Mon légionnaire :
d'amour et de combat

Le 6 octobre dernier est sorti Mon légionnaire, dernier film de Rachel Lang, sélectionné à la Quinzaine des Réalisateurs à Cannes. La réalisatrice, d’origine alsacienne, poursuit son exploration des ressacs qui animent l’intime en se penchant cette fois sur la légion étrangère.

Mon Légionnaire de Rachel Lang. Louis Garrel y campe le rôle d'un lieutenant dans la légion étrangère.

Cela fait plusieurs années que nous suivons avec un grand intérêt le travail de Rachel Lang. Ses courts-métrages d’abord, (Pour toi je ferai bataille, Les navets blancs empêchent de dormir ou encore La Nuit, elle ment) qui suivent, chacun avec une honnêteté désarmante, ce que les rebondissements d’une vie font à l’intime et à nos relations. Avec Rachel Lang, on acte : on ne s’arrête jamais de grandir. Ses personnages cherchent, assument, font, vont au-devant d’une identité mouvante. Son cinéma pose des questions essentielles : qu’est-ce qu’on accepte ? Jusqu’où ? Pourquoi ? Qu’est-ce qui fait, au juste, qu’on change ? Et puis, finalement : qu’est-ce qu’on fait de soi avec tout ça ?
Son premier long métrage, Baden Baden, racontait l’histoire d’Ana, qui entre son retour à Strasbourg, la construction d’une douche pour sa grand-mère, des retrouvailles et autres aventures, cherche à se débrouiller avec elle-même et de déterminer ce qu’elle devient. Rachel Lang réussit avec finesse à nous montrer ce qu’on ne voit pas et ce qui ne se dit pas ; elle exerce le regard du spectat·eur·rice et titille son empathie avec subtilité et intelligence.
Dans Mon Légionnaire (sorti le 6 octobre), le cadre change – plongée dans la légion étrangère, un univers que la réalisatrice connaît puisqu’elle est réserviste pour l’armée –, le décor aussi – la Corse et le désert malien – mais le fond reste le même. Ici, on suit deux couples : Maxime et Céline, lui lieutenant, elle avocate, et Vlad et Nika, originaires d’Ukraine, lui vient d’être enrôlé, elle décide de le suivre, par amour. Ainsi quatre histoires se croisent, celles de chaque individu confronté à sa vie et à ses choix, au même titre que deux histoires d’amour avec ce qu’elles supposent de compromis et d’obligations, d’autant plus fortes qu’elles sont intrinsèquement liées à l’univers militaires avec ses codes et ses lourdeurs. En transparence, deux classes sociales se confrontent, d’autant plus évidentes que Maxime et Cécile sont interprétés par Louis Garrel et Camille Cottin, un casting de taille. Mon Légionnaire expose, sans le crier sur les toits, la complexité d’être au monde et d’être en amour en confrontant les vérités de chaque personnage : l’amour est un combat. Cet amour, multiple, se fait aussi jour dans la relation fraternelle entre le lieutenant et ses officiers, comme un remède devant la mort qui ne s’arrête jamais de rôder. Un film d’une autre envergure (le tournage s’est fait sur trois territoires, le casting emprunte aux grands noms) qui emmène Rachel Lang vers d’autres chemins. Interview.

Rachel Lang réalisatrice portrait
La réalisatrice Rachel Lang. Photo : Christophe Urbain.

Lors de la rencontre à l’UGC Ciné Cité organisée après l’avant-première du film, tu disais vouloir faire un film sur le couple, que voulais-tu en raconter ?
Je voulais raconter que le couple, en plus d’être une fabrication sociale, c’est toujours un travail. Il y a peut-être (ou pas) le coup de foudre au début, mais il s’agit de tenir dans le temps et notamment dans ce travail d’écoute de l’autre, savoir être au bon endroit au bon moment.
J’ai voulu placer les personnages dans une situation compliquée et le couple dans une situation d’épreuve : la légion étrangère est une famille hyper forte qui laisse peu de place au couple.

Pourquoi avoir choisi la légion ?
Dans l’armée, la mort est une hypothèse de travail, l’esprit de famille est très fort. Face à ce que le légion étrangère forme, le couple et la famille doivent être d’autant plus forts.
Et puis, dans la légion, on s’engage comme célibataire, il y a cette règle des cinq ans [durant les cinq premières années, les légionnaires doivent se déclarer célibataires, ndlr] qui place dès lors les compagnes dans une situation d’illégitimité. C’est le cas de Vlad et Nika, ce qui ajoutait encore à la complexité de la construction du couple.

« Voir les difficultés comme un challenge à surmonter, chercher des outils pour dégoupiller les conflits alors que ce serait plus simple de tout arrêter, c’est ça le couple. »

Forcément, on se pose la question de la soumission à cet ordre très établi qu’est la légion…
Oui le club des épouses peut avoir ce côté très dur, notamment dans cette scène où l’on comprend qu’il devient une obligation et qu’il est imposé par le haut. Ce n’est pas un choix, ce que je critique et que certains personnages, dont Céline, critiquent. Mais au sein de ce club, les femmes se créent leurs propres espaces de partage, elles créent des liens, s’accueillent, prennent soin les unes des autres, ça se décide entre elles.

