
Le Port de Plaisance à Saverne
Il relie Paris à Strasbourg, la Seine au Rhin… Le canal de la Marne au Rhin trouve à Saverne sa halte la plus “wow”, avec accostage au pied de l’impressionnant Château des Rohan.
Citiz n’est pas une entreprise comme les autres. Pionnière française en lançant à Strasbourg un service d’autopartage aujourd’hui étendu à plus de 80 villes, elle est aussi une coopérative œuvrant, en marge de l’hypercapitalisme, pour les mobilités alternatives, une consommation responsable, un mode de pensée plus solidaire. Interview croisée de Jean-Baptiste Schmider, co-fondateur et président du réseau national Citiz, et de Jean-François Virot-Daub, directeur de Citiz Grand Est.
Quelles étaient vos intentions lorsque vous avez créé l’association Auto’trement ?
Jean-Baptiste Schmider : D’abord de me débarrasser de ma voiture ! Je l’utilisais tellement peu que je ne me souvenais jamais de là où je l’avais garée. Je me suis dit que c’était complètement irrationnel d’avoir un objet qui coûte si cher, qui encombre l’espace, qui passe son temps à dormir et qui pollue. Ma deuxième intention était, en partageant les voitures, d’en rationaliser l’usage, de réduire leur nombre et d’améliorer la qualité de vie en ville. En province, ça paraît compliqué de se passer totalement de voiture.
À quel moment la création d’une « entreprise » s’est-elle imposée ?
J-B.S. : C’est venu assez vite : avec quelques amis, on s’est rendu compte que l’autopartage existait en Suisse et en Allemagne, on est allé voir à Freiburg et à Lucerne. On a mis à peu près un an pour définir nos fonctionnements : rechercher les premières subventions éventuelles, les parkings, l’assurance… Peu à peu, nos réunions à 7 à la Perestroïka se sont étendues à une vingtaine de personnes. Une succession de choix déterminants a donné le ton : est-ce qu’on utilise nos voitures ? Est-ce qu’on les achète ? Pour moi, il fallait casser le lien de propriété. Le service a démarré avec trois voitures, une station et une gestion « manuelle », ça a plutôt bien pris. Au bout d’un an, on a voulu passer à la phase supérieure : si on voulait toucher les gens, il fallait avoir un réseau de stations, donc automatiser le système. J’ai quitté mon boulot et j’ai pris la direction de la structure. J’ai eu assez vite la vision d’un réseau national. Je me suis retrouvé en contact via Internet avec des personnes qui avaient les mêmes projets à Lyon, à Marseille et à Grenoble. On s’est dit qu’il serait efficace de s’équiper d’une technologie et de se mettre ensemble pour partager les frais de mise en place. France Autopartage était né. L’idée était aussi de se dire que les gens, en allant d’une ville à l’autre, pouvaient prendre le train et bénéficier du service dans les villes intégrées au réseau.
Quelles sont vos valeurs ?
J-B.S. : La finalité, c’est l’environnement : réduire les nuisances de l’automobile, moins produire, mieux utiliser les ressources. Une voiture partagée remplace neuf voitures particulières, autant de voitures produites en moins, autant d’espaces en ville utilisés à d’autres fins : mieux vivre, mieux se loger, pouvoir faire du vélo, se sentir plus en sécurité, mieux respirer… Notre idée est aussi de favoriser les circuits courts. Les gens ne viennent pas au départ parce qu’ils sont écolo-convaincus, mais ça les amène à le devenir. L’exemple typique, c’est les courses : beaucoup adhèrent pour pouvoir faire leurs courses chez Cora et, en général, au bout de trois mois, ils arrêtent parce que le service leur coûte quand même 10 euros, qu’ils sont obligés de bloquer la voiture trois heures. Ils perdent trois heures, donc ils arrêtent, retournent au marché, adhèrent à une AMAP…
Jean-François Virot-Daub : À partir de la mobilité, on bouleverse un mode de vie : faire plus de marche, plus de vélo, changer son mode de consommation, changer son alimentation. Derrière Citiz, il y a toutes ces valeurs-là : la relocalisation de l’économie, la redynamisation du centre-ville.
