Consentement

Avec Les choses humaines, Yvan Attal adapte le roman éponyme de Karine Tuil dans lequel un jeune homme brillant issu d’un milieu social bourgeois est accusé de viol. Fils d’un célèbre journaliste politique français et d’une brillante essayiste féministe, Alexandre Farel est promis à un bel avenir. Étudiant à Stanford, il profite d’un week-end à Paris pour rendre visite à ses parents et emmène en soirée, Mila, la fille du compagnon de sa mère. Le lendemain, la jeune femme accuse Alexandre de viol. C’est le début de la chute des Farel et de l’emballement de la machine médiatico-judiciaire. Qui est à l’abri de se retrouver un jour pris dans cet engrenage ? Qui est cette jeune femme, qui est ce jeune homme ? Est-il coupable ou innocent ? Est-elle victime ou uniquement dans un désir de vengeance, comme l’affirme l’accusé ? Les deux jeunes protagonistes et leurs proches vont voir leurs convictions et leurs certitudes voler en éclats, mais n’y a-t-il qu’une vérité ?

Rencontre avec Yvan Attal et Pierre Arditi à l’occasion de l’avant-première au cinéma UGC Ciné Cité de Strasbourg.

Yvan Attal © Grégory Massat

Après Mon chien stupide, vous vous attaquez à l’adaptation d’un nouveau roman. Qu’est-ce qui vous a appelé dans Les choses humaines de Karin Tuil ?
Yvan Attal : Je connaissais le travail de Karin Tuil. À la rentrée littéraire de septembre 2019, je suis tombé sur Les choses humaines et à l’instant où je l’ai lu, j’y ai vu un film. Déjà, car il arrivait en plein mouvement MeToo et abordait des questions d’actualité, notamment celle du consentement. Mais aussi car au-delà de ça, énormément de choses me touchaient dans ce livre. J’ai eu envie d’en faire un film tout de suite. C’est allé vite, le livre est sorti en septembre 2019, on a tourné le film en 2020 et nous voilà.

Le film se présente en trois parties : lui, elle et le procès. Vous vous placez ainsi dans la tête des deux personnages. Chacun a sa propre vérité. Était-ce important d’aborder le sujet à travers le point de vue de l’un puis de l’autre ?
Yvan Attal : À partir du moment où ça allait être leur procès, j’avais envie qu’on prenne le temps de s’attacher à eux. Le but du film est de balancer de l’un à l’autre, de ne pas vraiment savoir qui a raison dans cette histoire. Donc il fallait avoir de l’empathie pour ces deux personnages, en savoir assez sur eux, c’est ce qui a motivé cette structure.

Au fil du film, on découvre également l’univers de chacun des protagonistes. Alexandre Farel est issu d’une famille bourgeoise, ses parents sont des personnes d’influence, Mila est issue d’une famille modeste et ultra-orthodoxe. Ce film confronte deux univers aux antipodes et interroge les codes.
Yvan Attal : C’est effectivement ce que le film raconte. Le sexe est aussi social, culturel, on ne baise pas pareil dans tel milieu. Pour Alexandre Farel, à l’image de son père coureur de jupons, le sexe d’un soir c’est fun.

Pierre Arditi © Grégory Massat

Jean Farel a vécu l’époque de la libération sexuelle et a éduqué son fils avec cet état d’esprit, le sexe n’a pas autant d’importance que pour cette fille qui vient d’un milieu religieux où le sexe est réservé au mari. C’est le choc de ces deux cultures. On a également tous une façon différente d’aimer le sexe, la relation qu’Alexandre avait avec son ex était une relation où il lui disait des choses violentes et où elle aimait ça. On n’est pas tous excités par les mêmes choses. Quand ce jeune homme dit des choses un peu tordues, bizarrement c’est son éducation sexuelle à lui.

Lors du procès, Jean Farel va exprimer cette phrase terrible, qui va d’ailleurs porter préjudice à son fils : « On ne va pas foutre la vie d’un jeune homme en l’air pour 20 minutes d’action ».
Pierre Arditi : J’incarne le personnage qui prononce cette phrase terrible à laquelle je ne souscris pas. C’est le coup de poignard absolu. Cette phrase a réellement été prononcée lors du procès de Stanford qui opposait un étudiant de la prestigieuse université et une jeune femme qui l’accusait de l’avoir agressée sexuellement sur le campus. Cette phrase raconte quelque chose de notre société. Le contraste immense entre la façon dont les victimes vivent une agression sexuelle et la façon dont la voient ceux qui commettent l’acte.

Vous avez joué dans la plupart des films que vous avez réalisés. Dans Les choses humaines, vous avez choisi votre fils Ben Attal pour incarner Alexandre Farel et votre épouse Charlotte Gainsbourg pour incarner sa mère, Claire Farel. Pourquoi ne pas avoir interprété vous-même le rôle du père ?
Yvan Attal : Je préfère ne plus jouer dans mes propres films. Peut-être que ça reviendra mais je me sentais mieux ainsi. En plus j’ai changé de registre. Jusque-là, je réalisais plutôt des comédies et j’allais m’attaquer à un film dont le genre était un peu nouveau pour moi, j’avais envie d’être concentré.