Ce que tu montres dans Mon Légionnaire, c’est qu’il n’y a pas qu’une seule vérité, il en existe autant que de personnalités et de vécus. Au fur et à mesure du film, on voit ces vérités qui s’accumulent, on les approche et les comprend, comme ce travail dont tu parles sur le couple…
Essayer de comprendre les choses, essayer de les mettre à distance permet de comprendre la personne que l’on a en face de soi. Qu’est-ce qui, au final, déclenche les déséquilibres et les incompréhensions ? Voir les difficultés comme un challenge à surmonter, chercher des outils pour dégoupiller les conflits alors que ce serait plus simple de tout arrêter, c’est ça le couple. Dans Mon Légionnaire, les deux couples n’ont pas les mêmes outils : Céline et Maxime ont 10 ans de vie commune et un enfant, ils sont dans l’analyse et l’accueil de l’autre alors que Nika et Vlad sont un jeune couple, vivant de manière très séparés…
Partant de cette histoire de la règle des cinq ans, je me suis raconté que le personnage de Vlad aurait espéré que Nika attendrait sagement cinq ans en Ukraine et que cela deviendrait un cadeau de l’inviter à le rejoindre. En quelque sorte, il considère que Nika lui a volé son cadeau en venant plus tôt. En plus de savoir qu’il ne serait pas disponible pour elle vu l’engagement que la légion demande. Pour lui, l’amour n’est pas une question – il l’aime –, mas il a davantage besoin de faire ce choix de la légion, d’aller jusqu’au bout, de se dépasser. Et ça, on le comprend au fur et à mesure du film. Ce qui, je crois, nous fait changer de perspective.

mon légionnaire rachel lang Ina Marija Bartaité et Aleksandr Kuznetsov
Ina Marija Bartaité et Aleksandr Kuznetsov, dans le rôle de Nika et Vlad.

Tu dis souvent que ce qui te fascine dans l’armée sont notamment les rapports de fraternité – c’est aussi une forme d’amour –, là, il est aussi question de sororité entre ce groupe de femmes. Dans le film, les deux s’opposent dans un certain sens, as-tu souhaité opposer ces deux mondes ?
Le dispositif du film présente deux arènes : les femmes et les hommes, ce qui permet de traiter de couples de manière générique. En tant que femme, j’ai personnellement vécu des moments avec des hommes et des femmes, ce n’est pas une question de genre, il est davantage question d’endroit où c’est possible de partager. La sororité, on la retrouve aussi dans les chambrées militaires. Ce n’était pas opposer les choses, mais plutôt montrer que ce sont deux mondes séparés.

Peut-on être féministe lorsqu’on est femme de légionnaire ? Est-ce une question qui t’a préoccupée ?
Le personnage de Céline est très indépendant, frondeur contre l’archaïsme que propose la légion. Elle représente le changement de la société : de plus en plus de femmes d’officiers travaillent. Et puis, dans le film, les femmes sont des combattantes, elles s’occupent de tout, de la maison, des enfants, comblent tout l’espace ; et les hommes, eux, sont dans le care là où on a l’habitude de mettre les femmes, avec Maxime qui pouponnent presque ses hommes. Ensemble, ils font leur lessive, s’occupent les uns et des autres.
Il y a cette scène, où les femmes se préparent au retour des hommes, elles s’épilent, discutent. Là encore, cette scène existe plus pour illustrer un décalage : pendant qu’elles se préparent, les hommes se recueillent autour du cercueil de leur collègue décédé. Il y a ce que vivent les hommes et ce que vivent les femmes, leurs deux univers étant décalés. Ce n’était pas pour porter un jugement de valeur mais plutôt d’illustrer deux états, deux consciences qui ne sont pas les mêmes.

Il y a aussi un rapport de classes dans le film : dans l’armée, on est tous égaux, or, Maxime et Céline et Vlad et Nika ne sont pas du tout sur la même échelle (même les comédiens qui les incarnent), voulais-tu aussi parler de ça ?
Ça fait partie du monde que je décris, c’est important que ça existe. Tout le monde n’a pas les mêmes outils. Il y a des différences de place sociale, même s’ils vivent ensemble au même endroit. On le sent plus chez les femmes, dans la vie civile, alors que dans l’armée, les différences sont gommées sur le terrain.

Tu disais pendant la rencontre que Louis Garrel n’a pas été un choix évident pour toi, pourquoi ?
Tout simplement parce que ce n’est pas du tout dans ce genre de rôle qu’on l’imagine. Je n’avais pas du tout envie de le rencontrer pour ce rôle, et c’est mon producteur qui m’a convaincue. Pendant le casting, j’ai été surprise par son intelligence du texte, elle était telle que c’était impossible de ne pas prendre le risque.

Tu es aussi passée sur une autre échelle de production, qu’est-ce que ce film a changé pour toi ?
C’était plus dur de faire ce film. Comparé à Baden Baden, c’était censé être un plus gros budget ; en vérité, j’aurais eu besoin du double. De fait, il y a eu beaucoup plus contraintes dans ce film : sur le repérage, les déplacements, les décors, le matériel. C’est sûr, l’ambition était différente avec un tournage sur trois territoires et beaucoup de figurants.

Et ton prochain film ?
Ce sera un film d’espionnage avec trois nanas assez balaises qui sont dans le milieu du renseignement. J’espère entrer en casting en novembre…


Mon Légionnaire, à l’affiche aux cinémas Star et à l’UGC Ciné Cité à Strasbourg


Propos recueillis par téléphone par Cécile Becker
Portrait Rachel Lang : Christophe Urbain