Strasbourg était-elle la bonne ville pour lancer l’autopartage ?
J-B.S. : Oui, parce qu’il y a une plus grande sensibilité aux questions environnementales que dans le reste de la France, à la fois de la part des habitants et des élus. La configuration de la ville – son réaménagement avec le tramway, le réseau cyclable, moins de parkings, plus de piétons – est une des raisons pour lesquelles j’ai voulu créer Auto’trement. Ce plan urbanistique assume clairement le fait de vouloir limiter l’accès aux voitures au centre-ville, ça nous a mis la puce à l’oreille. À Strasbourg, on peut vivre sans voiture, c’est ancré dans l’esprit des gens.
J-F.V-D. : On voit que plus une ville est ouverte aux autres mobilités, plus il y a une réflexion sur l’aménagement de la ville, plus la place de la voiture est remise en question et plus il y a de place pour un service d’autopartage.
Aujourd’hui, vous êtes associés à la politique des mobilités de la ville…
J-F.V-D. : Ça va dans les deux sens : la collectivité est intéressée par le service dans le cadre d’un réaménagement d’une rue ou de l’extension du stationnement payant. On s’y intègre naturellement quand la voiture devient une contrainte et que les gens ont l’envie de passer à l’autopartage, les habitants eux-mêmes nous sollicitent, par exemple ceux qui intègrent des éco-quartiers.
Comment vous intégrez-vous au territoire alsacien, une région où l’on passe très vite d’une zone urbaine à une autre, périurbaine ?
J-B.S. : C’est sûr que l’autopartage est très lié à un mode de vie urbain, mais le fait qu’on soit une coopérative fait qu’on ne raisonne pas de la même façon : on essaye de pousser le modèle le plus loin possible et de faire en sorte que les voitures soient disponibles également en zones périurbaines… avec, tout de même, une limite : il faut plusieurs utilisateurs pour une voiture. Mais on sonde le terrain, on fait des réunions dans certaines communes.
J-F.V-D. : Il faut que les gens, localement, choisissent d’abandonner leur voiture, et pour ça, il faut un réseau de transports en commun performant et un réseau cyclable. Si dans une ville, il n’y a pas d’alternatives à la voiture et qu’il y a très peu de contraintes au stationnement, Citiz ne répond à aucun besoin.
J-B.S. : On essaye, on fait des tentatives. Au Neuhof, il y a 10 ans, ça n’a pas marché, et on est revenu quand le tram est arrivé. On ne vient pas se substituer aux transports publics : on vient s’adosser au réseau de transports en commun quand celui-ci ne répond pas à toutes les demandes, mais il faut que les déplacements de routine puissent déjà être faisables sans voiture. Contrairement aux idées reçues, par exemple, une grève des transports n’est jamais bonne pour nous. On se développe en cercles concentriques, du centre ville aux quartiers, de la ville aux faubourgs et ainsi de suite. On est présent dans des villes d’environ 10 000 habitants, parfois, ça ne marche pas très bien, comme à Obernai, Cernay ou Erstein, mais on y est parce que la mutualisation peut être intéressante pour un Strasbourgeois et puis c’est notre vocation de participer au réaménagement du territoire.
J-F.V-D. : Une voiture qui tourne beaucoup à Strasbourg peut contribuer à financer une voiture qui ne marche pas très bien ailleurs.
À quel moment et pourquoi le modèle de la coopérative s’est-il imposé ?
