nuancier couleur au calage de l'impression de l'affiche Jazzdor 2018. Lézard Graphique, atelier de sérigraphie, Brumath.

Lézard Graphique,
40 ans de sérigraphie

L’histoire de l’atelier de sérigraphie Lézard Graphique, commence en 1979, rue des Poules à Strasbourg. 40 ans plus tard, Jean-Yves Grandidier, son créateur, n’a rien perdu de sa passion pour cette technique d’impression, qui a su traverser le temps. Reportage au cœur de la fabrique d’affiches à Brumath.

Jean-Yves Grandidier, fondateur de Lézard Graphique, atelier de sérigraphie, Brumath. © Pascal Bastien
Jean-Yves Grandidier, fondateur de Lézard Graphique, atelier de sérigraphie à Brumath. © Pascal Bastien

Fils de graveur, formé aux Beaux-Arts à Nancy, puis aux arts plastiques à Strasbourg, Jean-Yves Grandidier est né dans le papier. Étudiant, il imprime ses premiers tracts politiques et des affiches de concert en sérigraphie « parce que c’est la technique la plus basique, et qu’à l’époque, il n’y a pas plus rapide pour communiquer ! ». À 25 ans, il se lance et crée la première mouture de Lézard Graphique avec un ami des Arts Déco.
Les 100 
minitiaux ont prospéré au fil du temps, jusqu’à prendre leurs aises dans ces 1300 mà Brumath, en 2002.

Au cœur de cet atelier rempli d’affiches et de vapeurs d’encres, la filiation avec les arts graphiques saute aux yeux, pourtant l’imprimeur se définit comme « un artisan qui fait bien son métier… Quand un boulanger fait du bon pain, on ne le baptise pas boulanger d’art ! », s’amuse-t-il.

« Je ne me serais pas vu travailler dans l’impression offset, trop mécanisée, trop aseptisée. J’ai besoin de cette part d’imprévisible qui caractérise la sérigraphie. Il y a tant de paramètres qui influencent l’impression que le savoir-faire de l’homme a toute son importance pour le résultat final ! »

Un savoir-faire qu’il s’est appliqué à transmettre à ses jeunes recrues au fil du temps, parce qu’il n’existe pas de formation à la sérigraphie dans la région. Par choix, par conviction, il en a profité pour faire travailler des gens en difficulté et leur apprendre un métier. « Parfois, ça ne prend pas et d’autres fois c’est une révélation, comme avec Sébastien, qui a commencé chez nous pendant son BTS en alternance et qui dirige aujourd’hui l’atelier. »
Composée d’une dizaine de personnes, l’équipe est solide, ancrée – encrée – parfois depuis plus de 20 ans dans une production qui va de l’unité à quelque 20 000 pièces. 

« À la première rencontre, j’explique cette technique millénaire, un peu rustique, qui produit aujourd’hui des circuits imprimés de téléphones portables, le fond des poêles Tefal ou les commandes des tables à induction… Sans le savoir, on touche tous les jours des produits sérigraphiés ! » Impression d’objets, impression textile et pour l’industrie comptent aujourd’hui beaucoup pour l’avenir de la profession. Mais chez Lézard Graphique, la norme reste l’impression à plat, sur des écrans jusqu’à 1,40 mètres sur 1,80. Par contre, les supports peuvent varier : du papier bien sûr, mais aussi du plexiglas, du verre, du métal, de l’aluminium.

« Toutes les impressions réalisées ici sont impossibles avec un autre procédé. »

Dans sa recherche d’excellence, Jean-Yves a toujours utilisé les meilleures technologies, comme ces deux grandes machines semi-automatiques qui reproduisent le mouvement des mains qui étirent l’encre sur l’écran ou cette première machine vue en France pour fabriquer les écrans -ou châssis- de toile tendue qui accueillent l’encre et révèlent l’impression d’un aplat de couleur, d’un mot ou d’une trame. 

