Un été sur l'eau

Premier été pour le nouveau quai des Bateliers, qui marque la volonté de la ville de renouer les liens distendus entre les Strasbourgeois et l’eau. Pour le plaisir, mais pas seulement. Focus sur quelques projets, pour profiter de l’été au bord de l’eau.

Pontons flottants en bords de l'Ill Strasbourg © Simon Pagès
Les pontons flottants, quai des Bateliers, sur les bords de l'Ill. Photo : Simon Pagès

Un peu d’histoire
« C’est l’eau qui a fait la richesse économique et donc culturelle de Strasbourg », rappelle Jean-Luc Marchal, ex-chargé de mission à la ville de Strasbourg, qui a piloté l’aménagement des quais. Strasbourg est certes une ville rhénane, mais c’est d’abord une ville construite sur l’Ill, dont les bras et les affluents structurent la ville. C’est par là que, jusqu’à la fin du XIXe siècle, arrivent ou transitent les marchandises, donc les richesses, et les savoirs, qui ont fait du Strasbourg médiéval un épicentre bancaire et intellectuel, une ville suffisamment riche pour se doter d’un patrimoine architectural remarquable.

Des infrastructures portuaires médiévales émaillent toute ville, devant l’Ancienne Douane, mais aussi (entre autres) à l’emplacement de l’actuel parking des Bateliers, rue de Zurich, où passait l’ancien canal du Rheingiessen, comblé en 1872, qui reliait l’Ill au Rhin. D’autres quais de déchargement sont installés quai des Pêcheurs et à côté de la rue du Dragon. La corporation de l’Ancre, qui regroupe bateliers et constructeurs de bateaux, a un poids économique et politique considérable dans la ville libre, notamment parce qu’elle détient le monopole de la navigation fluviale entre Strasbourg et Mayence.

Ce qu’on sait moins en revanche, c’est que jusqu’à la fin du XIXe, on se baigne dans l’Ill. De nombreux bains fluviaux émaillent alors les rives, quai Finkwiller ou quai Saint-Thomas, dont les cabines de change rappellent celle des Bains municipaux. Sans parler des joutes nautiques médiévales ou des compétitions de natation qui s’y déroulent encore dans les années 60. « Dans la représentation mentale de la ville, l’eau est structurante », résume Jean-Luc Marchal.

Alors, que s’est-il passé ? Le port se déplace vers le Rhin, et pourtant l’Ill n’est plus un lieu d’agrément. À la fin du XIXe siècle, on commence à s’éloigner de l’eau pour des questions d’hygiène, elle devient plus sale car les égouts qui y sont déversés sont plus toxiques, et le seuil de tolérance s’abaisse. Le dernier bain fluvial, sur les rives de l’Aar au Contades ferme dans les années 50, et l’usage des bateaux-lavoirs tombe en désuétude dans les années 60. « À partir des années 60, l’eau devient un lieu noir, raconte Jean-Luc Marchal. Certains urbanistes ont même des projets pour recouvrir la rivière. À Nantes, tous les bras ont été fermés, à Mulhouse, une partie du canal est souterrain, de même que le canal Saint-Martin à Paris. » En revanche, il l’assure, « l’eau sera une priorité des prochains mandats, car toutes les villes s’attachent à cela, regardez Paris ! Aux prochains JO, les épreuves de natation auront lieu dans la Seine. À Zurich, il y a deux ans encore la rivière était un égout à ciel ouvert, maintenant on s’y baigne. »

Trois Badi, ou bains fluviaux, sont en effet accessibles en ville, à Bâle on nage dans le Rhin, et le musée suisse d’architecture, à Bâle également, consacre actuellement une exposition à ce mouvement mondial. À Montréal aussi, on nage dans le Saint-Laurent. Le monde entier rétropédale et se remet à l’eau.

Ponton au parc du Heyritz à Strasbourg © Simon Pagès
Le ponton traversant le parc du Heyritz à Strasbourg. Photo : Simon Pagès

Quai des baigneurs ?
Pour Jean-Baptiste Gernet, adjoint en charge de la vie fluviale depuis 2016, « les baignades urbaines sont révélatrices d’un nouvel enjeu de lutte contrer le réchauffement urbain et d’un lien à retrouver avec la nature dans la ville. » C’est sûr qu’on sera content de piquer une tête quand il fera 50°C en 2050 et que les piscines seront saturées… Le succès de l’Open swim Stras en avril dernier (qui devrait connaître une nouvelle édition au centre-ville l’année prochaine) a permis de « mettre le pied dans la porte », comme il le formule, et d’instiller l’idée qu’on peut se baigner dans l’Ill. Cela dit, or événement, la baignade urbaine à Strasbourg, ce n’est pas pour cette année, et certainement pas au centre-ville. Plutôt le long du Herrenwasser, entre la Grande Mosquée et la Montagne Verte, site que la végétation, la présence d’une piste cyclable et la proximité des quartiers populaires rendent plus intéressant. Les analyses déjà réalisées l’an passé seront reconduites cette année pour vérifier si l’ouverture d’une baignade est envisageable, potentiellement en 2020.

