Dans le film vous vous exprimez intégralement en peul. Pourquoi ce choix ?
O. S. : Cela ajoute au côté étrange dans tous les sens du terme. C’est-à-dire étranger au pays, étranger à cette guerre et en même temps étrange dans l’étrangeté de la situation pour Bakary. On a fait ce choix assez vite et naturellement. On avait aussi cette volonté de ne pas avoir de personnage avec un accent. La frontière est là entre Thierno et Bakary. La langue française manque au père et c’est comme cela que son fils va prendre le pouvoir sur lui. Thierno a accès à la langue et donc il a accès à d’autres personnes, il a un échange, il évolue là où son père n’a pas l’outil pour évoluer. C’est là où la cassure se fait.
Au fil du film, les points de vue et objectifs du père et du fils vont peu à peu diverger. Quand Bakary a pour seule obsession de sortir son fils de cette guerre, Thierno va se trouver galvanisé par son officier supérieur, le lieutenant Chambreau (Jonas Bloquet) et prendra un entrain surprenant au sein de l’escadron des tirailleurs.
M.V. : C’est ce à quoi le film s’attache, ça fait partie du récit organique. Thierno est soudain galvanisé par cette guerre, elle lui sert aussi à grandir, à s’émanciper, à devenir un homme. C’est un support pour quitter l’autorité de son père, on voit bien qu’il est moins conscient que Bakary des conséquences de ce qu’il fait.
C’était un moment important dans l’écriture du scénario. C’est à la fois ce qui se passe d’un point de vue militaire mais c’est aussi une métaphore de ce qui se passe dans la vie, sur un temps beaucoup plus long. Les parents ont l’autorité, puis quand on grandit en tant qu’homme, les choses s’inversent presque. Les parents vieillissent, ont un peu moins d’outils, d’emprise sur les choses. C’est un mouvement propre à l’humanité, on a trouvé cette espèce de maillage très fort dans la fiction à travers cet aspect militaire où les grades que le fils obtient font que son père va devoir lui obéir.
À l’inverse de la relation entre Thierno et Bakary, le lieutenant souffre de l’indifférence d’un père qui ne sera fier de lui que lorsqu’il sera mort en héros sur le champ de bataille.
M.V. : Oui c’est l’inverse, deux polarités opposées quasiment. Bakary veut que son fils soit vivant et s’en sorte vivant. Le père de Chambreau malgré lui, presque inconsciemment, souhaite le sacrifice de son fils pour la France, c’est ce qui lui donnera de la valeur. Ce sont des visions croisées.
O. S. : Chambreau le dit dans un échange avec Thierno : « J’admire ce que fait ton père pour toi. » Il le reconnaît, car il est conscient de la relation que lui a avec son propre père.