, 1953

Portez Youth Dew lors d’un premier RDV et vous tuez votre idylle dans l’œuf : il ne rappellera jamais. Croisé au détour d’une recherche pour cette chronique, ce commentaire lucide laissé par une internaute sur un forum consacré aux parfums confirme ce que nous avons écrit ici même à maintes reprises, peut-être ad nauseam : le parfum a toujours reflété avec justesse l’image qu’une société et une époque se font de la femme. Quelques remarques de mon entourage ont confirmé combien ces parfums ultra-capiteux sont aujourd’hui incompris, ou semblent en tout cas réservés à une clientèle de plus de 40 ans. Et que le temps est toujours aux fleuris légers, sucrés, délicats et discrets.
Pourtant, Youth Dew est depuis sa création l’un des parfums les plus vendus aux États-Unis. Il a connu le succès dès son lancement, en 1953, par la toute jeune marque d’Estée Lauder, fondée en 1946. Avec le premier parfum de cette maison, c’est l’Amérique qui fait une entrée fracassante sur un marché dominé par les maisons françaises. Mais surtout une entrée fort habile.

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À l’époque, l’usage veut que le parfum (forcément français) soit offert à la femme par son mari. Estée Lauder veut un parfum que les femmes s’offrent elles-mêmes, ce qui est parfaitement inconvenant. Elle crée d’abord, avec la parfumeuse Joséphine Catapano, une huile pour le bain. Le nom, Youth Dew (rosée de jeunesse), évoque un fleuri propre comme on les aime à l’époque, et s’avère parfaitement trompeur : dans le flacon, le jus est surpuissant et très exotique. Un départ d’agrumes, un cœur opulent de fleurs (rose, jasmin et le piquant œillet) et d’épices (cannelle et clou de girofle, surtout), vanille, benjoin et beaucoup de patchouli : Youth Dew est une liqueur envoûtante, résineuse, gourmande comme un pain d’épices mais qui claque comme un chypré. Si une regrettable reformulation intervenue en 2012 lui a fait perdre de sa subtilité, et donc de sa superbe, il reste épicé, chaud, terreux et humide, à la fois rassurant et sensuel. Inspiré du Tabu de Dana (1932, qualifié par ses créateurs de « parfum de puta ») et ancêtre très direct d’Opium d’YSL (1977), Youth Dew évoque plutôt la diva hollywoodienne vénéneuse que la mère de famille puritaine de banlieue. Ce parfum, créé par des femmes pour des femmes qui devaient enfin pouvoir choisir pour elles-mêmes, veut ménager un espace de liberté, certes restreint, aux desesperate housewives des 50’s. Et leur offrir d’imposer, par leur sillage, leur présence. On se dit que le vent qui souffle aujourd’hui lui redonnera peut-être, ainsi qu’à tous ses congénères jugés aujourd’hui trop capiteux, une nouvelle jeunesse…


Parfum disponible au Galeries Lafayette


Texte : Sylvia Dubost
Illustration : Laetitia Gorsy