Clairement, la baignade serait un symbole fort de ce rapprochement entre les habitants et l’eau, dont la municipalité s’est vigoureusement emparée. Mais le contact doit être plus quotidien pour être tangible. « On s’est détaché de l’eau intellectuellement, rappelle Jean-Luc Marchal. On ne se la réapprorie pas comme ça… » Le succès du réaménagement par le paysagiste strasbourgeois Alfred Peter du quai des Bateliers, a marqué l’étape la plus visible de ce retour à l’eau.

Les pontons flottants simplifient le rapport physique à l’Ill, située à 3-4m en dessous du niveau de la rue et désormais à portée d’orteil. Lieu de passage, surtout automobile, le quai des Bateliers est devenu une destination, non seulement pour les touristes mais aussi pour les Strasbourgeois, qui fréquentent sans doute moins l’eau que les premiers, notamment par le biais des croisières Batorama. La suite du projet, qui s’étend du quai Finkwiller au quai du Maire Dietrich, est en route, avec le quai des Pêcheurs et la restauration des berges sous la Gallia (le quai du Maire Dietrich, justement) en préambule à leur aménagement, reporté quant à lui après les élections municipales. « Sur le quai des Pêcheurs, on pourrait planter une forêt avec des espèces endémiques, nous fait rêver Jean-Luc Marchal. C’est une possibilité technique, car c’est là que les quais sont les plus larges. » Une poche de fraîcheur supplémentaire bienvenue en cas de canicule…

Ponton Captain Bretzel.
Un autre ponton, celui de Captain Bretzel.

L’Ill devient route
Ce rapprochement passe aussi par une série d’autres réalisations (bases nautiques, terrasses flottantes, etc.). Mais si l’Ill doit redevenir centrale, elle ne peut pas être qu’un lieu d’agrément. L’intitulé de la charte de partenariat entre Strasbourg et Voies Navigables de France, établissement public gestionnaire de la plupart des cours d’eaux au centre-ville, vaut à ce titre de programme : « Construire ensemble la ville européenne fluviale de demain ». L’eau doit redevenir structurante, et cela passe notamment par le développement du transport fluvial.

Le quai logistique installé quai des Pêcheurs, le Fischerstaden, est actuellement en cours de test, avec l’acheminement de matériaux pour les chantiers de la Manufacture des Tabacs et des Bains municipaux. Un enjeu de taille pour un mode de transport très vertueux : « le transport fluvial se substitue intelligemment à la route, explique Jérémie Leymarie, adjoint au chef du service développement chez VNF, on diminue les émissions de CO2. Une péniche Freyssinet chargée équivaut à 12 camions. » Ceux qui circulent en ville sont rarement pleins, « cela permettrait d’éviter une multitude de petits trajets ». L’idée est de créer ici un hub d’où la marchandise serait répartie vers les commerces par vélos cargos, triporteurs ou engins électriques. La ville met d’ailleurs en place dans ses marchés publics une clause pour les transports par voie d’eau, et la SPL Deux-Rives, qui pilote le projet du nouveau Strasbourg qui s’avance vers le Rhin, a dépollué les terres de l’îlot Starlette directement sur des barges, plutôt que de les évacuer, évitant la circulation de 8000 camions pendant la durée du chantier. Mais il faut d’abord convaincre les commerçants. Avec des arguments économiques (le coût peut s’avérer inférieur ou supérieur au transport routier suivant la distance et les quantités), mais d’abord en changeant les habitudes. 

Pour Jérémie Leymarie, « la culture du fluvial s’est étiolée, la culture des bateliers aussi. Il faut expliquer, faire comprendre, donner des méthodes. » Pour Jean-Baptiste Gernet, « l’eau est un espace public, où l’on doit retrouver toutes les fonctions de la ville : loisir, mais aussi fonctions économiques, commerciales, et logement ». Un quartier flottant est ainsi à l’étude le long du quai Jacoutot. Installé sur des pontons, comme aux Pays-Bas, ce serait une opération pilote en France, qui permettrait aussi de proposer des logements de qualité à des prix abordables, puisqu’il n’y a pas de coût du foncier. « Mais on n’en est qu’au tout début. » Comme quoi, l’avenir est toujours à la fois un bond en avant et un retour aux sources.

