Mais le sens de la continuité cher à l’artiste transforme ce séquençage du réel en un tracé choral sensible, captant toute la puissance évocatrice du vol des oiseaux, symbole millénaire de liberté. La trace suivie de leurs mouvements, comportements individuels ou collectifs dessine ainsi des lignes dont l’abstraction exalte l’expression graphique. De l’intimité des jeux du grand corbeau, jusqu’au vol paisible du vautour, en passant par la puissante cacophonie des vols d’étourneaux ou de pigeons, Xavi Bou compose de véritables tableaux vivants où resonnent les secrets bien gardés des oiseaux. Incidemment et subtilement, il nous invite à reconsidérer nos systèmes et échelles de valeur centrés sur la compétition et le succès individuel. Révélée par son œuvre, la transcription picturale de l’harmonie collective sidère par sa beauté pure. Au premier étonnement succède alors une invitation à réenchanter le sens du lien social, à reconsidérer la souveraineté d’un collectif accordé.
En écho au travail de Vincent Munier
Ainsi Ornithographies propose un regard sur le monde doué d’une attention particulière. Dans une esthétique de la rencontre, cette vigilance fait écho à ce que défend le photographe Vincent Munier dans son récent film La Panthère des Neiges. Et inscrit Bou dans le sillage de philosophes tels que Vinciane Despret, Baptiste Morizot ou encore Anna Tsing. L’artiste revendique humblement son ouverture sensible à la diversité du vivant, et propose pour témoigner du réel un regard créatif, loin des idées reçues. La distance abstraite que maintient néanmoins Ornithographies nous accompagne dans un voyage au-delà des barrières de nos sens et de nos cultures. Accéder au monde des oiseaux, entre regardeur et regardé(s), est alors un travail de lecture autant que d’imagination.
Accompagnant cette oscillation, Xavi Bou navigue entre couleur et monochrome. Il renforce ainsi tantôt la portée narrative de ses images, tantôt leur texture. Les couleurs douces et dégradées, comme filtrées par un air chargé, rehaussent la dimension atmosphérique là où, à l’inverse, le noir et blanc laisse toute sa place à l’expression du tracé, de la trame et de l’aspect graphique de ses clichés. Il laisse ainsi respirer ses Ornithographies, qui semblent même parfois s’animer. Parler alors de peintures vivantes leur rend justice tant les motifs prennent vie, transformant la surface bidimensionnelle des tirages en une fenêtre à la profondeur variable. Les multiples arabesques imprimées sur le capteur et sur le papier deviennent des objets tridimensionnels qui débordent du cadre. Nous sommes ainsi reliés à la pureté fugace et discrète du passage d’oiseaux marins, ou à la puissante cohésion guidant les nuées d’étourneaux et de pigeons. La connexion qu’établit l’artiste communique un vif sentiment d’appartenance. Entre réel et imaginaire, il est judicieux de savoir où l’on se place pour éviter de se perdre dans l’abstraction. C’est ce à quoi nous invitent les grands formats de l’artiste, encourageant soit à reculer soit à nous approcher.
Au sein d’Ornithographies, le dépouillement visuel des images parle d’une fragilité de l’instant et ancre une conscience aiguë de la finitude. L’artiste pose ainsi les bases d’un nouvel art de vivre, conscient des limites de nos perceptions et de nos sens, ouvert à l’imagination requise par la construction de nouvelles modalités de présence au monde. Le dialogue qu’il établit avec son environnement et le spectateur offre un espace-temps aussi méditatif que revigorant. La série Ornithographies dépasse les conventions culturelles qui cadrent notre rapport aux mondes sauvages et nous invite à un profond respect. Entre figuration et abstraction, immobilité et mouvement, silence et tumulte, les poèmes visuels de Xavi Bou constituent un manifeste discret mais durable face au désenchantement du monde.
Ornithographies à La Chambre, 4 place d’Austerlitz à Strasbourg. Jusqu’au 27 mars.
Par Antonin Roure