On voit que Shauna et Pierre sont irrépressiblement attirés l’un par l’autre mais qu’il y a un temps d’hésitation car céder à ce désir implique beaucoup de choses. La scène à la gare constitue un très beau moment de bascule.
Melvil Poupaud : C’est là que Pierre se décide. Il y a également le coup de fil et les échanges de textos. La scène où Shauna répond aux SMS de Pierre et se trompe dans ses mots à cause du correcteur automatique m’a beaucoup fait rire car moi-même je n’ai pas de smartphone donc je sais que c’est parfois compliqué quand on est face à quelqu’un hyper à l’aise avec le côté technologique. Ça raconte aussi notre époque et ce qui se passe dans notre société. Ce sont deux personnages très libres qui décident de ne pas tenir compte des conventions et des codes, ils choisissent de s’émanciper de tout ça.
Pierre n’a aucune honte à se montrer au bras de Shauna qui, elle par contre, est très pudique.
Fanny Ardant : Parce qu’elle est très lucide, elle est intelligente et a ce côté adolescent avec la peur des amours naissants. C’est une vraie histoire d’amour, ce n’est pas qu’une attraction physique. C’est quelque chose d’âme à âme, le corps vient après. Elle a une grande lucidité sur elle-même, elle a cette pudeur qui pourrait ressembler aux atermoiements du début de l’adolescence.
Arrive le moment où Shauna rejette l’amour que Pierre lui porte, prétextant une histoire impossible. Davantage que l’écart d’âge, il s’agit plutôt d’une peur qu’elle a en elle de s’abandonner à cet amour.
Carine Tardieu : Shauna savait déjà qu’elle était malade, mais lorsqu’elle quitte Pierre, elle vient d’apprendre que la maladie passe dans une phase un peu plus active. Pendant un temps, à ses côtés, elle avait un peu oublié son âge et tout d’un coup, comme une évidence, elle se rappelle qu’elle est mortelle. Il y a une déchéance possible et elle ne veut pas qu’il la voit dans cet état. C’est une forme d’immense pudeur. Elle se dit aussi qu’en restant avec elle, il va gâcher sa vie, alors qu’elle va peut-être mourir dans peu de temps. Elle voit les choses en noir, elle panique. Il y a eu un court temps pendant lequel elle s’est laissée aller à cette histoire puis d’un coup la réalité prend le dessus.
C’est une immense preuve d’amour que de ne pas vouloir lui infliger son état de santé qui décline.
Carine Tardieu : Absolument, elle a l’impression qu’il sacrifie quelque chose de sa vie et que ce n’est voué à rien. Elle le quitte par amour bien sûr. Si elle ne l’aimait pas au fond, elle en profiterait jusqu’au bout, sans état d’âme.
En arrière-plan de votre film, on découvre la perception de l’amour à tous les âges avec des personnages secondaires comme la fille de Pierre qui redoute de ne jamais tomber amoureuse ou son meilleur ami Georges. Ce dernier enchaîne les aventures avec des filles de 20 ans et pourtant il s’offusque de l’histoire entre Pierre et Shauna.
Fanny Ardant : Oui, mais parce que Shauna est une amie de sa mère.
Carine Tardieu : Pour lui c’est quasiment incestueux. Pierre est son meilleur ami, c’est comme un double de lui-même donc il a l’impression qu’il couche avec Shauna. Dans un premier temps, cette idée lui est insupportable.
Pensez-vous que l’amour peut s’affranchir des barrières sociales ?
Carine Tardieu : Bien sûr, je pense qu’il le peut. Cependant, il y a des histoires d’amour qui sont empêchées par la société et qui s’en voient détruites. Certains ne résistent pas à la pression sociétale. Il faut être costaud pour avoir une impulsion, pour passer au-delà. Ça peut arriver quand on est jeunes aussi, qu’on veut se marier avec quelqu’un qui par exemple n’est pas de sa religion ou de son milieu social et que la famille fait pression. En France, on a la chance d’avoir majoritairement une forme de liberté pour vivre une histoire d’amour, mais parfois on se l’interdit soi-même. On est tellement formatés, on a tellement peur du regard des autres. On peut par exemple être séduit par quelqu’un qui est très laid et puis se dire simplement : « Je ne peux pas me montrer avec cet homme-là ou cette femme-là. »
Fanny Ardant : Mais est-ce que la peur n’est pas exactement la base de l’amour ? Si on n’a plus peur ça veut dire qu’on s’est endormi et que ce n’est plus de l’amour, c’est devenu autre chose, c’est du compagnonnage. Que vous ayez une grande différence d’âge ou que vous ayez le même âge, si vous n’avez plus peur, c’est un signal d’alarme.
Propos recueillis le 18 janvier dans le cadre de l’avant-première du film, à l’UGC Ciné Cité de Strasbourg.
Les Jeunes Amants, de Carine Tardieu, actuellement en salles.
Par Emma Schneider