En Corps : expression directe et arabesques

Après plusieurs documentaires et captations sur la danse, Cédric Klapisch privilégie cette fois la fiction pour traiter de nos différents moyens d’expression. En Corps nous entraîne dans l’univers de la danse classique, à travers une séquence solaire de 15 minutes dépourvue de dialogues durant laquelle seuls les corps s’expriment, révélant toute leur virtuosité. Danseuse à l’Opéra de Paris, Elise (Marion Barbeau) se blesse à la cheville après avoir surpris son compagnon dans les bras d’une autre. Déchirure physique et mentale, le médecin lui apprend que son avenir dans la danse classique est compromis. Contrainte à une pause, elle suit une amie (Souheila Yacoub) et son compagnon cuisinier (Pio Marmaï) en Bretagne, afin de les aider à préparer les repas dans une résidence d’artistes tenue par Josiane (Muriel Robin). Elise va y découvrir la danse contemporaine qui lui ouvrira de nouvelles perspectives. Un film mêlant l’énergie à la beauté.

Cédric Klapisch - Christoph de Barry
Cédric Klapisch lors de sa venue à Strasbourg pour la promotion d'En Corps. © Christoph de Barry

Après votre documentaire-portrait sur la danseuse étoile Aurélie Dupont en 2010, vous revenez à la danse avec En corps. Pourquoi avoir choisi de passer à la fiction pour traiter de cet univers ?
Cédric Klapisch : Avec la fiction, je raconte une histoire et j’ajoute de l’émotion. Le documentaire en véhicule également, mais il y a dans le film une espèce d’opposition entre la noblesse de la danse classique et le côté plus terre à terre de la danse contemporaine. Dans En corps, on retrouve des choses que j’ai découvertes en réalisant le documentaire et que j’ai eu besoin de développer pour les amener vers d’autres émotions et d’autres idées.

Vous débutez votre film par quinze minutes de plans entièrement musicaux mêlant un spectacle de l’Opéra de Paris et ses coulisses. Le langage du corps se passe de dialogues ?
Cédric Klapisch : On a vu des films muets, on sait que Chaplin dit beaucoup de choses sans utiliser de mots. Je me suis dit que si je faisais un film sur la danse, je voulais prendre le parti de laisser de la place à tout ce qu’on peut exprimer sans les mots, seulement avec les corps, les situations. Dans cette première séquence, on retrouve beaucoup de jeu, d’ambiances et tout ce que peut développer la danse sur le fait qu’on a des émotions en regardant des gens qui sont juste en train de bouger.

Qu’est-ce qui vous a donné envie de travailler aux côtés d’Hofesh Shechter, icône incontournable de la danse contemporaine ?
Cédric Klapisch :
En 2018, on m’a demandé de faire la captation d’un spectacle sur quatre chorégraphes contemporains dont Hofesh Shechter. Depuis je n’ai pas arrêté d’assister à ses spectacles, on s’est aperçu qu’on a une vraie complicité. J’ai l’impression qu’il essaye de faire avec ses danseurs, ce que j’essaye de faire avec les acteurs au cinéma en étant proche de l’humain et en développant des choses très sensorielles. Il mélange l’humour à des choses poétiques, philosophiques et c’est ce que j’essaye de faire également. Notre proximité s’est confirmée à travers ce tournage. 

Quel rapport aviez-vous à la danse avant de jouer dans ce film ?
Pio Marmaï : Je ne suis pas totalement extérieur à la danse, notamment par mes parents qui bossaient à l’Opéra de Strasbourg : mon père dans la scénographie, ma mère dans les costumes. J’avais accès aux ballets mais je n’y allais pas beaucoup. Ma compagne est danseuse à l’Opéra de Paris donc c’est quelque chose qui est assez familial. On est allé plusieurs fois voir des  ballets avec Cédric sans même savoir qu’il allait faire un film sur la danse. Voir des gens danser, c’est quelque chose d’assez intime, c’est une question de sens aigu, ce sont des rencontres. Il y a quelque chose qui me parle, qui est assez spontané, qui peut être extrêmement subtil, violent ou maladroit. J’aime l’énergie que la danse demande et déploie.

Dans votre film, à commencer par Marion Barbeau dans le rôle principal, vous faites jouer de vrais danseurs, plutôt que des comédiens. Pourquoi ce choix ?
Cédric Klapisch : C’était une façon de me renouveler et d’aller vers des gens qui ne jouent pas de la même façon. On ne peut pas demander à un acteur de jouer Messi au football et on ne peut pas demander à une actrice de jouer une danseuse de l’Opéra de Paris. Dans le premier plan du film, on voit Marion Barbeau lever le bras, personne ne peut lever le bras comme ça.

