Chronique des sentiments

Après Mademoiselle de Joncquières et Les choses qu’on dit, les choses qu’on fait, Emmanuel Mouret réalise avec Chronique d’une liaison passagère, une fresque poétique autour du sentiment amoureux et de ses variations. À l’aube de la cinquantaine, Simon, marié et père de famille, entame une liaison avec Charlotte, mère célibataire. Ils s’engagent à ne se voir que pour le plaisir et à n’éprouver aucun sentiment amoureux. Une promesse au caractère vain, puisqu’au fil des rencontres, la complicité des deux amants s’intensifie au point de devenir une histoire d’amour qui ne dit pas son nom. Avec une touche d’humour parfaitement distillée par ses personnages, une écriture juste et de longs plans séquences, Chronique d’une liaison passagère embarque le spectateur dans cette relation, explorant avec douceur la naissance des sentiments, les désirs inavoués et les regrets. À la fois drôle et touchant, le film raconte l’amour qui arrive sans prévenir, là où il était pourtant exclu. 

Chronique d'une liaison passagère - Sandrine Kiberlain Vincent Macaigne
Sandrine Kiberlain et Vincent Macaigne nouent une liaison où Ils s’engagent à ne se voir que pour le plaisir et à n’éprouver aucun sentiment amoureux.

Le titre de votre film suggère d’emblée son issue. Pourquoi ce choix ?
Connaître l’issue du film à l’avance peut créer une forme de tension dramatique tout en laissant espérer autre chose. D’une certaine façon, c’est un titre programmatique qui met le spectateur dans une situation particulière. 

Ce n’est pas la première fois que vous mettez en scène un homme tendre, bafouillant et plein de doutes. Charlotte (Sandrine Kiberlain) elle, est sûre d’elle, pragmatique, elle prend Simon (Vincent Macaigne) par la main et le guide. Est-ce une manière pour vous de sortir des schémas traditionnels de la virilité ?
J’ai été très touché dès l’enfance voire l’adolescence par les personnages un peu maladroits et lunaires de Max Linder à Buster Keaton voire Chaplin. Des personnages qui peuvent être incarnés dans des comédies de Capra à Billy Wilder… De Jack Lemmon dans La garçonnière aux films avec Pierre Richard. Je pense que le maladroit, lunaire et tendre est une figure qui existe depuis longtemps au cinéma et peut-être même dans la littérature à laquelle je suis assez sensible. Dans Chronique d’une liaison passagère, Simon dit d’ailleurs : « Je suis plutôt un homme- femme. » De la même façon, j’aime les personnages féminins vifs, intelligents, qui incarnent une sorte de spirituel, c’est aussi une figure qui existe depuis longtemps au cinéma. Je ne saurais expliquer pourquoi ce type de personnages me touche mais on les retrouve souvent dans mes films. 

Votre film est rythmé de marqueurs temporels. La fréquence des rencontres est-elle une manière d’illustrer la relation qui se noue et se dénoue ?
Ces repères de temps nous habituent à la notion de chronique, on fonctionne par sauts, par ellipses. Ce n’est pas la même façon que de construire un récit traditionnel. J’ai choisi de ne montrer les amants qu’aux moments où ils se retrouvent et se rencontrent, on ne voit pas l’ailleurs. C’est un principe que je trouvais assez excitant, ne s’attarder qu’à leurs rendez-vous et que le reste soit à imaginer. Leur vie en dehors, c’est au spectateur de s’en faire détective. 

Choisir de ne montrer que la relation entre ces deux protagonistes, n’est-ce pas aussi une manière de faire vivre aux spectateurs cette histoire au présent avec eux ?
Je n’avais pas envie que, du fait qu’il soit marié, des jugements moraux hâtifs soient portés sur Simon. Je voulais plutôt que le spectateur se dise qu’une liaison est aussi une histoire et, ici, une histoire d’amour qui ne dit pas son nom. Qu’il ne soit pas trop parasité, qu’il essaye de voir les personnages dans cette relation en les dégageant de tout jugement.

Emmanuel Mouret
Le réalisateur Emmanuel Mouret raconte l'amour qui arrive sans prévenir, là où il était pourtant exclu. © Jess Bertrand

Le film repose sur deux personnages, Vincent Macaigne et Sandrine Kiberlain, comment avez-vous trouvé l’évidence de ce couple ?
Ça a été très long de constituer le couple de ce film. J’avais envie de retravailler avec Vincent après Les choses qu’on dit, les choses qu’on fait. À l’instant où j’ai pensé associer Sandrine Kiberlain et Vincent Macaigne, quelque chose m’a paru évident.  Ce sont deux acteurs qui portent une fantaisie, ils sont à la fois très drôles et très touchants. Je trouvais que ça permettait au film d’être à la fois léger et grave. 