J-B.S. : Au bout de trois ans, l’association avait 3 000 € en réserve et devait investir plus d’un million d’euros pour acheter des voitures, ça pose problème… Il y avait aussi la question de la responsabilité : il fallait retrouver le lien entre le pouvoir de décision et l’engagement financier. Quand s’est posée la question de la forme, on a donc choisi la SCIC, la coopérative d’intérêt collectif qui correspondait vraiment à notre ADN, à notre philosophie. La finalité de notre société, ce n’est pas le profit mais l’environnement. On pourrait, dans un cadre très encadré, redistribuer l’argent, mais notre activité, d’abord, ne génère pas de profits monstrueux. On pense que les gens viennent au sociétariat pour bénéficier du meilleur service et faire en sorte qu’il s’étende. On voulait aussi associer toutes les parties prenantes : salariés et utilisateurs – qui sont majoritaires par rapport aux salariés –, les collectivités, qui nous ont subventionné les trois premières années, d’autres partenaires de la mobilités : la CTS, Parcus. Ça a été amplement débattu en 2003 et on a basculé en 2004.
Pourquoi était-ce important pour vous de ne recourir aux subventions que les trois premières années ?
J-B.S. : Notre choix a été de rechercher l’indépendance : le but n’était pas de faire financer l’usage de voitures par de l’argent public mais de trouver un modèle économique. Mon point de vue, c’est qu’on travaille mieux en partenariat avec les collectivités quand on n’est pas dépendant.
Citiz est traversée par plusieurs paradoxes : vous vendez l’usage d’une voiture mais dans le même temps, vous militez pour qu’on s’en débarrasse. Vous faites partie de ces « entreprises » qui permettent aux utilisateurs d’avoir recours à un service par le biais de votre propre technologie ; la « tendance » voudrait qu’on parle d’uberisation, mais à la différence d’Uber, vous faites réellement partie de l’économie du partage. Comment y voir clair ?
J-B.S. : Il y a des paradoxes dans les mobilités. Quand il y a un embouteillage, la solution de facilité voudrait qu’on rajoute une voie de circulation, mais ça ne fonctionne pas. Nous, nous pensons que pour lutter contre l’usage de la voiture en solo, il faut proposer des voitures, des alternatives. Au fur et à mesure, on amène les gens à utiliser moins nos services : on doit donc toujours avoir de nouveaux clients pour avoir autant d’usages. Notre modèle est pensé comme ça. Aujourd’hui on a 200 voitures, mais rapporté au nombre de voitures en Alsace, on reste une niche !
On parle d’uberisation quand les plateformes sont mondialisées et s’enrichissent très vite, ce qui est incompatible par essence avec l’économie sociale et solidaire, avec nous, nos valeurs. Les entreprises de l’économie sociale et solidaire grandissent moins vite. Et puis, la différence fondamentale, c’est qu’on recherche le lien, on ne cherche pas à devenir n°1.
Entre Auto’trement, Citiz, Yea!, France Autopartage, la confusion est parfois possible : comment faciliter la lecture de votre coopérative ?
J-F.V-D. : La coopérative Auto’trement a créé le service et, aujourd’hui, elle exploite deux marques : Citiz et Yea!. Citiz ce sont les voitures en boucle, avec la garantie, la réservation, plusieurs tailles de voiture, et Yea!, c’est du free-floating en libre dépose, sans réservation. Yea!, était une façon de toucher une nouvelle clientèle. Il y avait toute une génération ultra-connectée qui avait envie de pouvoir bénéficier d’un système moins contraignant, un système qui permette de déposer la voiture à peu près n’importe où, le mot « réservation » avait une connotation négative pour certains. Il y a des clients qui n’utilisent qu’un seul service sur les deux, d’autres qui ont recours aux deux. On utilise de moins en moins Auto’trement, même si c’est encore la raison sociale de la coopérative.
J-B.S. : Auto’trement est devenue Citiz Alsace et France Autopartage est devenu le réseau Citiz. Au niveau du réseau, on était 15 indépendants et l’idée était d’avoir une marque commune pour que les gens comprennent qu’ils ont accès à 1 000 voitures partout en France et nous donner de la visibilité. Ce nom reflète nos valeurs : la volonté de changer le milieu urbain, de vivre autrement en ville.
1999 Création de l’association.
2000 Démarrage du service en décembre : 15 utilisateurs, 3 voitures, 1 station, 1 salarié.
2002 Création du réseau national France Autopartage avec Lyon, Grenoble et Marseille. Mise en place du système de gestion à distance des véhicules.