Peu de temps après avoir surpris son compagnon dans les bras d’une autre danseuse, Elise est victime d’une déchirure du tendon. Selon vous, le corps et l’esprit sont  étroitement connectés ?
Cédric Klapisch : Oui toujours et même si on se moque un peu de ce personnage joué par François Civil, tous les kinés savent qu’il y a un rapport entre ce qu’il se passe dans la vie des gens et leurs maux. Tous ceux que j’ai vu m’ont toujours posé des questions sur ma vie personnelle. C’est ce qu’on appelle le côté psychosomatique, on sait que ça existe. D’ailleurs dans le film, quand le médecin lui diagnostique une déchirure, Elise vient de se séparer de son copain. Je crois beaucoup au fait qu’il y ait un rapport entre ce que le corps et ce que les maux disent.

Pio Marmaï et Cédric Klapisch par Christoph de Barry
Pio Marmaï a retrouvé Cédric Klapisch cinq ans après avoir joué dans Ce qui nous lie. © Christoph de Barry

Vous mêlez plusieurs disciplines, la danse classique et contemporaine, mais aussi la cuisine à travers Loïc, le personnage de Pio Marmaï. Toute vocation a des points communs ?
Cédric Klapisch : Je voulais mettre en scène différentes façons de s’exprimer. Le père d’Elise est avocat, il fait des plaidoiries mais ne sait pas très bien parler à ses filles. Loïc s’exprime par la cuisine, c’est une espèce d’artiste, il est maladroit avec les mots mais son moyen d’expression se retrouve dans les plats. Josiane, incarnée par Muriel Robin, s’exprime plus avec les mots qu’avec son corps puisqu’elle est handicapée. C’est la plus psychologue, celle qui comprend les gens. Quant à Marion Barbeau et les autres danseurs, ils s’expriment avec leurs corps. Chacun choisit son propre mode d’expression.

Muriel Robin campe un personnage qui dit n’être douée dans aucune pratique artistique mais aimer aider les autres à le faire.
Cédric Klapisch : Je trouve ces gens très émouvants. Il y en a beaucoup. J’ai participé à la série Dix pour cent où l’on parle des gens de l’ombre qui sont importants. Dans le monde médical, on a parlé des soignants, des aidants. Ces personnes ne sont jamais reconnues à leur juste valeur. Je trouve le personnage de Muriel Robin très émouvant parce qu’on voit bien la manière dont elle aide quelqu’un à revivre, juste parce qu’elle y fait attention. Elle a l’impression de ne rien savoir faire mais elle en fait beaucoup.

Cinq ans après Ce qui nous lie, qu’est-ce qui vous a donné envie de retrouver Cédric Klapisch ?
Pio Marmaï : L’argent évidemment (rires). Plus sérieusement, je pense qu’il y a l’amitié, la curiosité d’un travail commun. Il y a une sorte de lien fraternel. C’est délicat car c’est un sentiment grisant et à la fois j’ai peur de le décevoir. Si Cédric me demandait de jouer un hallebardier qui se prend une flèche au bord d’un machicoulis, je le ferai parce que c’est quelque chose qui m’amuse. 

Dans le film, vous formez un couple explosif avec Souheila Yacoub.
Pio Marmaï : On cherchait à interpréter un de ces couples qui s’aime mais qui n’arrête pas de s’engueuler. Ça touche à la création, à la drôlerie, à l’inventivité. J’aime cette image de façade qui raconte le contraire du sentiment profond. Loïc et Sabrina pourraient être un couple conventionnel alors qu’en une seconde les choses basculent et deviennent explosives. En tant qu’acteur, c’est agréable à jouer, car tu sais que la construction de la séquence ne va pas être linéaire, il y a des virages assez jouissifs.
Cédric Klapisch : Ce que je trouve beau dans ce qu’ils ont fait avec Souheila Yacoub, c’est qu’il n’y a aucun doute sur le fait qu’ils s’aiment. Ce n’est pas du tout un couple qui va mal. 

Doit-on nécessairement aimer la danse pour voir votre film ?
Cédric Klapisch : Il y a beaucoup de gens, souvent des hommes de mon âge, qui  me disent assez ouvertement : « Je n’avais pas envie de voir votre film, mais au final je suis content d’être venu. » C’est presque plus à eux que je m’adresse, j’aimerais que les gens qui n’aiment pas la danse voient ce film.


En corps de Cédric Klapisch, sortie le 30 mars.
Propos recueillis le 24 mars lors de l’avant-première du film, en collaboration avec le cinéma UGC et les cinémas Star.


Par Emma Schneider
Photos Christoph de Barry