Vincent Munier, passeur d'émotions

Il possède le regard pétillant caractéristique à ceux qui n’ont jamais cessé de s’émerveiller. Vincent Munier est un passionné, un possédé tombé dans la photographie animalière dès l’enfance. Depuis, viscéralement exalté par le vivant, il part en exploration dans les lieux les plus sauvages de la planète saisissant, avec un regard empli d’humilité, la beauté fragile de ce qui nous entoure.

En contemplateur, du désert de glace de l’Antarctique aux plateaux rocheux du Tibet, il se camoufle dans le paysage et patiente, laissant les animaux s’approcher par eux-mêmes, capturant l’émotion d’instants fugaces qu’il tente de partager à travers ses photos et ses films. Lors de son dernier voyage au cœur de l’Himalaya, l’écrivain Sylvain Tesson l’a accompagné, voyageur empressé découvrant une autre façon d’envisager le monde, une manière plus lente et respectueuse où le temps est pris de regarder autour de soi, de lire le paysage et de s’y fondre. Dans le film La panthère des neiges, co-réalisé avec Marie Amiguet, Vincent Munier, raconte cette expédition mêlant émerveillement et excitation, une histoire où rien n’est écrit à l’avance, où la rencontre avec l’animal demeure incertaine.

Le film, La panthère des neiges est en salles depuis le 15 décembre. © Grégory Massat

Dans le film, vous confiez qu’on vous reproche parfois de ne photographier que la beauté.
Récemment, j’étais invité au festival Visa pour l’image à Perpignan où il n’y a que des photographes de guerre, de problèmes écologiques, de migrations dues à ces problèmes. Je pense que, même pour eux, d’avoir quelques respirations avec du beau faisait du bien. Les deux sont indispensables. Je ne pourrais pas faire leur travail, je suis déjà en grande souffrance par rapport au mal qu’on fait à la nature sauvage, à cette guerre qu’on a déclaré au vivant. On ne pense qu’à l’homme sans se rendre compte qu’il y avait plein d’autres êtres vivants et qu’on était tous interdépendants. Cela me pèse et j’apaise cette souffrance en allant voir le beau. Je ne pourrais pas aller photographier ce qui est horrible, je suis peut-être trop fragile ou sensible pour poser mes caméras sur ce qui est tragique. Mes parents m’ont ouvert les yeux sur la beauté du monde très tôt. Le fait d’avoir vécu avec la forêt pas loin, nos différentes activités dehors, ça joue beaucoup. Il doit me rester le fait de me nourrir de cette beauté. Dans le passé, j’ai fait un peu de photo de presse, j’ai travaillé à L’Est Républicain pendant trois ans, j’ai été confronté de temps en temps à des choses dures, comme la marée noire de l’Erika. Pour Terre Sauvage, je faisais des reportages sur la conservation de la nature, sur l’ensablement du fleuve Niger. Je suis aussi allé photographier les canidés les plus rares, les loups d’Ethiopie en Abyssinie pour aider les acteurs locaux à les préserver, parce qu’il y a une grosse pression démographique avec le bétail qui vient concurrencer les proies sauvages du loup. Je continuais à faire ça, en Antarctique aussi, des reportages où je mariais de grosses causes écologiques à la beauté. Les deux sont indispensables.

Susciter l’émotion par la beauté est-ce aussi une manière de sensibiliser à son aspect rare et fragile ?
J’ai envie d’être un passeur d’émotions. J’ai le privilège de vivre des choses que peu de gens ont l’occasion de vivre, c’est quelque chose qui est très égoïste mais c’est ma nourriture intérieure. Être dehors et me nourrir de la beauté, que ce soit dans les Vosges ou au fin fond du monde. Je me rends compte de cette situation privilégiée que la photo et la vidéo me permettent de partager. Mes émotions sont hyper fortes, ce que je vis sur le terrain est viscéral, cet émerveillement, cette connexion est d’une puissance qui m’est vitale. Je trouve ça super excitant et à la fois très dur de tenter de le partager.

