Le sport au centre de réadaptation

Le sport hors les clubs
Saison 1 | Épisode 1/4
CENTRE DE RÉADAPTATION

Nouvelle saison, nouvelle série dédiée au sport, cette fois pratiqué dans des lieux qui ne lui sont pas dédiés. Exit les salles de fitness, les club-houses et les hangars à cross fit, place à la prison, aux maisons de retraite, aux hôpitaux psychiatriques et, pour ce premier opus, au Centre de réadaptation fonctionnelle Clemenceau. Où il sera question de prothèses, de ramasses-balles, de machines infernales et même d’une Smart.

Au Centre Clemenceau se côtoient autant de destins que de personnes. Et au regard de son camarade, on relativise, quels que soient son cas, sa pathologie, son mal. Ici, tout le monde a un combat à mener, et il n’y a rien de guerrier à cela. Le sort de chacun est mêlé à celui du voisin. « Établissement de référence en Alsace dans le domaine du handicap, l’Institut Universitaire de Réadaptation Clemenceau (IURC) assure la rééducation des adultes et des enfants, en hospitalisation complète ou de jour, dans le champ de la traumatologie, de l’orthopédie, de la neurologie, de l’appareillage, de la rhumatologie et de la cardiologie », détaille le site officiel. Le Centre compte deux antennes, l’une à Strasbourg, qui prend en charge des pathologies de l’appareil locomoteur, y compris l’amputation, les pathologies du système nerveux ainsi que les pathologies infantiles ; l’autre à Illkirch pour les pathologies du système nerveux (accidents vasculaires cérébraux, maladies neurologiques dégénératives, etc.) et des troubles cognitifs importants après traumatisme crânien. Il accueille en hospitalisation complète et en hôpital de jour des personnes atteintes de troubles métaboliques ou nutritionnels (diabète, surpoids). Les deux fonctionnent à l’unisson, jusqu’à se croiser les mercredis après-midis, dans le gymnase Clemenceau, pour des séances de sport collectives.
L’entrée dans la salle est impressionnante. Ce que l’on imagine, parfois pour le pire, ce que l’on nous raconte dans des campagnes de sensibilisation ou de prévention prend ici corps. Les destins sont brisés parce que la mécanique a cassé. Et qu’il s’agisse de lombalgie aiguë, d’amputation, de rupture des os, des tendons ou de tout ce qui peut rompre, il y a une égalité, celle de la douleur et du combat ; pour se relever de ses blessures, comme pour se relever au sens premier. Le gymnase du centre Clemenceau est divisé en trois espaces : le premier est consacré aux activités physiques et sportives (ping-pong, badminton, exercices à la barre), le deuxième est dédié au réentraînement à l’effort (tapis de marche, ergocycle). Quant au troisième, c’est pour la musculation et le développement de la force. « Apprendre à bouger avec son corps, sentir la douleur, se remettre en mouvement, c’est déjà beaucoup », témoigne Audrey, dos en vrac mais l’œil rieur.
Autour des terrains et des tables, Edmond marche avec ses bâtons, parfois dans l’euphorie son pas s’accélère et prend des allures de galop : « Pour moi, c’est très important ces cours de sport, ça me donne le moral, ça me fait avancer parce que j’espère toujours retrouver la vie que j’avais avant. » Cet avant, c’est une chute de 10 mètres sur son lieu de travail : colonne vertébrale écrasée, multiples fractures à la jambe, traumatisme crânien, oreille gauche foutue, entre autres. « J’ai toujours fait beaucoup de sport, ici c’est une façon de retrouver un peu ça. C’est pour ça que je veux parfois en faire plus, je suis borné c’est vrai, mais c’est parce que je veux pas lâcher. Faut en vouloir, tout le temps, sinon tu coules. Moi je veux avancer ! » Son pas ne faiblit pas, sa marche est déterminée. Il le dit, il choisit d’en sourire, il n’a pas le choix.