J’avais une pléiade d’acteurs et un casting extraordinaire, j’avais envie de leur être dévoué. Tous ces personnages, tous ces acteurs avaient des rôles et des partitions très différentes et très denses, j’avais envie d’être là pour eux. Mon choix de ne pas incarner moi-même Jean Farel m’a donné la chance de rencontrer Pierre Arditi. On cherche des acteurs en fonction des rôles et on se demande qui dans les acteurs qu’on aime pourrait les incarner. Je n’ai pas fait de casting pour Jean Farel, ni pour Alexandre. J’ai pensé à Ben tout de suite. Mais c’est aussi parce que j’avais auditionné une cinquantaine de jeunes acteurs pour le rôle dans Mon chien stupide, je n’allais pas recommencer. J’avais envie de le filmer. Pour Mila, j’ai organisé un casting. Suzanne Jouannet s’est imposée. Elle est bouleversante, juste, dense, émotionnelle… C’est son premier film.

Votre fils joue Alexandre Farel, ce jeune homme issu d’un milieu bourgeois accusé de viol par Mila. Son personnage oscille entre une bienveillance qui touche et une attitude parfois pédante et arrogante qui agace.
Yvan Attal : C’était tout le travail. Ben condamne son personnage et il fallait que je le recadre parfois pour lui dire : « Non il faut le défendre, il faut pouvoir admettre qu’il dit la vérité quand il dit qu’il n’a pas vu, qu’il n’a pas compris, qu’il est sincère. » Mais je pense que c’est sa génération, MeToo est passé par là, les jeunes de sa génération sont bien plus frileux sur ces sujets, j’ai l’impression. En ce qui me concerne, je peux comprendre le personnage d’Alexandre Farel. Il est à la fois attachant, touchant et en même temps on a envie de lui mettre des claques par son arrogance, il est irritant, insupportable.

Pierre Arditi et Yvan Attal © Grégory Massat

Les mentalités évoluent et heureusement. Jean Farel lui n’admet pas une seule seconde que son fils ait pu commettre un viol, il dit : « Cette fille est complètement folle ».
Pierre Arditi : Le film est majeur, il dit aujourd’hui ce que nous sommes, ce que nous vivons. Je suis maintenant un homme mûr, très mûr même et je me demande ce qui attend tous ces enfants. Ce film est majeur parce qu’il nous balance à la gueule ce que nous avons été, ce que nous leur avons transmis et on ne sait pas trop ce qu’ils vont en faire.

On se retrouve immergé au cœur du procès et on s’aperçoit à quel point face à deux vérités, il peut-être difficile de juger en toute impartialité.
Yvan Attal : Ce qui m’a intéressé c’est la difficulté à juger certaines affaires. Pendant la préparation du film, j’ai assisté à un procès pour viol. Ce qui m’a sauté aux yeux, c’était la tension dans le Palais de justice, le silence et à quel point on était attentifs à tout ce qui se disait. Au moindre mot. Comme si on pensait que de cette manière, on allait déceler quelque chose. C’est aussi pour cela que je suis resté centré sur les deux acteurs principaux, j’avais envie de les entendre parler et pas forcément envie de filmer les réactions des personnes dans la salle.

Essayiste féministe reconnue, Claire Farel se fait lyncher sur les réseaux sociaux à l’instant même où son fils est mis en garde à vue.
Yvan Attal : Aujourd’hui, les gens jugent à l’emporte-pièce en quatre secondes. Anonymement derrière un ordinateur, on condamne les gens. Un procès se prépare en trente mois d’instruction. Sur les réseaux on juge en instantané.
Pierre Arditi : Heureusement que la justice existe, si on la laissait être prononcée par les gens qui se déversent sur les réseaux sociaux, ce serait une véritable horreur, une atteinte absolue à la démocratie et à la raison surtout.

Yvan Attal : Énormément de femmes ont peur de porter plainte. On le raconte d’ailleurs dans le film avec Mila. D’abord, sa mère essaye de la décourager car « si on apprend qu’elle a été violée plus aucun homme ne voudra se marier avec elle », puis les policiers au commissariat lui disent « Vous êtes sûre de vouloir vous lancer là-dedans ? Il y a très peu de chances que ça aboutisse ». Elles ont peur aussi de porter plainte parce qu’elles se sentent souvent flouées par la justice, mais en même temps quels autres choix ont-elles ? D’ailleurs, ces mouvements MeToo qui sont parfois un peu violents font avancer probablement certaines choses, mais on ne peut pas se faire justice soi-même. Donc l’endroit pour juger ce genre d’affaires et n’importe quelle affaire d’ailleurs c’est le Palais de justice.


Les choses humaines d’Yvan Attal, sortie le 1er décembre.
Propos recueillis le 16 novembre dans le cadre de l’avant-première du film à l’UGC Ciné Cité de Strasbourg.


Par Emma Schneider
Photos Grégory Massat