"J'ai envie d'être un passeur d'émotions." © Grégory Massat

Pour le documentaire La panthère des neiges, c’était un gros travail d’essayer de transmettre ces messages forts, ces dialogues entre Sylvain et moi. Lui élève un peu le débat puisqu’il découvre qu’il ne connaît pas l’affût. Indirectement, le spectateur se met à la place de Sylvain, qui galère parce qu’il faut attendre, regarder des rochers où rien ne bouge. On a essayé de trouver le subtil équilibre entre les émotions très fortes de la beauté de ce que j’ai pu saisir en images animalières, de ce que j’ai pu tourner là-bas et puis de cet échange, c’était vraiment le but. Trouver cet équilibre et avoir ce fil conducteur qui était de voir cette panthère. C’est un prétexte mais c’est tout de même notre quête. Je pense que c’est plus dur d’émouvoir seulement avec une image fixe. Ça fait une dizaine d’années que je filme et c’est fabuleux. Jouer avec le son, la musique et l’image, c’est magique.

Face à la nature, vous êtes-vous déjà senti en danger ?
Oui, bien sûr. Je trouve que c’est primordial de se sentir fragile. J’aime ce sentiment de me sentir proie. On est une espèce qui a toujours voulu dominer les autres et je trouve que de temps en temps, se sentir potentiellement proie d’une bête, comme d’un ours, se sentir fragile, c’est important. J’ai eu souvent peur.

Lors du premier confinement, vous aviez publié un texte sur Facebook, avouant ressentir une certaine satisfaction à voir nos sociétés éprouver enfin leur fragilité…
C’est la première fois que j’entendais des hommes politiques ou autres prononcer le mot humilité. Humilité par rapport à ce qui arrive, ne pas savoir, ne pas connaître, c’était une chose positive. Évidemment je le dis tout doucement car il y a des gens qui souffrent de cette pandémie. Mais des fois, j’ai cette sensation qu’on est comme des enfants gâtés, on exploite, on bouffe, on maîtrise, on gère, tous ces mots que je ne supporte pas. C’est comme si cette pandémie nous avait mis une gifle, en nous disant : « Non ! Il faut cesser de prendre cette direction et essayer de composer avec tout le monde, de rétablir les équilibres à tous niveaux. » C’est quand même fou que plus on avance, plus les fossés, les déséquilibres sociaux se creusent. Alors oui j’avais un petit espoir, c’était la note positive avec cette pandémie de revoir un peu notre copie, de faire différemment, mais bon… On est repartis comme avant. Il faut consommer, acheter la dernière voiture. Les croisières en Antarctique, en Arctique, ça me dépasse, c’est une honte.

"J'aime ce sentiment de me sentir proie." © Grégory Massat

Dans le documentaire, Sylvain Tesson dit : « L’affût est un pari.» Vous partez à la quête d’un animal que vous ne verrez peut-être pas mais, pour vous ne pas le voir n’est pas un échec.
Pas du tout. Lors de mes trois premiers voyages, je n’ai pas vu la panthère des neiges, je n’ai vu que des traces et ces voyages étaient tout aussi forts. C’est ça qui est excitant dans la photographie, cette philosophie de vie où rien n’est écrit. Je suis un peu fou, un peu possédé, comme tout passionné. Dès que je suis dehors, je scanne tout, je veux que rien ne m’échappe. S’il y a une petite présence animale, je veux être là et l’observer. J’ai tous les sens en éveil, comme un animal. Quand je marche dans de grandes steppes, je me sens vulnérable, tout le monde me voit, alors qu’une panthère pas du tout, elle est tellement adaptée à son milieu, elle se coule, elle est comme un fluide, c’est extraordinaire.

C’est pour ça que j’utilise sa technique, j’essaye de me mettre dans la peau d’un animal, d’être caché, je l’ai appris très tôt avec mon père, dans les Vosges. Jamais on ne traverse une clairière, jamais on ne traverse une zone ouverte, on longe une lisière comme un prédateur, pour ne pas être vu, pour être dans l’ombre.


Propos recueillis le 29 novembre lors de l’avant-première de La panthère des neiges, au cinéma Star St-Exupéry. Le film est en salles depuis le 15 décembre.
Jusqu’au 8 janvier 2022, l’exposition La panthère des neiges de Vincent Munier est visible au siège du Conseil Régional à Strasbourg.


Par Emma Schneider
Photos Grégory Massat