Par-delà la douleur

Les patients sont encadrés par plusieurs éducateurs sportifs, qui passent eux aussi d’un atelier à l’autre, dans un roulement qui rappelle les belles heures des cours d’EPS. « On a tous des petites spécialités, liées à notre cursus, mais on intervient dans tous les ateliers. Ça nous permet d’accompagner les patients pendant les différentes étapes, de les suivre sur le long terme. » Ce qui très vite étonne, c’est la constitution des groupes : les patients ne partagent pas tous les mêmes pathologies. « À cause de la multiplicité des patients, on ne peut pas les regrouper en fonction de leurs symptômes, c’est pour ça qu’on réfléchit à des programmes communs. Pendant la séance, on adapte certains exercices. Mais le mélange des pathologies est intéressant, ça permet à chaque patient de relativiser par rapport à son voisin, de mettre en perspective sa douleur. Ça crée une dynamique intéressante. Même si c’est vrai que pour nous, en tant qu’éducateur sportif, c’est important de pouvoir aller parfois plus loin dans certains exercices adaptés spécifiquement à la pathologie du patient », témoigne David Seitz.
Après l’échauffement et le circuit training (un ensemble d’exercices permettant de travailler notamment les flexions), place à l’aspect le plus ludique du programme : tennis de table et badminton. Les niveaux sont variables mais l’implication est totale. Et quand vint l’heure du ramassage des balles, miracle ! Un petit panier métallique porté à bout de bras piège les balles, dispensant de tout effort supplémentaire et superflu le patient repu. « Les paniers sont faits maison ! », s’amuse David Seitz, avant d’envoyer tout le monde à l’atelier suivant.
Au fond du gymnase, la salle qui fait peur : celle des machines. C’est la salle de musculation et là ça rigole un peu moins. Thierry, lui, intimide. Dans son fauteuil, jambe gauche amputée, bras couvert d’un tatouage tribal, cheveux poivre et sel, coupe militaire (qu’il fût), il est aussi grand que large et fort. Alors, sa présence dans un fauteuil crée cette étrange sensation de grande fragilité pour un être d’une puissance manifeste. « J’ai eu un cancer qui s’est glissé dans les articulations. Ils ont coupé. J’attends ma prothèse maintenant. Mais c’est long, et rien ne se fait tout seul. Là, je renforce, la jambe droite qui va tout supporter, et le haut du corps. Pour moi, les cours de sport font partie de mon programme, le sport en soi ça ne m’intéresse pas, je fais ce qu’il faut pour aller mieux. Quand on perd une jambe du jour au lendemain, c’est pas simple de garder le moral. Alors je fonce et je travaille pour ça. » À côté de Thierry, Brigitte tente de prendre le dessus sur une autre machine à faire pâlir. « Je suis atteinte de la maladie de Charcot-Marie-Tooth, une maladie neurologique qui demande beaucoup de travail de renforcement. Alors je viens ici 5 jours par semaines, faire les différents exercices. » Brigitte paraît si calme.

Un peu plus loin, un homme mouline sur une étrange machine lui tendant un écran en retour. Malgré l’effort, l’homme est souriant, sa jambe gauche barrée de deux immenses cicatrices et d’un pansement si grand que l’on croit imaginer le mal qu’il cache. Patrick : « J’ai eu un accident de voiture, choc frontal, ma vie a basculé d’un coup. J’étais ingénieur, je me préparais à une reconversion en tant que moniteur de ski… Soit ils coupaient, soit ils tentaient le coup. Je travaille pour récupérer la fonction de ma jambe, reprendre la marche, le sport, même si ça ne sera jamais comme avant. » Le sport, entre ces murs, perd de son pouvoir ludique mais il demeure un parfait exutoire. Yann Coiseur et Caroline Boquel, deux autres éducateurs sportifs, travaillent dans ce sens, avec ce même objectif : « Redonner confiance aux patients, leur permettre de réapprendre à bouger leur corps, à connaître leurs limites. » Le Centre leur permet aussi de réapprendre les gestes du quotidien, dans un appartement-test spécialement aménagé, où ils peuvent passer le balai, faire la cuisine, leur toilette, dresser une table. « Il y a même une voiture, rigole Patrick. C’est une Smart. Bon, par contre ce n’est pas le meilleur choix parce que paradoxalement, à l’avant, il y a plus de place que dans une voiture classique. C’est plus simple d’y rentrer ! » Voilà un argument auquel la marque pourra réfléchir…
La dernière séance avant la cantine est dédiée à un groupe uniquement composé de personnes amputées, qui cette fois-ci travaille avec un kinésithérapeute. « La plupart des amputés ici le sont d’un membre inférieur, explique Jean-Michel Chemidlin. Avec eux je travaille surtout sur la motricité. Dans cette salle, ils peuvent élargir leur périmètre de marche, on peut travailler les sensations sur les appuis. » Au sein de ce groupe, il y a Dominique, tombé de son camion, et qui appréhende sa nouvelle jambe de métal. « Le sport m’aide à retrouver un peu la vie d’avant. Le mieux c’est la musculation, c’est là que je me sens prendre le dessus sur mon sort. » Larby, 71 ans et dont la retraite n’a plus la saveur espérée, évoque lui aussi le sort. « J’ai travaillé 43 ans, puis j’ai profité trois ans de ma retraite. Je cherchais mes petits-enfants en voiture, je faisais de la bicyclette, du jardinage, du football. Un matin, je me suis réveillé avec une grosse douleur à la jambe. J’avais une calcification des artères. On m’a amputé. Six mois plus tard, j’ai eu la même chose à l’autre jambe, et on m’a amputé aussi. Aujourd’hui, j’apprends à vivre sans mes jambes mais avec des prothèses. C’est le destin. » Ce seront ses seuls mots convoquant la fatalité, car Larbi, comme les autres patients rencontrés ce jour-là, font état d’une volonté sidérante. Et leur pratique du sport en est une belle expression.

Note : Merci à Naomy D’Imperio, référente en communication du Centre, qui a rendu possible ce reportage.


Par Romain Sublon
Photos Pascal Bastien