La mise en scène de Gens du Pays a-t-elle également germé suite à des projets scolaires ?
L.C. Le choix de ce texte puise son origine dans un précédent travail qui était la question des Utopies, un projet qu’on a mené de 2016 à 2018, au lendemain des attentats de Charlie Hebdo. Je travaillais à la Comédie de Colmar et j’avais des élèves en option théâtre, tout le monde était complètement secoué. Je me disais, ces gamins ont 18 ans, ils traversent un certain nombre de choses, le monde qu’on leur laisse n’est pas génial. Chômage , attentats, climat… De là je me suis demandé : Quels sont leurs rêves ? Comment voient-ils demain? Et donc m’est venue l’idée de travailler sur toute l’Alsace avec des classes de lycées professionnels et généraux, on a associé deux auteurs à ce travail : Luc Tartar et Daniel Keene. La première année, les jeunes gens écrivaient leurs rêves et mes élèves en option théâtre se saisissaient de leurs textes pour les jouer. La deuxième année, j’ai proposé aux deux auteurs associés de s’inspirer de certains écrits, des rencontres et d’écrire chacun une pièce qu’on est ensuite allé jouer dans toute l’Alsace. Consigne avait été donnée de ne surtout pas faire une photocopie de ce que disent les jeunes gens mais d’essayer de trouver leur propre chemin. Le but était que les élèves voient la distance entre un sujet proposé et l’acte de création. C’était un projet très conséquent et passionnant. Quand on parle d’utopies, forcément on parle aussi de dystopies, de comment on vit aujourd’hui, de comment on se sent. J’ai été frappé par une jeune fille à Mulhouse qui me dit lors du processus : « Moi je suis Française mais je ne serai jamais Française. Il y a eux et il y a nous. » En gros, il y a les Français « de souche » au-dessus et les autres en-dessous. Elle était française d’origine kurde et ses propos m’avaient terriblement secoué. Il y en avait d’autres, essentiellement des jeunes filles dont l’une me dit : « Moi je ne supporte pas la façon dont on regarde ma mère. » Car sa mère portait le voile. Et je me suis demandé : « Quand va-t-on arrêter de poser la question de la nationalité à ces jeunes gens ? ». Au même moment, Marc-Antoine Cyr qui est un auteur d’origine québécoise avec qui j’ai déjà travaillé me dit : « C’est dingue, j’ai écrit un texte qui s’appelle Gens du Pays et qui parle exactement de ça.»
Avec Gens du Pays, vous abordez la question de l’identité à travers l’histoire de Martin Martin.
L.C. C’est effectivement l’histoire d’un jeune garçon qui s’appelle Martin Martin comme s’il s’appellerait Français Français. Il vit seul avec sa mère et le soir, il s’échappe un peu de chez lui et va dans ce que Marc-Antoine appelle poétiquement le territoire des loups. Une espèce de territoire assez indéterminé à la frontière des villes. Derrière ces loups, on peut imaginer des petits dealers et tous les dangers qu’il y a en périphérie des villes. Un jour qu’il est en train de frayer avec les loups, il met le feu à une poubelle et se fait attraper par la police. On va assister à rebours à plusieurs moments. On le voit à l’école, où il a un prof de français qui s’appelle Kevin Kevin, et ce dernier a un grand projet pour sa classe, il veut parler de la diversité culturelle de ses élèves, c’est un projet très généreux. Et en même temps, on le retrouve au bureau de police où il se fait interroger par une « fliquette » qui s’appelle Laurie Laurie. Il n’a pas ses papiers sur lui et elle lui pose tout de suite la question de l’identité. Le môme lui répond : « Je m’appelle Martin Martin » et elle dit : « C’est bizarre parce que tu n’as pas un physique qui ressemble à un Martin Martin.» Il y a une double injonction à ce môme, il est écartelé entre l’école et ce prof ultra généreux mais qui se trompe et la policière qui met en doute son identité. C’est une pièce d’exposition qui pose la question de quand va-t-on arrêter de demander aux gens d’où ils viennent et qu’est ce qui fait l’identité de quelqu’un ? Sont-ce ses papiers, sa couleur ?
Gens du Pays
– Le 30 novembre à l’Espace Rohan de Saverne
– Le 2 décembre au CSC Sarre-Union
Par Emma Schneider
Photos Grégory Massat et Julie Schertzer