Loïc Prigent, oiseau rare

Rencontre avec Loïc Prigent, sacré par Karl Lagerfeld « Médiapart de la Mode« . On y parle de mode et de son petit monde (de ses petites phrases et autres loufoqueries), de documentaires et d’une carrière de journaliste, rondement menée.

Loïc Prigent, auteur de J'adore la mode mais c'est tout ce que je déteste. © Henri Vogt
Loïc Prigent dans les locaux d'Arte. Photo : Henri Vogt

C’est avec un flegme déconcertant que le chroniqueur et documentariste de mode Loïc Prigent nous accueille dans les locaux d’Arte, où il est le joyeux visiteur pour la journée. En 2005 avec Signé Chanel, son premier documentaire diffusé sur la chaîne franco-allemande, il pose sa marque de fabrique : un regard distancé sur la mode et ses acteurs, un ton piquant mais toujours bienveillant qui imposeront ce « Médiapart de la mode », comme le nomme Karl Lagerfeld, comme le journaliste le plus influent du milieu.

Acerbe, sardonique mais pas méchant. Son détachement fait sa singularité, et tout le monde semble l’accepter. Il parvient alors à infiltrer les plus grandes maisons de couture pour des films qui demandent une totale immersion : « Hier, j’étais à un dîner de mode et j’étais vraiment le plus plouc de la salle ! À partir du moment où tu le sais et que tu t’en fiches relativement, ça permet peut-être de mieux se faufiler. Du coup, j’ai l’impression de garder une forme d’amusement et d’intérêt », rigole Loïc Prigent avant de renchérir : « J’ai une théorie. Je suis le stagiaire un peu demeuré mais assez sympa ! » Cette confiance ne s’étiole pas, et ce malgré le succès de son compte Twitter, ouvert en 2013 et où il consigne des phrases glanées là où la mode jacasse. Plus de 215 000 abonnés suivent quotidiennement ces fulgurances anonymes et sorties de leur contexte, compilées désormais dans un recueil (J’adore la mode mais c’est tout ce que je déteste, éd. Grasset).

Des « pépiements » – tweets en français – qui amusent autant qu’ils consternent ! « À la base, c’était vraiment pour mes potes, on était six à s’alpaguer. C’était assez potache. Quand j’ai commencé à le faire pendant les défilés, j’ai vite pigé que c’était regardé par les gens du milieu et que le côté hors-contexte, abstrait, leur donnait presque une valeur de proverbe », confie-t-il. Il les donne à lire à sa Majesté Catherine Deneuve dans des pastilles décalées de deux minutes diffusées sur Arte lors de la semaine de la mode parisienne.

« En mode, il y a un énorme travail en amont, comme en agriculture, et finalement la cueillette serait le défilé. »

Mais comment tisser du lien avec ceux qu’il risque de tourner en dérision plus tard ? Où se situe la limite pour ne pas heurter les acteurs du sérail ? Pour Loïc Prigent, ça ne fait pas débat : « Quand je suis en immersion dans une maison, rien ne sort. C’est au moment des défilés que je note et partage. Y’a une sorte de pacte non verbalisé avec les maisons. Je ne veux pas que ça pollue mon travail. »

Après plusieurs décennies à la toiser et la décrypter, l’auteur-réalisateur n’a pas encore fait le tour de cette « comédie complètement dingue et effrénée » qu’est la mode. Et il n’en changerait pour rien au monde : « Je me suis essayé à la politique sur Canal+. Je me suis retrouvé à l’université d’été du Parti Socialiste. À mon retour, après une crise d’urticaire fulgurante, j’ai fini par donner ma démission. C’était osé au bout de la deuxième émission de la saison ! »

La télé lui fait les yeux doux : France 2, Canal+ et bien sûr Arte ont accueilli ce fils de paysan breton cultivant l’arty show comme personne. Dur labeur dans ces deux mondes finalement pas si opposés : « On se lève le matin pour quelque chose d’immuable et parce que la saison l’impose. En mode, il y a un énorme travail en amont, comme en agriculture, et finalement la cueillette serait le défilé. Ces communautés sont dépendantes de la valeur marchande de ce qu’elles produisent. Dans ma famille, on ne faisait pas des artichauts pour la beauté du geste non plus ! », philosophe Prigent. Parce que la mode, ça se cultive évidemment.


J’adore la mode mais c’est tout ce que je déteste, Loïc Prigent, éd. Grasset


Par Caroline Lévy
Photo Henri Vogt