Vous accordez une grande place à la parole et aux dialogues. Les deux protagonistes sont en constante introspection et décortiquent chacune de leurs actions. Est-ce une façon pour vous de mettre en scène la dualité entre le cérébral et le sentiment ? La difficulté morale face à ses désirs ?
C’est un couple qui aime autant parler que faire l’amour. Je pense que lorsqu’on voit à l’écran des personnes qui prennent autant de plaisir à communiquer, à commenter, à essayer de se dire ce qu’ils vivent, ce qu’ils ressentent, il y a un effet de complicité qui fait qu’on porte d’autant plus de crédit au fait que quelque chose les lie fortement. Les échanges d’idées sont aussi importants dans un couple que le physique, il n’y a pas de position entre les deux. Et je crois que la sexualité ressemble aussi à la façon dont on se parle. 

Qu’est-ce qui vous plaît dans les dialogues ?
Les dialogues permettent d’entrer à l’intérieur des personnages. Ce que j’aime dans la comédie américaine c’est ce côté où les personnages s’expriment. Il y a une sorte de musique de la parole, il y a quelque chose de vivant dans le fait de parler et de se parler. C’est quelque chose pour moi de l’ordre du plaisir. Dans Chronique d’une liaison dangereuse, les dialogues servent à suivre les circonvolutions de leurs désirs et de leur approche. Il y a quelque chose de très ludique à cela. 

Simon ne cesse de douter et de répéter à chaque rencontre : « C’est peut-être la dernière ». Est-ce une manière pour lui d’exorciser cette fin inévitable ?
Je ne dirais pas de l’exorciser, mais plutôt de l’intensifier, de la dramatiser. Il met au tapis cette peur que tout s’arrête. Une peur que le spectateur partage puisqu’il les voit bien ensemble, mais connaissant le titre du film, il se doute de son issue. 

Malgré l’apparente légèreté de cette liaison, les sentiments prennent le dessus et le dialogue ne sert plus. L’intellectualisation des relations a-t-elle ses limites ? Comment ne pas deviner le caractère vain de la règle du « pas de sentiments » ?
C’est plutôt leurs principes qui consistent à ne se voir que pour le plaisir et à mettre les sentiments de côté. En mettant les sentiments de côté, on ne leur donne pas la liberté de s’exprimer. Cette forme de liberté sexuelle empêche une libre circulation d’un sentiment amoureux. Pour moi, ils courent après une certaine forme d’utopie qui s’avère difficile. 

Vous avez opté pour des plans-séquences, des personnages mobiles qui se déplacent constamment. Quelle était la volonté de cette mise en scène ?
J’ai choisi de mettre en scène beaucoup de décors car je voulais que les personnages soient tout le temps en mouvement, peut-être à cause des questions qu’ils se posent. Aussi, on peut dire d’une liaison que c’est une aventure et je voulais que cette histoire en ait l’aspect. Je l’illustre en faisant traverser de nombreux décors aux personnages. Je n’avais pas envie de les coincer dans un lit entre quatre murs, c’était une façon de donner de l’ampleur à cette histoire très intime.

Mère célibataire, Sandrine Kiberlain mène cette valse amoureuse.

Par l’importance accordée aux dialogues, le dispositif de Chronique d’une liaison passagère pourrait facilement être adapté sur une scène de théâtre. C’est une chose à laquelle vous avez déjà pensé ?
Non parce que je viens du cinéma. Au théâtre, je ne pourrais pas multiplier autant de décors, filmer des décors vides, faire des gros plans, je n’arriverais pas à cette fluidité. Tous mes efforts dans la mise en scène est de trouver quelque chose d’assez cinétique, alors que le théâtre est une sorte de plan large fixe. Peut-être que quelqu’un pourrait l’adapter de par la parole et les dialogues, mais ça rendrait quelque chose qui est presque à l’opposé du film. Je ne voulais pas que le film ressemble à un huis clos et le théâtre le transformerait certainement ainsi.

Dans une interview au Monde vous avez déclaré : « Mes films sont des autobiographies de mes rêveries. » Pouvez-vous nous en dire plus ?
La majorité des cinéastes font des films avec ce qui les obsède. Même si nous n’en sommes pas forcément conscients. Souvent on part d’une situation et on se dit : « Et s’il se passait ça ? ». Cette rêverie est nourrie par notre imaginaire, on y met ce qu’on ressent, ce qu’on a peut-être vécu ou fantasmé et tout ça est entremêlé. 

Est-ce qu’être cinéaste, c’est faire le deuil de son rêve initial de film ?
Je pense que ça peut-être le cas pour quelqu’un qui fait son premier film, mais en réalité je crois que le grand intérêt et plaisir du cinéma est de voir à quoi va ressembler le film qu’on a envie de faire. Il y a tellement d’opérations différentes dans la fabrication d’un film, qu’on ne peut pas simplement fermer les yeux et l’imaginer, ce n’est pas une opération cérébralement possible. Donc on pose des éléments et le film apparaît, on fait les choses avec ce qu’on a. Et c’est ça qui est très excitant au cinéma. Ce n’est pas tant une opération de deuil qu’une opération de découverte. 


Chronique d’une liaison passagère, d’Emmanuel Mouret, sortie le 14 septembre.
Propos recueillis le 27 août lors de l’avant-première de Chronique d’une liaison passagère, au cinéma Star St-Ex de Strasbourg.


Par Emma Schneider
Photo Jess Bertrand