Statues Haguenau © Frantisek Zvardon

Dans l'objectif de Zvardon

Frantisek Zvardon continue inlassablement et avec la même passion son exploration de l’Alsace. Il a récemment publié deux ouvrages de photographies, magnifiques de sensibilité et d’acuité pour découvrir ou réinventer Haguenau et Wissembourg. En Alsace, où il oeuvre depuis longtemps, il est une figure connue et reconnue, comme en atteste le Grand Prix de l’Académie d’Alsace, qui vient de lui être décerné pour l’ensemble de son oeuvre.

Frantisek Zvardon

C’est peut-être cela un photographe : il ne m’a jamais vue, mais à peine a-t-il franchi la porte du café rempli de monde, qu’il me reconnaît immédiatement. Il voit que c’est moi qui l’attends pour cette interview. Cela va sans dire, il a l’œil, Frantisek – très bleu d’ailleurs. Un signe de la main, un sourire, il vient s’installer à ma table. Inutile de nous présenter, nous sommes déjà complices. Moi, je connais son visage, bien sûr. Vernissages, dédicaces, photos et articles de presse, événements… Son jus d’orange est servi, le sourire est toujours là, on peut commencer.

Ces deux livres font partie d’une collection. Quelle est son origine ?
Tout a commencé avec le sommet de l’Otan en 2009. Il s’agissait d’imaginer un cadeau pour les chefs d’états et autres personnalités, et comme la photographie est un langage universel, Strasbourg m’a demandé de faire un livre sur la ville qui accueillait l’événement. Le succès de ce livre m’a donné envie, avec les Editions du Signe, de prolonger l’aventure avec d’autres villes, Metz, Clermont Ferrand… puis avec la cathédrale de Strasbourg . Dans cette collection, je travaille en totale liberté. Je n’ai pas de liste de monuments ou de lieux à photographier pour des raisons promotionnelles ou touristiques. J’exprime ma propre vision de la ville.

Vous avez réalisé de nombreux livres sur l’Alsace. Connaissiez-vous Haguenau et Wissembourg ? Comment se font vos choix de prises de vue ?
Oui, je connaissais ces deux villes pour m’y être promené, y avoir fait un tour dans les cafés, les librairies. J’en ai arpenté les ruelles, les places, les églises … mais je ne les avais pas regardées avec la vision ciblée du photographe. Je les avais aussi survolées en hélicoptère.

Lors du repérage, je suis comme n’importe quel visiteur, et parfois je ne prends même pas mon appareil. Je cherche des lieux, des lumières, des choses que j’ai envie de partager – avec attention et détachement. Je me laisse porter par la beauté architecturale, l’histoire, la nature. C’est toujours très difficile de trouver la frontière entre l’utile et le beau. J’aime rencontrer une ville, trouver son visage – un visage réaliste, quasi universel, que les gens puissent reconnaître et s’approprier. Dans ce que je montre, j’essaye d’apparaître le plus discrètement possible (ou de disparaitre ?). Il ne faut pas encombrer. Heureusement, j’ai aussi été guidé. Par un historien à Wissembourg, Bernard Weigel, et la chargée de communication à la ville de Haguenau, Anne Constancio. Sans me perturber dans ma propre découverte, ils m’ont ouvert des portes, montré des choses que je n’aurais pas trouvées seul, comme la prison dans la tour à Haguenau, les cloches…. Ils me disaient : « peut-être que cela vous plaira ou vous intéressera … » C’était parfait et je les en remercie.

Haguenau. © Frantisek Zvardon

Que cherchez-vous à montrer dans vos livres ?
Je cherche à montrer de la beauté. Je le dis pour Haguenau et Wissembourg comme je le dirais pour l’Afrique. Même la Place de l’Homme de Fer à Strasbourg peut être belle ! Je peux le montrer, je l’ai fait, et c’est cela ma fonction. Mes photos doivent être compréhensibles par tous. Le but de mes livres n’est pas de s’interroger, de se torturer l’esprit. Mon objectif est d’apporter de l’harmonie et du bonheur. J’essaye de rendre les lieux séduisants, tout simplement parce que ça fait du bien . Ca peut même guérir aussi. Un jour une femme m’a raconté qu’elle avait offert mon livre Bleu de Terre sur des paysages vierges dans le monde à son fils hospitalisé et qui ne parlait plus. En regardant les photos, ses premiers mots depuis 7 mois auraient été « c’est ça que je voudrais ». Cette histoire m’a bouleversé.