Ecran de sérigaphie. Lézard Graphique, atelier de sérigraphie, Brumath. © Pascal Bastien
Ecran de sérigraphie, Lézard Graphique à Brumath. © Pascal Bastien

Impressions pour la pub, affiches d’événements culturels et même grande distribution constituent l’essentiel de ses clients. « Toutes les impressions réalisées ici sont impossibles avec un autre procédé. Et puis, on essaie toujours d’aller plus loin que l’impression d’un fichier pdf. Notre connaissance du métier nous permet souvent d’apporter un plus, généralement issu des petits inconvénients de la technique, pour un résultat unique ! »

« J’ai l’habitude de dire qu’on travaille aussi bien pour Hermès ou Vuitton que pour le hard discount ! Ces dix dernières années, le marché a changé. On a subi la concurrence des pays de l’est, la perte de clientèle des agences de pub, mais heureusement les marques ont pris l’habitude de travailler en direct avec nous. Ce qui nous a permis de tirer notre épingle du jeu, c’est d’avoir toujours recherché l’excellence de la sérigraphie, plutôt que de prendre le virage de l’impression numérique, comme bon nombre de concurrents. »

Une excellence qui trouve aussi son aboutissement dans la reconnaissance par ses pairs, les grands graphistes ou artistes français, qui ne jurent que par Lézard Graphique pour imprimer leurs créations. Hervé di Rosa, Robert Combas, Saadane Afif, Tomi Ungerer dont il a imprimé toute la collection d’estampes trainent leurs guêtres dans l’atelier à la recherche du résultat pointu. Mais c’est sans doute avec la grande graphiste Fanette Mellier, qui aime monter sur les presses pour bidouiller les encres, que la complicité est la plus aboutie et la plus fidèle. La relation de confiance dépasse souvent le cadre de la prestation de service, pour se placer dans celui de l’échange entre professionnels pour répondre aux exigences des créateurs. « Ces collaborations hors normes, ces expérimentations techniques nous ont donné une vraie légitimité dans le milieu des arts graphiques et le bouche-à-oreille a aussi fonctionné pour nous amener la clientèle de plus de 50 théâtres, centres d’art et musées en France, mais aussi en Belgique, en Allemagne ou en Suisse. »

Série de réalisations, atelier de sérigraphie Lézard Graphique à Brumath. © Pascal Bastien
Série de réalisations, Lézard Graphique. © Pascal Bastien

« J’ai conscience d’avoir fait un métier génial et des rencontres exceptionnelles. J’ai connu des gens très différents, entretenu des relations très riches et très profondes… et puis travailler dans les images, c’est déjà pas si mal pour s’amuser toute sa vie ! » confie-t-il avec l’œil qui pétille. Cette année, à 64 ans, Jean-Yves tourne la page. Enfin, pas trop vite quand même ! Il a trouvé en Frédéric Rose, fondateur d’Anamnesia et de Museum Manufactory, un repreneur local qui partage les mêmes valeurs du travail bien fait. « Et puis, c’était le seul repreneur local, et cela a largement pesé dans ma décision. Pour la pérennité de l’équipe. »

De passage à l’atelier, le nouveau propriétaire, nous explique son envie de renouer avec une technique basique. « Avec mon activité de conception de muséographie et d’univers multimédia et audiovisuels pour les musées et institutions culturelles, j’évolue dans un monde très désincarné, très numérique. De ma formation aux Beaux-Arts, j’ai gardé le goût de me confronter à la matière, à des techniques plus basiques… Et la sérigraphie c’est vraiment l’expression la plus directe et la plus simple d’un projet graphique ! »

En héritant d’une équipe complète et passionnée, en venant d‘un milieu périphérique, en parlant le même langage, tous les ingrédients semblent réunis pour que l’aventure se poursuive sereinement. Tous deux envisagent d’ailleurs tout naturellement la fabrication de supports de médiation et de signalétique pour les clients de Museum Manufactory. De son côté, Jean-Yves s’investit pleinement dans la transmission de son « bébé » et de son savoir-faire. Et pour ne pas raccrocher totalement, il anime régulièrement des workshops aux Arts Déco de Paris, sera jury du concours des meilleurs Ouvriers de France et poursuivra des activités de conseils pour les amoureux de la belle impression.


Lézard Graphique
195, avenue de Strasbourg à Brumath 


Par Corinne Maix
Photos Pascal Bastien