Confidences autour d'un confinement en 45 tours

Ancien critique ciné aux Inrocks, réalisateur puis désormais journaliste pour Arte, Bertrand Loutte a repris la plume le temps du premier confinement. Pour le compte de l’excellent site Section26, il a réalisé des chroniques en lien avec la situation à partir de ses  vieux 45 tours. L’ensemble de ses textes (45+1 bonus) figure dans 45 tours de confinement, ouvrage mixant l’érudition à l’intime sans occulter une bonne part de drôlerie, paru le 11 décembre aux éditions Chicmedias. Entretien.

Couverture 45 tours de confinement
L'ouvrage de Bertrand Loutte regorge de 45+1 chroniques © Chicmedias

Comment est né le projet 45 tours de confinement ?
De façon totalement accidentelle. J’étais chez moi le soir du premier confinement, le 17 mars, et ma petit famille devait regarder une série à la télé. Je me suis replié dans mon bureau où il y a beaucoup de livres mais surtout énormément de vinyles qui prennent beaucoup de place. Une pièce où mes gamins ne viennent pas, ça leur fait presque peur. Lorsque je parle de cabinet de Barbe-Bleue, ce n’est pas tout à fait faux. Je regardais mes 45 tours, sortant des trucs au hasard des boîtes pour redécouvrir des choses et je tombe sur un disque dont je ne me souvenais plus de son existence. Un truc qui s’appelle The Sound Barrier, qui veut dire le mur du son alors qu’on était en plein dans les gestes barrières. Je l’ai écouté, c’était de la musique instrumentale sur un label très underground (The Compact Organization). J’ai trouvé ça pas mal mais c’est surtout le titre du groupe qui m’a accroché. Je me suis dit qu’il y a surement plein de 45 tours ayant un rapport étroit avec la situation. En cherchant, j’en sors certains que je n’ai pas traités comme Ghost Town des Specials ou la reprise de Dear Prudence des Beatles par Siouxsie & The Banshees. J’en sors une douzaine en me disant qu’il faudrait en faire quelque chose. Le problème, c’est que je n’étais pas sur les réseaux sociaux. Si j’avais eu un compte Instagram, j’aurais pu poster chaque jour une photo de disque sans commentaire. Puis j’ai repensé à cette invitation lancée par Section26, d’écrire pour eux et à laquelle je n’avais jamais répondu. En me disant que ça valait le coup de sortir un disque par jour et d’écrire un texte qui prenne en compte l’aspect musical et la situation qu’on est en train de vivre à la maison, avec la cellule familiale et l’extérieur qui n’est pas immédiatement ouvert. Le lendemain, l’idée trottait encore un petit peu. J’ai rapidement écrit un texte, une espèce de n°0 sur The Sound Barrier, et j’appelle Section26. C’était parti mais il faut se souvenir, qu’à l’époque, on pensait que ce truc allait durer 14 jours… 

Pochette Dinosaur Jr
La reprise de Just Like Heaven des Cure par Dinosaur Jr figure parmi la sélection de 45 tours de l'auteur © Bertrand Loutte

« J’apprends quelque chose qui pour moi était un ennemi et qui se trouve être la discipline »

Dans quelles conditions avez-vous écrit ces chroniques ?
Il faut un ancrage avec le réel, qui peut être un réel global ou réel beaucoup plus autocentré et intime. La maison est le monde, pour reprendre le titre d’un film de Satyajit Ray. Je réfléchissais le soir en ayant quelques idées. Puis, à mon réveil, je me lançais sur le coup de 6-7 heures parce qu’après il y a les gamins qui débarquent. Disons que j’avais deux heures de tranquillité même si ensuite j’ai quelques moments pour peaufiner et finir. Étonnamment, je ne me suis pas enfermé dans mon bureau. Je ne sais pas pourquoi mais j’ai écrit dans le salon. Peut-être pour éviter un surplus de confinement ou de réclusion et qu’il fallait que j’écrive aussi en voyant les mômes débarquer et la famille prendre le petit déjeuner. Donc j’écris le matin puis j’occupe ma journée comme on le faisait tous à l’époque. À la différence près que j’ai une maison et un jardin, ça m’évite de tomber dans un truc hyper anxiogène. Puis le soir, à l’heure de l’apéro, je relis et j’envoie à Section26 qui publie le lendemain à l’heure du café. J’ai 24 heures d’avance sur la publication. Et comme je le dis un moment dans un texte, j’apprends quelque chose qui pour moi était un ennemi et qui se trouve être la discipline.