Quelles sont les contraintes liées à votre travail ?
La principale contrainte pour réussir une photo, c’est le temps. Le temps de repérer le potentiel d’un lieu, le temps pour l’imagination de construire l’image et préciser la composition, le temps d’attendre (des jours parfois !) la météo idéale et la lumière exacte. Je fais au moins une cinquantaine de clichés de chaque endroit pour choisir ensuite les cadrages en fonction du livre. C’est très long, la photographie. Or la société d’aujourd’hui exige des délais, et il faut faire avec, alors que le livre va vivre longtemps. Pour photographier la ville, il y a aussi un problème très concret, celui de la pollution visuelle : les voitures qui encombrent les rues (j’ai toujours besoin d’une échelle), les tags, les affiches collées partout, les logos agressifs sur de jolies façades …

Vous avez voyagé dans le monde entier. Est-ce que Haguenau et Wissembourg vous inspirent d’autres lieux que vous avez connus ?
Bien sûr, chaque lieu appelle toujours des références. À Haguenau et à Wissembourg, j’ai retrouvé un peu de Prague où je suis né, mais aussi d’autres villes des pays de l’Est. Il ne s’agit pas d’ensembles, mais de fragments aperçus ici et là, et qui la plupart du temps me rappellent et réveillent mon enfance. Un coin de verdure, une façade, une fenêtre, une ruelle … autour du canal à Wissembourg, on reconnaît de nombreux aspects des villes médiévales tchèques. A l’époque, les architectes, artistes et artisans voyageaient et échangeaient beaucoup, peut-être plus que maintenant. L’Europe existait déjà. C’est évident, l’Alsace a quelque chose de l’Est. D’ailleurs ici, c’est déjà l’Est pour les Parisiens, non ?

Haguenau © Frantisek Zvardon

Avez-vous une admiration particulière pour un photographe ?
Oui, mes idées restent en noir et blanc, et je me retrouve bien dans l’oeuvre photographique de Sebastiao Salgado, notamment ses photos humanitaires sur le Népal, le Tibet … Ce photographe franco-brésilien travaille principalement en argentique noir et blanc. On peut sentir son amour et son respect pour la nature et les êtres humains.

Où va le monde des images ?
L’image s’est démocratisée. Chacun peut s’improviser photographe avec les nouveaux matériels à disposition. Si je n’avais pas ce lourd caillou de l’expérience en héritage avec mon appareil, je me servirais de mon téléphone. Et je ne me suis pas non plus débarrassé de la lourdeur et du plaisir du papier imprimé. Lorsque le livre est réalisé, je ne le regarde plus jamais. Je me dis que j’ai matérialisé le bonheur – oui, même le bonheur ! – et que je vais encombrer le monde. J’aime la légèreté et la fluidité de la musique. On l’écoute et ça disparaît. Si j’en avais le courage, je ne publierais que sur les réseaux sociaux. Ça va, ça vient, ça circule, ça se partage, ça communique, la photographie vit. J’adore avoir des retours. Je reçois parfois de très beaux commentaires de personnes qui ont été touchées par les photos que j’ai publiées sur Facebook. Parfois de l’autre bout du monde, ce matin de Nouvelle Guinée. J’aimerais en faire quelque chose, un livre de textes et photos. On verra.

Haguenau. © Frantisek Zvardon

Quels sont vos projets ? Où allons-nous vous retrouver sur la planète ?
J’en ai des milliers ! Je suis terriblement curieux de nature, je veux toujours voir ce qu’il y a derrière la colline, et derrière la suivante … c’est sans fin. J’ai un besoin insatiable de découvrir, d’être surpris. Je voyage énormément et cela me permet d’avoir un regard différent et enrichi sur mon quotidien. Lorsqu’on reste au même endroit, on ne le voit plus.

L’origine de mon livre « Les Alsaciens » (Editions La Nuée Bleue 2009) se situe en Ethiopie chez les Surma qui pratiquent des peintures corporelles. J’ai simplement réalisé un jour qu’en Alsace on fait la même chose avec les costumes. Il s’agit aussi de décorer les corps. Depuis quatre ans, je travaille sur le Nord. Je dois certainement avoir des ancêtres Vikings. Les paysages de neige et de glace, les aurores boréales … tout cela me fascine. De l’Islande au Groenland en passant par l’Ecosse, je me sens chez moi. Enfin, un autre grand rêve que je compte réaliser, c’est la Cordillère des Andes. Sur 7000 km de long, je crois que j’ai de quoi m’occuper. Je me réjouis. Et bien sûr, en projet permanent, l’Alsace n’en finit pas de me captiver. Cette aventure-là est loin d’être terminée. Mais pour avancer, comme je vous l’ai dit, il faut partir – pour mieux revenir.

Il regarde sa superbe montre Zeppelin.
« Il est l’heure, je dois vous quitter. »

Wissembourg. © Frantisek Zvardon
Wissembourg sous la neige © Frantisek Zvardon

Haguenau et ses secrets – Wissembourg et ses secrets, 
Editions du Signe

Propos recueillis par Chantal Raiga
Photos Frantisek Zvardon