Port autonome de Strasbourg © Pascal Bastien
Le Port Autonome de Strasbourg. Photo : Pascal Bastien

Port Autonome de Strasbourg

Difficile de parler du rapport de Strasbourg à l’eau sans évoquer son port, qui se déplace vers le Rhin à la fin du XIXe siècle, lorsque sont creusés le Bassin d’Austerlitz, puis les Bassins du commerce et de l’industrie qui le connectent au Rhin. Géré par le Port Autonome de Strasbourg depuis 1926, c’est le 2e port fluvial de France, avec près de 8M de tonnes de marchandises par an. Sur un territoire de plus de 1000 ha (10km sur 1km), il accueille 320 entreprises et 10 000 emplois, formant ainsi la 1re zone d’activités de la région Grand Est. Les quartiers en construction à l’est de Strasbourg doivent justement relier la ville à la fois au port et au Rhin.

Lire aussi notre reportage dans le n°29

L’été au bord de l’eau

Buller sur les quais

Depuis leur installation en novembre dernier, les pontons flottants sont investis à toute heure de la journée, et même en toute saison. On parie sur une prise d’assaut quand Lux, le son et lumière d’été, s’affichera pour la première fois sur les façades du quai. On préfère y venir avec un café tôt le matin, avant la foule et les grandes chaleurs.
Du 6 au 31 juillet à 22h30, du 1er août au 1er septembre à 22h15

Se croire à la plage

Les docks d’été reviennent et transforment le parvis de la médiathèque en plage urbaine avec transats, parasols, pédalos et kayaks. Avec des animations gratuites pour tout le monde, à partir de 3 ans.
www.strasbourg.eu

Profiter d’une terrasse éphémère

Après le succès qu’a connu l’an passé cette terrasse éphémère et flottante installée le long du quai Saint-Jean, le Botaniste revient au Lavoir et nous ressert bières fraîches, cocktails subtils, bons vins et assiettes à partager. Une bulle de fraîcheur et de verdure.
À partir du 4 juillet

ZUT Magazine—Batorama-Strasbourg et l'eau
Naos, le bateau taxi de Batorama.

Se croire à Venise

Batorama, filiale du Port Autonome qui opère les bateaux de tourisme sur l’Ill, lance Naos le 29 juillet, un élégant bateau électrique qui peut accueillir jusqu’à 11 personnes, pour des événements très « riviera ». Conduit obligatoirement par un pilote, il fera aussi office de bateau-taxi. On réserve son trajet via le site, et on peut se faire conduire sur l’eau, d’un ponton à l’autre, entre Citadelle et Finkwiller, via place d’Islande, Rivétoile ou le ponton Rohan. So chic ! L’été sera une période test, avant le baptême du beau Naos à l’automne, par l’archiprêtre de la cathédrale.
www.batorama.com

Ill Vino, quai des pêcheurs, strasbourg
La péniche Ill Vino à Strasbourg, quai des Pêcheurs.

Jouer au capitaine

La ville de Strasbourg et Voies Navigables de France ont soutenu la mise en place de bases nautiques pour bateaux électriques sans permis. Elles sont opérées par Marin d’eau douce, installé quai Woerthel à la petite France, et par Captain Bretzel sur les fronts de Neudorf. Ce dernier vient d’ailleurs de déménager au pied de la tour Elithis et des Black Swans, sur un site plus proche du centre-ville et plus accessible. On peut piloter des bateaux de 5, 7 et 11 places sur des itinéraires de 1h à une journée, un petit tour aller-retour vers le Heyritz ou un plus long périple qui nous emmènera jusqu’au Château de l’Ill à Ostwald. Avec un permis ou un skipper, on peut aussi opter pour une croisière de 3h au cœur de Strasbourg, à travers la Petite France. On aime la possibilité de réserver un panier apéro ou anniversaire. À noter que la terrasse flottante de la base peut aussi accueillir des évènements et anniversaires pour enfants.
www.captainbretzel.eu

Déguster de bons crus

À Strasbourg, on est depuis longtemps habitués aux apéros sur berge ou péniche. Le long du quai des Pêcheurs, Ill Vino est le repaire, comme son nom l’indique, des amateurs de vin. Sur la péniche Bacchus et la terrasse tout récemment réagencée, on peut découvrir une très large sélection de vins, à déguster au verre ou en bouteille, à accompagner d’une planchette ou d’autres gourmandises. Et une fois par mois, elle se transforme en « péniche du rire » pour accueillir des comédiens de stand-up. Pour ça, en revanche, il faudra attendre la reprise de saison à l’automne ! – www.illvino.com

Et bientôt…

La société Boathome, qui avait présenté à Strasbourg ses maisons sur l’eau, installera courant octobre un restaurant bistronomique dans l’un de ses modules, installé le long des Docks Malraux, aux côtés de l’ex-cabaret onirique et du Barco Latino.


Par Sylvia Dubost