Pourquoi ce texte, pourquoi aujourd’hui ?
L’écriture de Léonora, je la fréquente depuis longtemps, et je l’ai découverte par ses essais « politiques ». Ces textes-là, elle le performait elle-même. Quand j’étais artiste associé au festival d’Avignon en 2013, je lui avais demandé si je pouvais les mettre en voix. Elle m’a dit qu’elle ne l’accepterait que s’ils étaient dits par des femmes noires, et j’avais compris. Depuis, ils m’ont rattrapé, je lui ai fait mail timide en disant que c’était important. Elle m’a répondu qu’elle était devenue moins dogmatique. Cette envie s’est croisée avec la rencontre très forte des élèves du groupe 44 de l’école du TNS, et notamment trois jeunes comédiennes avec qui j’avais envie de travailler : il y avait là une espèce de synergie naturelle. Enfin, pour la petite histoire, je suis afro-descendant : mon grand-père était Martiniquais et mon arrière-arrière-grand-père a été emmené comme esclave à Pointe-Noire. Cela ne se voit pas mais je le sais. La question noire, la question blanche que Léonora aborde dans ses textes me touche aussi pour ça.
La forme graphique du texte est très importante : que devient-elle dans la mise en scène ?
Leonora m’a donné des choses à voir, notamment des grandes figures américaines du Spoken Word. Elle m’a aussi raconté comment elle performait. Mais il ne faut surtout pas qu’on copie. Toute la calligraphie, la typographie, on en tient compte : c’est comme une partition, mais on essaye de se l’approprier. Il y aura des transitions musicales entre chaque texte, l’espace sera plutôt performatif, très clair, très lumineux, très coloré. Le spectacle se situera entre performance, tribune politique et concert.
Ce spectacle s’inscrit dans la continuité de votre travail en direction des comédiens issus de la diversité, notamment avec le programme 1er acte*.
C’est important pour moi que sur scène il y ait une représentativité de la France entière. Ici, des comédiennes à la peau noire s’adressent à un public à la peau blanche ; cela m’intéresse car Léonora est dans un rapport fin à cette question-là. Comment échapper soit à l’assimilation ou à l’intégration forcée, soit au désir de revanche ? J’aimais ce chemin difficile, qui conduit aussi Léonora à être attaquée par la communauté noire. Le 1er texte n’est ni provocateur ni agressif mais il titille : c’est vous, blancs, qui nous avez appelés noires, c’est vous qui avez créé ces barrières. Le 2e revisite cette histoire et le 3e propose une utopie, une troisième voie. Le spectacle se termine sur une ouverture, un possible avenir. Ces trois textes n’ont pas été écrits au même moment. Ils représentent presque trois âges de Léonora, trois moments de son chemin, sur lequel elle a bougé. Je trouvais beau qu’il soit porté par des comédiennes jeunes et métisses [Océane Caïraty, Ysanis Padonou, Mélody Pini, avec également le comédien Gaël Baron, NDLR], qui sont à la frontière et peuvent regarder de deux côtés.