Pochette 45 tours The Sugargliders
Les chroniques s'accompagnent de photos où les 45 tours se retrouvent "mis en situation". © Bertrand Loutte

Comment opérez-vous pour les photos des pochettes qui accompagnent vos textes ?
Je ne suis pas du tout photographe, je n’ai d’ailleurs pas d’appareil, c’est pour ça que je remercie l’iPhone 6. J’essaye plus ou moins de mettre mes disques en situation. Il y a Free Arthur Lee de The Make-Up que je glisse derrière un grillage au fond du jardin, je monte sur le toit pour poser I Helped Patrick McGoohan Escape de The Teenage Filmstars, puis je mets Gang of Four dans le four d’après des espèces de raccourcis à la con que j’affectionne. Je me souviens qu’un jour, après trente publications, de Thomas Schwoerer (de Section26, ndlr) qui me dit : « Tu as fait trop de photos dans le jardin ces derniers jours, reviens chez toi parce que ça énerve les gens, tu les titilles avec un truc qu’ils n’ont pas forcément » (rires).

Sont-ce les disques qui ont guidé votre sélection ou davantage la situation liée au confinement ?
Les deux en fait. Il fallait à chaque fois qu’il y ait un lien plus ou moins étroit avec la situation, le confinement, le virus, la pandémie ou juste le chez-soi. À un moment, il y a C’mon Kids des Boo Radleys qui correspond à la rentrée des classes pour la zone A. Évidemment, je vais écrire sur des trucs que j’aime. Des fois, je triche un peu et on peut se demander ce que cela a à voir avec le confinement comme You Made Me Realise de My Bloody Valentine. J’ai bien fait puisque c’est le texte qui a le mieux fonctionné en terme de likes sur Facebook (rires). 

Pochette 45 tours Palace
Palace, royal au bar © Bertrand Loutte

J’ai aussi eu envie de raconter des histoires intimes, comme pour Stereolab et Seam. Je parle de musique, de la situation, mais je parle aussi de moi. Ensuite, c’est vrai que sur des trucs moins connus, je peux effectivement dérouler un historique ou une généalogie. Mais je ne réfléchissais pas à tout ça. Je sais que dans les disques qui se sont imposés, il y avait évidemment It’s the End of the World de R.E.M., qui est un groupe que j’aime beaucoup, et I’m Free de The Soup Dragons, qui est une reprise des Stones et ou l’image de la pochette fait penser au virus. Je savais que ce 45 tours serait le dernier. Finalement, j’ai vécu un confinement idéal. Déjà pour mon environnement car j’avais trouvé ce truc. Tous les matins, il fallait que j’écrive. D’une part je redécouvrais les joies de l’écriture et, en plus, j’écrivais vraiment sur ce dont j’avais envie. On ne m’imposait rien du tout, c’était une vraie liberté.

De quoi vous donner des idées pour le confinement numéro 2 ?
Il était hors de question de recommencer ce genre de conneries (rires). Même si, à la fin du premier confinement, je me suis mis sur Facebook, sous un nom qui n’est pas le mien, et je continue un petit peu à balancer des trucs et des photos. Ce livre n’était pas du tout prémédité. Je sais par exemple que ma femme me demande depuis des années pourquoi je n’écris pas un bouquin sur les Sparks, ce genre de truc. Là, j’avais zéro pression. Je n’écrivais pas un livre mais un texte tous les jours. Et il se trouve que ça devient un bouquin, c’est génial. D’autant qu’il n’y avait rien de planifié, c’était une impulsion. 


45 tours de confinement (collection Mes disques à moi – Chicmedias éditions)
Pour découvrir le sommaire, c’est ici.


Par Fabrice Voné