Anne va chercher de l’aide auprès de plusieurs médecins, les réactions sont différentes. Certains comprennent la situation, d’autres moins. Personne ne veut prendre de risque, ce qui peut-être compréhensible mais d’autres vont clairement à l’encontre de son désir d’avortement quitte à la leurrer. Ce que je ne comprends pas, c’est qu’on décide à sa place. Ce que je peux comprendre c’est que lorsqu’on est médecin et qu’on peut perdre l’autorisation d’exercer, il ne reste plus rien après. Tout le monde est aiguillé par un dilemme qui est simple, dans la mesure où on est pas contre l’avortement, car tout le monde n’est pas contre, il s’agit d’aider et risquer la prison ou de ne rien faire et de se préserver, c’est ça la dialectique.
Anamaria Vartolomei est magistrale dans le rôle d’Anne.
Elle a participé à un casting classique avec des critères précis. Je voulais une jeune femme qui ait déjà tourné des films, je connaissais mon dispositif et je savais que Laurent Tanguy, le chef opérateur, serait collé à elle. Il me fallait quelqu’un qui ait dompté la caméra et l’idée de la caméra. Par goût, je préfère les acteurs qui ont un jeu un peu minimaliste, très intériorisé, Anamaria a ça. Puis une présence. Quand elle entre dans une pièce, elle a ce regard, ce teint diaphane, une présence qui est forte. Et la dernière chose, c’est que je voulais vraiment une partenaire intellectuelle, quelqu’un qui comprenne les textes d’Annie Ernaux et les textes de littérature que je lui tendais de manière générale, je lui ai demandé de lire Victor Hugo, Sartre, Camus, un peu Aragon, pour voir quelle était sa relation aux mots parce que je trouvais que c’était impossible d’avoir quelqu’un qui est supposée devenir cette autrice et qui n’ai pas de relation à la sémantique.
Annie Ernaux a-t-elle été à vos côtés lors de la construction de ce film ?
Non ce serait un abus de langage, mais je lui ai fait lire trois versions et elle a pointé, non pas ce qui m’éloignait du livre, mais ce qui lui semblait ne pas être juste de manière générale : le regard de l’époque, une pensée, un geste, une séquence. C’est comme si j’avais cherché la justesse comme un chemin et qu’elle, comme une boussole, m’a toujours amené au bon endroit. C’était vraiment une chance inouïe.
A-t-elle vu le film ?
Elle l’a trouvé juste. Comme c’était un peu notre pacte, j’étais contente. Ça rend très fébrile d’adapter un récit autobiographique, d’abord c’est très impressionnant et lorsque c’est un auteur qu’on admire, c’est pire. Le fait qu’on ait rapidement parlé d’adaptation avec Annie Ernaux, ça m’a permis de ne plus penser à ce qui m’impressionnait. Dès qu’on est dans le concret, dès qu’on est dans le travail, on est moins dans l’admiration, dans la déférence. J’avais besoin de trouver mon chemin aussi.
Vous êtes la deuxième réalisatrice française à avoir été récompensée du Lion d’Or à la Mostra de Venise. C’est un accomplissement pour vous ?
C’est mon deuxième film donc c’est un aboutissement précoce, ça a aboutit plus rapidement que ce que j’aurais imaginé. Mais c’était un moment si intense. Évidemment je n’avais rien pronostiqué, je me projette peu dans la vie. Quand j’étais plus jeune je me projettais tout le temps et ça ne se passait jamais comme je voulais. Un jour, j’ai réalisé que si j’arrêtais, je vivrais beaucoup mieux. C’est drôle parce que lorsque j’ai vu Parasite, au milieu du film le personnage principal dit : « Il ne faut pas faire de plans. » J’en parlais avec un ami et je lui disais : « Tu vois en fait ce qui a changé dans ma vie c’est qu’aujourd’hui je comprends cette phrase, je suis d’accord avec ça.» Je pense que ne pas se gâcher la vie, ne pas être déçue, c’est ne pas faire de plans. J’avais cessé de faire des plans et ça tombe bien parce que c’est Bong Joon-ho qui m’a remis le prix (rires) donc c’était bien la preuve qu’il fallait écouter ce réalisateur.
Lorsqu’on fait un film qui porte un message, qui a une dimension politique, le prix a-t-il une autre résonance ?
Il y a une dimension politique bien sûr, ce n’est pas un manifeste parce que c’est un film mais évidemment qu’il y a quelque chose de politique dans la manière de montrer cet événement et je l’assume. C’était important au regard du sujet de gagner ce prix. Surtout que lorsque j’étais en route pour aller à Venise on a découvert ce qui se passait au Texas. Ça donne une autre dimension au sujet, à sa résonance.
Lors de vos précédentes avant-premières, avez-vous pu remarquer un public plutôt féminin, plutôt mixte ?
Mon conjoint m’a dit quelque chose d’assez beau : « C’est fou, c’est le rassemblement des générations 1 et 3, il y a des gens qui ont connu cette époque et des jeunes qui ont envie de s’engager. » C’est très mixte, c’est très étonnant, le film a beaucoup d’impact sur les hommes et c’est vraiment parmi les choses que j’espérais. Ouvrir une discussion, créer un débat autour de ce qu’on sait, de ce qu’on ne sait pas, je suis très contente de ça.
À Varsovie récemment, des milliers de personnes manifestaient suite à la mort d’Izabela, une jeune femme décédée d’un choc septique après que des médecins aient refusé de lui pratiquer une IVG.
On lui a carrément refusé un avortement thérapeuthique. Les médecins ont préféré attendre le dernier battement de cœur du fœtus, ça me donne envie de pleurer. Elle avait peur d’un choc septique qui la tuerait et puis c’est ce qui s’est passé.
La lutte des femmes est loin d’être terminée. Espérez-vous que votre film éveille les consciences ?
J’espère que ça ouvre un débat, des questionnements. J’ai rencontré des gens qui étaient purement et simplement contre l’avortement et qui après avoir vu le film me disent : « Maintenant je vais réfléchir. » C’est une chose d’être contre l’avortement et d’accepter l’idée de l’avortement clandestin et c’en est une autre de voir ce à quoi ressemble un avortement clandestin et de cautionner. C’est moins facile. Il faut accepter l’idée de cautionner une loi qui impose ça.
L’événement, d’Audrey Diwan, sortie le 24 novembre 2021.
Propos recueillis le 8 novembre dans le cadre de l’avant-première de L’événement au cinéma Star St-Exupéry de Strasbourg.
Par Emma Schneider