Vous avez davantage choisi de miser sur les conversations politiques, juridiques et historiques que sur les scènes d’action.
Thierry de Peretti : Oui et non. Si j’avais raconté l’histoire de deux pompiers qui vont au feu peut-être qu’ils auraient moins parlé. Il se trouve que le personnage d’Hubert est un incroyable bavard et le personnage du journaliste aussi. C’est là qu’ils se retrouvent, ils aiment parler, élaborer des théories, exposer leurs expertises. Je les montre dans ce qu’ils aiment faire. Ce sont les personnages qui déterminent le film, le construisent et pas l’inverse. Quand je les ai rencontré, ils parlaient non-stop. Au cinéma, j’ai vu des fusillades liées à des trafics, des camions plein de drogue qui passent des frontières, mais jamais deux personnes qui savent quelle est la réalité du trafic et qui en parlent. J’avais envie que ça passe par la fiction, pas par le documentaire, avec des personnages complexes, ambigus, contradictoires. Si on raconte un journaliste de Libération et sa source, évidemment qu’il va y avoir beaucoup de dialogues, on ne peut pas faire autrement. Roschdy parlait de bagout, ça m’a rappelé qu’Hubert ne supportait pas ce mot, c’était une façon de le réduire à quelqu’un qui serait seulement un beau parleur. Ça discréditait son travail. Ça m’a beaucoup servi pour l’écriture du personnage, je n’aime pas qu’on puisse dire de quelqu’un : « Il est comme ça ». Non, on est comme ça à un moment et puis on change, on n’est pas qu’une seule chose. Et c’est ce qu’on voit aussi chez le personnage d’Hubert. Au fur et à mesure du film, on change notre opinion. On le croit au départ puis, deux jours après, on doute. J’aime ces sensations, pouvoir questionner ce qu’on me donne à voir, ce qu’on me donne à entendre. Libération, ce n’est pas la bible, la presse comme le politique doivent donner des éléments de réflexion.
Très rapidement, on s’aperçoit qu’Hubert et Stéphane se lient dans une sorte d’obsession autour de cette affaire.
Thierry de Peretti : Complètement, je pense qu’ils sont habités par cette affaire. Je l’étais aussi car c’est un sujet d’exploration, c’était la promesse d’un film. On a l’intuition de quelque chose, on travaille, on explore, on cherche, on se met à comprendre. Il y a un rapport dynamique aux choses, en l’occurrence le trafic de drogue, cette affaire précisément. Ce sont des questions qu’amènent Hubert. Est-ce qu’on a besoin des infiltrés ? Est-ce qu’on doit absolument traficoter pour lutter contre le trafic ? Lui pense que non, mais s’il pense que non c’est qu’il l’a expérimenté physiquement. Il a vu les choses. Ce qui m’intéresse ce n’est pas tellement de savoir si Hubert dit la vérité ou pas, ce n’est qu’un élément, ce qui est important c’est de l’entendre penser, de l’entendre parler du trafic. Quand je l’entend parler de ce qu’a fait François Thierry (Jacques Billard), je me dis que c’est un point de vue. Après je le partage ou pas. C’est intéressant, ça remet en perspective les représentations que je peux avoir sur le sujet.
Quel travail avez-vous entrepris pour préparer ce rôle ?
Roschdy Zem : On a fait beaucoup de lecture en groupe. Thierry de Peretti comme son nom l’indique est corse, donc avec Pio on s’est isolés dans son village. Cela nous a laissé le temps de travailler mais surtout d’apprendre à nous connaître. C’est la première fois que je jouais avec Pio et que je travaillais avec Thierry. Tout va très vite dans le cinéma, on se retrouve sur des projets avec des partenaires qu’on a rencontré la veille et immédiatement on est censé être amoureux et vivre ensemble depuis vingt ans. Quand on a le temps de s’impliquer davantage, c’est bénéfique pour tout le monde. On arrive à étoffer un peu plus le travail qui nous incombe. Les enregistrements sonores nous ont beaucoup servi. Hubert était quelqu’un qui parlait beaucoup du passé, il était féru d’histoire. Au bout de trois, quatre jours de travail en Corse, on s’est aperçu qu’on avait complètement pris ce qui déterminait les personnalités de l’un et de l’autre. Leur façon de parler, quelques tics qui les caractérisent, leur façon de formuler les choses… J’aime quand ça nous dépasse et qu’on s’en aperçoit à travers les réflexions des autres. Même ma famille me disait au téléphone : « Pourquoi tu parles comme ça ? C’est bizarre. » On sourit parce qu’on comprend ce qui est entrain de se produire mais ce n’est pas quelque chose que l’on maîtrise, c’est quelque chose qui nous dépasse, qui nous investit.
Thierry de Peretti : La question de l’interprétation est importante pour moi, on parle de l’interprétation au théâtre, à l’opéra, en musique. On prend un scénario avec le rôle écrit et on le joue plus ou moins bien. Là il y avait le scénario, le texte, la personne qui a vraiment existé et qui planait, puis tout un travail d’interprétation. Parce que ce n’est pas Hubert tel qu’il était, mais ce sont ses mots.
Roschdy Zem : Ce que j’ai aimé dans la démarche de Thierry c’est qu’il m’a proposé ce rôle alors que je suis aux antipodes d’Hubert Avoine. J’ai aimé cette démarche de ne pas chercher un acteur qui lui ressemble. Et c’est flatteur pour moi de me voir proposer un rôle inspiré d’un homme que Thierry a côtoyé, alors que l’analogie qui peut exister entre Hubert et moi n’est pas évidente au départ.
Thierry de Peretti : Bizarrement, en voyant le film, la ressemblance est flagrante. Mais avant, pas du tout. Peggy, la femme d’Hubert, est restée scotchée. C’est aussi ce que peut produire le cinéma, il n’y a pas eu de transformation physique dans le sens où on a pas cherché la ressemblance. Elle est autre part, c’est plus intéressant que d’être dans une démarche mimétique.
Propos recueillis le 4 février lors de l’avant-première d’Enquête sur un scandale d’Etat, au cinéma Star Saint-Exupéry, en salles le 9 février 2022.
Par Emma Schneider
Photo Jésus S. Baptista