Trafics d'État

Avec Enquête sur un scandale d’État, le réalisateur Thierry de Peretti s’inspire de l’affaire François Thierry, ancien commissaire de la lutte anti-drogue soupçonné d’avoir trempé dans les trafics. Octobre 2015, 7,5 tonnes de cannabis sont saisis en plein cœur de Paris. Le président de la République en personne fait le déplacement pour féliciter les troupes sous les flashs des médias. Au même moment, Hubert Avoine (Roschdy Zem), ex-infiltré des Stups contacte Emmanuel Fansten (Pio Marmaï), journaliste à Libération, prétendant pouvoir démontrer l’existence d’un trafic d’État dirigé par le chef de la lutte anti-drogue. Cette saisie spectaculaire ne serait que mise en scène afin de masquer la réalité. En coulisses, des dizaines de tonnes de drogue entreraient sur le territoire français au vu et au su des autorités dédiées. Sur fond de corruption, plongeon dans une enquête jusqu’aux recoins les plus sombres de la République. 

Roschdy Zem et Thierry de Peretti par Jésus s. Baptista
Roschdy Zem et Thierry de Peretti, réalisateur d'Enquête sur un scandale d'État. © Jésus S. Baptista

Avec Enquête sur un scandale d’Etat, vous revenez sur l’affaire François Thierry. Qu’est-ce qui vous a interpellé dans cette histoire ?
Thierry de Peretti : L’affaire François Thierry est le point de départ du récit. Le film est né de la rencontre que j’ai pu faire avec Emmanuel Fansten, journaliste à Libération et sa source, Hubert Avoine. Leur rencontre impliquait la promesse d’exploration d’un milieu. Celui du journalisme, des infiltrés, du trafic dans tous ses états et de la lutte contre le trafic. Le point de départ historique de ce récit se situe en 2015, lorsque 7,5 tonnes de drogue ont été saisies en plein Paris. Un des acteurs clé et premier mis en cause dans cette saisie a été le commissaire divisionnaire en charge de l’Office Centraxal pour la répression du trafic illicite des stupéfiants. Mais assez vite, on s’éloigne de ce point de départ et j’espère que si le film est encore visible dans 10 ans, lorsqu’on aura oublié les noms et l’affaire, il restera quand même intéressant à voir. Il ne subsistera plus que la fiction avec, en toile de fond, une politique très dense, très documentée. 

Qu’est-ce qui vous a séduit dans le rôle d’Hubert Avoine ?
Roschdy Zem : Très égoïstement, le fait d’avoir à incarner ce personnage que je trouvais très fort dans la façon dont Thierry le présentait dans son écriture. C’était diffus dans mon esprit mais j’avais accès à quelque chose d’assez singulier en terme d’interprétation. L’idée même d’interpréter un homme avec ce parcours, ce bagout, cette histoire à raconter et la façon dont il le fait à travers un échange avec un journaliste, me plaisait beaucoup. Il avait un côté un peu cabot aussi. Sans trop tirer sur les effets, je savais que j’allais pouvoir m’amuser avec ce personnage. Je ne voulais pas paraître dans une forme de caricature, je voulais d’abord aimer ce personnage et surtout le croire, c’était très important. J’ai pu accéder à beaucoup d’enregistrements sonores de ses échanges avec le journaliste de Libération, afin de m’imprégner de sa musique. Il y a une espèce de combinaison entre ce que veut Thierry le metteur en scène, ce que j’ai pu entendre de ces échanges et ce que j’allais apporter. Tout ça faisait que j’avais le sentiment profond de n’avoir jamais eu accès à ce genre de personnage. L’acteur que je suis a été séduit par cela. 

En 2007, vous aviez déjà joué le rôle d’un infiltré dans Go Fast.
Roschdy Zem : Oui, mais de façon beaucoup plus académique. On était dans l’action, il n’y avait pas d’ambiguïté. Le spectateur était immédiatement en empathie avec ce personnage dont il savait pertinemment qu’il était flic à la base. On était dans le format où on a peur pour lui, dans l’intensité. Dans Enquête sur un scandale d’État, il y a quelque chose de beaucoup plus exigeant, c’est un film qui se regarde mais surtout un film qui s’écoute. C’est assez audacieux et cette audace me séduit. La qualité et l’intérêt du film se situent essentiellement là. 

Enquête sur un scandale d'Etat
Pio Marmaï interprète journaliste de Libération.