2004 Auto’trement devient une SCIC. Premier abonnement combiné autopartage + transports en commun avec la CTS. Premières stations en gares de Mulhouse et Sélestat.
2006 Le développement régional devient officiellement stratégique.
2008 20e station à Strasbourg.
2009 Premières stations à Erstein et Haguenau. Lancement de Mobilib, véhicules adaptés aux personnes à mobilité réduite dans le Haut-Rhin.
2010 Abonnements combinés aux transports en commun à Mulhouse.
2011 Premiers véhicules hybrides rechargeables en autopartage (projet Kléber).
2012 Véhicules adaptés aux personnes à mobilité réduite à Strasbourg et Illkirch.
2013 Auto’trement devient Citiz : marque nationale créée en commun avec les autres opérateurs du réseau coopératif France Autopartage.
2014 Dédieselisation du parc : 15% de voitures hybrides en +, – 50% de véhicules diesel. Lancement du Pass Mobilité à Strasbourg (transports publics, vélo, autopartage).
2015 Lancement de Yea!
2017 – 2018 Extension du service Yea! à Schiltigheim et Bischheim
2018 Fusion Citiz Alsace – Citiz Lorraine -> Citiz Grand Est
2019 Ouverture de stations en Champagne Ardenne et renforcement de l’offre à Strasbourg
Quelles sont les perspectives de développement au niveau local et au niveau national ?
J-B.S. : Notre but, c’est qu’il n’y ait plus que des Citiz et des Yea! à Strasbourg. [Rires]
J-F.V-D. : À court terme, c’est renforcer Citiz et surtout Yea! avec une augmentation du nombre de voitures et une zone qui devrait s’élargir au-delà du centre- ville. Aujourd’hui, on a une voiture tous les 250 mètres dans l’agglomération, à terme on peut imaginer une voiture par pâté de maison. Il y a encore un beau potentiel de développement. Au niveau régional, notre objectif est d’être présent dans plus de 50 communes (30 aujourd’hui).
J-B.S. : Au niveau national, c’est d’être présent dans toutes les villes de plus de 200 000 habitants d’abord, donc de combler les trous sur la carte. Citiz gère aujourd’hui le service à La Rochelle et est présent à Rennes. 1% des Suisses utilisent l’autopartage, on aimerait faire aussi bien en doublant le nombre d’abonnés dans les 5 ans.
J-F.V-D. : Atteindre la taille critique n’est pas évident parce qu’il faut dépasser le cercle des utilisateurs déjà convaincus. Arriver dans une nouvelle ville, c’est convaincre les utilisateurs potentiels d’abandonner leurs voitures, et ça ne suffit pas de faire de la communication.
Vos utilisateurs sont-ils votre meilleure publicité ?
J-B.S. : Oui effectivement, ils sont très prescripteurs.
Même si j’imagine qu’il est plus facile aujourd’hui de convaincre un potentiel public, plus sensibilisé qu’hier aux questions écologiques, on constate que l’écologie en France n’est pas vraiment un réflexe sur le terrain politique. Ça vous contrarie ?
J-B.S. : Oui, ça explique en grande partie notre retard par rapport à nos voisins suisses ou allemands. On rend les gens schizophrènes. On dit : il ne faut pas polluer, mais achète une nouvelle voiture pour sauver l’industrie automobile… Il y a un problème de conjoncture économique qui fait que la priorité c’est le court terme, pas le moyen terme. On a eu 3-4 années pendant lesquelles le carburant n’a jamais été aussi peu cher, et là, notre discours était moins audible. Dans le même temps, le prix du billet de train augmentait… Comment convaincre les gens d’abandonner la voiture avec ce genre de contradictions ? Ce n’est pas simple… Ça vient, doucement… Le côté positif c’est qu’à Strasbourg, on est plus avancé qu’ailleurs !
Citiz
5, rue Saint-Michel, à Strasbourg
Par Cécile Becker
Photos Christophe Urbain