La dernière BD de Fred Pontarolo

L’auteur / dessinateur strasbourgeois Frédéric Pontarolo sort de ses gonds et met en scène la prise d’otage d’un leader du CAC 40. Après l’introspection – Deux Roméo sous un arbre, sur l’inceste –, la science-fiction… pas si total(ement) fictive, avec Impact.

Autoportrait de Fred Pontarolo pour Zut
Autoportrait de Fred Pontarolo pour Zut

Il n’y a ni hasard, ni coïncidence. Seulement un souffle que saisissent les artistes. La dernière bande dessinée de Fred Pontarolo est sortie au moment-même de l’affaire Mangione, jeune homme accusé du meurtre du PDG d’UnitedHealthcare, suivie d’une impressionnante « Luigi mania » aux USA. « La mort de Brian Thompson a […] été accompagnée de commentaires […] à l’encontre des programmes d’assurance santé américains, illustrant une colère profonde dans le pays à l’égard d’un système lucratif accusé de s’enrichir sur le dos des patients », me glisse Libé. À l’instant où j’écris ces lignes, j’apprends, via Le Monde, que « la justice américaine demande la peine de mort contre Luigi Mangione ».

Greenwar

Pontarolo a mis en images le thriller politique d’Olivier Norek, Impact : il y est question d’un homme qui, après la mort de sa fille due à la pollution atmosphérique, se métamorphose en coriace gourou écoguerrier. À la tête du groupe Greenwar, il séquestre et exécute le grand patron de Total. Le mouvement fait des émules et les masques de panda balafré (emblème du groupe écoterroriste) pullulent. Descendre les vilains, une alternative à un injuste monde ultra-libéral ? La question n’est pas de savoir si le dessinateur cautionne la réponse, par la violence physique, à celle, économique et climaticide, des puissants… même si quelques claques se perdent selon Fred qui se verrait « bien filer une ou deux baffes à certains de nos politiques », s’il avait les facultés de son Homme invisible (d’après H. G. Wells, deux tomes).

Le déchaîné

Même s’il « essaye de s’en défaire », on ressent encore l’« impact » esthétique d’Enki Bilal. « Il m’a donné envie de faire de la BD, avec son style nettement moins classique que Tardi ou Hergé que je lisais à l’époque. Un prof des Arts déco m’a montré La Femme piège de la Trilogie Nikopol : une révélation ! » Et de citer Klimt ou Lynch, Tarantino ou Schiele, le désabusé Houellebecq, « pour sa vision sombre de l’humanité », ou les récits labyrinthiques d’un Kafka qui l’« aiguille dans la narration ». L’auto-défini « vieux hardrocker lorrain » de la BD s’affranchit de plus en plus des figures imposées, notamment en utilisant des procédés cinématographiques : des éléments qui sont autant de « futurs plans qui arrivent sur les images précédentes, comme une musique dans un film ». Au début d’Impact, il s’agit par exemple d’une nuée de mouches conduisant à un putride charnier humain, en Afrique. « Je m’échappe du storyboard ! » Les cases l’emmerdent. Ici, elles se tordent, se convulsent. « De traviole, elles traduisent le malaise des personnages. » Et puis, il y a cette terrible double page : la scène d’accouchement du bébé mort-né à cause d’une grave infection respiratoire. La coupable est identique à celle du Delta du Niger : l’activité pétrolière. Fred a volontairement « griffonné » un dytique flou, tel un souvenir vague. Les résidus d’un cauchemar.

Deux Roméo sous un arbre
Deux Roméo sous un arbre

Dors petite soeur

Longtemps, Frédéric Pontarolo a fait de très mauvais rêves, récurrents, obsédants : lui, enfermé dans une cave habitée par un loup. Son autobiographique Deux Roméo sous un arbre a-t-elle été une tentative d’exorcisme face à l’horreur familiale ? L’intrigue se déroule sous les hauts fourneaux d’Hayange et évoque le viol de sa soeur par son cousin, plus grand, « plus fort », que lui, « une brute épaisse qui pissait au lit ». Un inceste dont il est le témoin muet, figé. Un traumatisme. « Il n’y a rien de plus beau que l’enfance, mais c’est très facile de la ravager », de détruire une vie entière, et bien d’autres, par secousses sismiques.

Il a associé sa Moselle natale à cette catastrophe et a voulu la fuir : « Enfant, on me percevait comme un extra-terrestre ou on me traitait de PD. Étrangement, je ressens presque une forme de nostalgie pour cette région. » La douleur est toujours présente, mais Fred a trouvé sa place. « J’avais 20/20 en dessin à mon lycée messin, mais ma faculté à l’hyperréalisme n’impressionnait plus personne aux Arts déco ! Je sais, aujourd’hui, que je ne suis pas qu’un “simple” dessinateur. » C’est un excellent narrateur, auteur de planches aux styles bigarrés qui impactent et font parfois l’effet d’un coup de poing, comme celui balancé (Deux Roméo sous un arbre, page 188) dans la gueule du cousin, « Le Pascal ». Pas réel, juste un dessin, mais ça soigne. Un peu.


Impact de Frédéric Pontarolo (d’après le roman éponyme d’Olivier Norek), édité chez Michel Lafon
Et aussi, Deux Roméo sous un arbre (roman graphique autobiographique, 2023) édité chez Michel Lafon
michel-lafon.fr


Par Emmanuel Dosda