L’enfance de l’art

Les lieux culturels font bien plus que de présenter des œuvres. Leurs actions en direction des publics sont une part essentielle de leur travail, même si elles sont sans doute la moins visible. Il s’agit d’encourager une familiarité avec l’art… entre autres choses, comme on a pu le constater lors d’un atelier de pratique artistique proposé par l’Orchestre philharmonique de Strasbourg.

Les élèves de CM1 de l’école Marcelle-Cahn découvrent l’instrumentarium Baschet.

Rentrer dans une salle de concert, ou dans n’importe quel lieu culturel, ça peut être impressionnant. D’ailleurs, c’est souvent le premier frein à leur fréquentation, avant l’intérêt pour le sujet. Au Palais de la Musique et des Congrès, où habite l’Orchestre philharmonique de Strasbourg, on a aménagé avec la salle Marie Jaëll un endroit plutôt intime pour les pratiques artistiques et autres actions culturelles. Ce matin-là, une classe de CM1 de l’école Marcelle-Cahn des Poteries s’y essayera à l’instrumentarium Baschet, une série de sculptures sonores sur lequel on en apprendra davantage un peu plus tard…

En entrant, les 21 élèves ne laissent pas paraître grand-chose, mais on voit bien dans leurs yeux que c’est un moment à part. Deux d’entre eux sont déjà venus (avec leur enseignant de CE1, apprendra-t-on), pour tous les autres, c’est la première fois. « Vous êtes rentrés dans la grande maison de l’orchestre. » Karen Nonnenmacher, la musicienne intervenante de l’OPS, qui anime cet atelier et tous les autres, en remet une petite couche. Puis rentre tout de suite dans le vif du sujet. « D’ailleurs, c’est quoi un orchestre ? » En fait, les élèves ne sont pas intimidés du tout, ils sont surtout excités. La forêt de doigts levés atteste qu’en plus d’être disciplinés, ils sont au taquet sur le sujet. Pendant l’introduction de Karen, ils ont réponse à toutes les questions. Ils savent déjà tout sur le chef d’orchestre, connaissent les familles d’instruments et Mozart, qu’il existe des ciné-concerts. Et c’est nous qui sommes impressionnés. On sent que leur enseignant, Idris Meziane, les a bien préparés. « On fait de la musique à l’école, confirme-t-il, cette année ils ont appris la différence entre tempo, rythme et pulsation, les quatre paramètres du son… » On n’a pas souvenir de ça lors de nos années d’école élémentaire…

« Pourquoi décide-t-on d’aller au concert ? », continue Karen. « Pour s’amuser. » « Parce que ça fait plaisir d’écouter de la musique. » « Pour découvrir de nouveaux sons. » Pas mal. « Pour essayer de sortir des habitudes. » « Pour écouter de la bonne musique jouée par des professionnels. » Bien joué. Une élève déterminée gardera même le doigt levé pendant cinq bonnes minutes, ce qui en dit autant sur sa condition physique que sur son enthousiasme.

« Maintenant, c’est vous les musiciens. »
« Ouuuaaaaais ! »

Évidemment. Karen a ses troupes bien en main, et on sent que la séance est rodée. Pas question de se laisser déborder. Même s’il n’est pas nécessaire d’apprendre la musique pour faire résonner ces drôles d’instruments imaginés par les frères Baschet pour les enfants des écoles, la rigueur reste de mise. « Quand on est musicien, il y a une chose qui est importante, c’est la façon dont on se tient. » Mais avant de jouer, petite démo des instruments, qu’on frappe, frotte, fait vibrer pour en tirer de drôles de sonorités.
« Han c’est trop stylé ! » « Et celui-là, écoutez bien, dites-moi si vous voyez l’arc-en-ciel… » « Moi je l’ai vu ! » « Et là, on va voir si vous voyagez. » « J’ai vu un singe ! » « Moi un tigre qui me poursuit ! » Avant que ça ne se dissipe trop dans les rangs, on passe à la pratique. Et on s’installe, deux enfants par instrument. « Quel bel orchestre ! » commente l’enseignant. « On va tous jouer en même temps ? » « Oui, mais on va mettre plein de règles ! » précise Karen. Il faut apprendre à manier les tiges, à bien les prendre en main, à taper rapidement mais doucement, à faire des crescendo… et surtout, à démarrer et s’arrêter en même temps… Un sacré challenge. Jouer ensemble, c’est aussi apprendre à écouter les autres, à regarder, se concentrer.

Entre théorie et pratique, l’atelier d’une heure est particulièrement dense. « C’est très très bien les enfants, les félicite Karen après un crescendo maîtrisé et un arrêt synchronisé. Dans un orchestre, il se passe la même chose. Il faut être super concentrés, et vous avez été super concentrés. » C’est vrai. Et du côté des élèves ? Évidemment, l’enthousiasme est général. « Mais bon, ça fait mal aux genoux quand même. » « Moi t’façon, j’aime pas la musique. » Soit. Et maintenant ? Idris Meziane donne à ses élèves le programme de l’après-midi : « On écrira ce qu’on a ressenti dans le cahier de musique. » Et à nous, il explique que dans ces ateliers, il y a « plein d’angles d’attaques, plein d’apprentissages, plein de compétences transversales, toujours dans le plaisir. » Si celui-ci est le seul que la classe fera avec l’OPS (la liste d’attente est longue), il en a prévu plein d’autres, dans tous les domaines : sciences, sport, arts, et notamment un projet dans le cadre de l’exposition Marcelle Cahn au MAMCS. « Tout ce qui n’est pas une priorité dans les textes officiels mais l’est dans la vie et donne du sens aux maths et au français », résume l’enseignant. « Fréquenter des œuvres, en parler, écouter les autres, c’est de l’intelligence sensible, c’est quelque chose d’important. Vraiment. Et dans l’acte de produire, les élèves montrent un potentiel génialissime. » Ce n’est pas nous qu’il faut convaincre.


Orchestre philharmonique de Strasbourg


Par Sylvia Dubost
Photos Pascal Bastien