Vous avez davantage choisi de miser sur les conversations politiques, juridiques et historiques que sur les scènes d’action.
Thierry de Peretti : Oui et non. Si j’avais raconté l’histoire de deux pompiers qui vont au feu peut-être qu’ils auraient moins parlé. Il se trouve que le personnage d’Hubert est un incroyable bavard et le personnage du journaliste aussi. C’est là qu’ils se retrouvent, ils aiment parler, élaborer des théories, exposer leurs expertises. Je les montre dans ce qu’ils aiment faire. Ce sont les personnages qui déterminent le film, le construisent et pas l’inverse. Quand je les ai rencontré, ils parlaient non-stop. Au cinéma, j’ai vu des fusillades liées à des trafics, des camions plein de drogue qui passent des frontières, mais jamais deux personnes qui savent quelle est la réalité du trafic et qui en parlent. J’avais envie que ça passe par la fiction, pas par le documentaire, avec des personnages complexes, ambigus, contradictoires. Si on raconte un journaliste de Libération et sa source, évidemment qu’il va y avoir beaucoup de dialogues, on ne peut pas faire autrement. Roschdy parlait de bagout, ça m’a rappelé qu’Hubert ne supportait pas ce mot, c’était une façon de le réduire à quelqu’un qui serait seulement un beau parleur. Ça discréditait son travail. Ça m’a beaucoup servi pour l’écriture du personnage, je n’aime pas qu’on puisse dire de quelqu’un : « Il est comme ça ». Non, on est comme ça à un moment et puis on change, on n’est pas qu’une seule chose. Et c’est ce qu’on voit aussi chez le personnage d’Hubert. Au fur et à mesure du film, on change notre opinion. On le croit au départ puis, deux jours après, on doute. J’aime ces sensations, pouvoir questionner ce qu’on me donne à voir, ce qu’on me donne à entendre. Libération, ce n’est pas la bible, la presse comme le politique doivent donner des éléments de réflexion. 

Très rapidement, on s’aperçoit qu’Hubert et Stéphane se lient dans une sorte d’obsession autour de cette affaire.
Thierry de Peretti : Complètement, je pense qu’ils sont habités par cette affaire. Je l’étais aussi car c’est un sujet d’exploration, c’était la promesse d’un film. On a l’intuition de quelque chose, on travaille, on explore, on cherche, on se met à comprendre. Il y a un rapport dynamique aux choses, en l’occurrence le trafic de drogue, cette affaire précisément. Ce sont des questions qu’amènent Hubert. Est-ce qu’on a besoin des infiltrés ? Est-ce qu’on doit absolument traficoter pour lutter contre le trafic ? Lui pense que non, mais s’il pense que non c’est qu’il l’a expérimenté physiquement. Il a vu les choses. Ce qui m’intéresse ce n’est pas tellement de savoir si Hubert dit la vérité ou pas, ce n’est qu’un élément, ce qui est important c’est de l’entendre penser, de l’entendre parler du trafic. Quand je l’entend parler de ce qu’a fait François Thierry (Jacques Billard), je me dis que c’est un point de vue. Après je le partage ou pas. C’est intéressant, ça remet en perspective les représentations que je peux avoir sur le sujet. 

Quel travail avez-vous entrepris pour préparer ce rôle ?
Roschdy Zem : On a fait beaucoup de lecture en groupe. Thierry de Peretti comme son nom l’indique est corse, donc avec Pio on s’est isolés dans son village. Cela nous a laissé le temps de travailler mais surtout d’apprendre à nous connaître. C’est la première fois que je jouais avec Pio et que je travaillais avec Thierry. Tout va très vite dans le cinéma, on se retrouve sur des projets avec des partenaires qu’on a rencontré la veille et immédiatement on est censé être amoureux et vivre ensemble depuis vingt ans. Quand on a le temps de s’impliquer davantage, c’est bénéfique pour tout le monde. On arrive à étoffer un peu plus le travail qui nous incombe. Les enregistrements sonores nous ont beaucoup servi. Hubert était quelqu’un qui parlait beaucoup du passé, il était féru d’histoire. Au bout de trois, quatre jours de travail en Corse, on s’est aperçu qu’on avait complètement pris ce qui déterminait les personnalités de l’un et de l’autre. Leur façon de parler, quelques tics qui les caractérisent, leur façon de formuler les choses… J’aime quand ça nous dépasse et qu’on s’en aperçoit à travers les réflexions des autres. Même ma famille me disait au téléphone : « Pourquoi tu parles comme ça ? C’est bizarre. » On sourit parce qu’on comprend ce qui est entrain de se produire mais ce n’est pas quelque chose que l’on maîtrise, c’est quelque chose qui nous dépasse, qui nous investit.
Thierry de Peretti : La question de l’interprétation est importante pour moi, on parle de l’interprétation au théâtre, à l’opéra, en musique. On prend un scénario avec le rôle écrit et on le joue plus ou moins bien. Là il y avait le scénario, le texte, la personne qui a vraiment existé et qui planait, puis tout un travail d’interprétation. Parce que ce n’est pas Hubert tel qu’il était, mais ce sont ses mots.
Roschdy Zem : Ce que j’ai aimé dans la démarche de Thierry c’est qu’il m’a proposé ce rôle alors que je suis aux antipodes d’Hubert Avoine. J’ai aimé cette démarche de ne pas chercher un acteur qui lui ressemble. Et c’est flatteur pour moi de me voir proposer un rôle inspiré d’un homme que Thierry a côtoyé, alors que l’analogie qui peut exister entre Hubert et moi n’est pas évidente au départ.
Thierry de Peretti : Bizarrement, en voyant le film, la ressemblance est flagrante. Mais avant, pas du tout. Peggy, la femme d’Hubert, est restée scotchée. C’est aussi ce que peut produire le cinéma, il n’y a pas eu de transformation physique dans le sens où on a pas cherché la ressemblance. Elle est autre part, c’est plus intéressant que d’être dans une démarche mimétique. 


Propos recueillis le 4 février lors de l’avant-première d’Enquête sur un scandale d’Etat, au cinéma Star Saint-Exupéry, en salles le 9 février 2022.


Par Emma Schneider
Photo Jésus S. Baptista