Felizitas Diering, désirs et d'échanges

Felizitas Diering vient d’être nommée à la tête du FRAC (Fonds régional d’art contemporain) Alsace à Sélestat. Après avoir dirigé la Regionale, cette Fribourgeoise débarque en France avec l’envie d’un lieu où l’on prend le temps, notamment celui de l’échange. Rencontre.

À première vue, Felizitas Diering a tout du cliché de la beauté germanique. Elle est aussi grande que blonde, sans fard, directe et tranquille. On l’imagine volontiers courir dans la montagne et dans les vignes. Ce qu’elle fait d’ailleurs, de Freiburg à Sélestat, parce que « ce sont là que les idées viennent », parce que « nature et culture sont inséparables. Une continuité dans les paysages et dans les êtres : l’agriculture, la viticulture, l’animal et l’humain. » Il y a dans la façon dont Felizitas Diering envisage l’art quelque chose d’organique, de puissant et de direct. D’ailleurs, l’une des œuvres qui l’a marquée est une installation de Tino Sehgal au Palais de Tokyo : « Il y avait une salle totalement obscure avec une musique faite à partir de corps humains. On ne savait plus qui était acteur ou spectateur, c’était un mélange de perceptions. L’art visuel contemporain devient immersif et joue avec tous les sens. »

Alors, est-ce à dire que l’œuvre doit parler directement, sans médiateur, à celui qui regarde ? Comment penser la médiation dans un lieu comme le FRAC, proposer un regard sans l’imposer ? Felizitas Diering a des réponses limpides à ces questions parfois si complexes. « Les œuvres ne sont pas universelles : quelque chose qui me parle ne parlera pas forcément à quelqu’un d’autre. Être en échange ne veut pas forcément dire « expliquer les œuvres ». Si quelqu’un a envie de parler de l’œuvre, on peut tout simplement être là, en écoute, en réception. L’art est aussi un ralentissement du regard. »

Envisager le FRAC comme un lieu d’échanges, d’accompagnement, de réceptacle, de proposition. C’est avec la même tranquillité éclairée qu’elle décrit ce qui, à ses yeux, peut être un rôle de commissaire artistique. Elle y voit des choix faits dans l’échange, avec la connaissance des archives et le processus des souvenirs, mais aussi avec la fraîcheur de regards neufs. Pas l’autorité absolutiste d’un regard supérieur. Pourrait-elle, dans ce cas, envisager un commissariat d’exposition fait en dialogue direct avec le public ?

« Ce serait sans doute difficile. On a vu ça en 1967 à Bâle où les habitants ont décidé que la ville allait acheter des Picasso avec des fonds publics, par votation. Mais Bâle est une ville qui a déjà cette culture-là. »

Née en 1982 en RDA, Felizitas Diering connaît à la fois la dureté des frontières et leur porosité. Sans angélisme, elle pense qu’un monde sans frontières est une utopie. Alors il faut s’organiser, concrètement, pour faire bouger les gens. Car c’est par la fréquentation mutuelle que le désir s’installe.

« J’aimerais inviter les publics allemands et suisses à Sélestat. Les gens se déplacent plutôt pour des choses qu’ils connaissent déjà. Si les gens ont vu un artiste à Freiburg, ils se déplaceront plus volontiers pour aller le voir à Bâle. Il faut penser la médiation au niveau trinational, dans les différentes langues : les Allemands aiment beaucoup la France, mais ils ne parlent pas tous le français. On peut faciliter les contacts et les coopérations. Avec la Regionale, quand nous organisions des bus de Bâle à Strasbourg, les gens venaient. Une fois qu’ils connaissent les lieux, ils reviennent plus facilement. »

C’est aussi l’idée de sa coopération en cours d’élaboration avec Marie Griffay (nouvelle directrice du FRAC Champagne-Ardenne) et Fanny Gonella (nouvelle directrice du FRAC Lorraine) : échanger sur les choix d’achats artistiques, mais aussi penser les coopérations, mutualiser, créer de nouveaux outils pour accompagner les artistes dans leur processus créatif. Chemin faisant.


Par Marie Bohner
Photo Klara Beck