Dans Jusqu’à la garde, Miriam et Antoine divorcent et s’écharpent pour la garde du plus jeune de leur enfant, Julien, magistralement interprété par le jeune Thomas Gioria. La première scène, longue, précise, bavarde, se joue dans les bureaux de la juge. Après les plaidoiries de chacune des avocates – Miriam se battant pour obtenir la garde de Julien en fournissant des preuves bancales de la violence de son ex-mari envers elle et ses enfants –, la juge accorde un week-end sur deux et la moitié des vacances au père… Tout le film se noue ainsi autour du personnage de l’enfant et de ses allers-retours. Un choix que Xavier Legrand explique : « Les enfants sont souvent des victimes qui sont un petit peu oubliées. Ils deviennent un moyen pour les auteurs d’atteindre les victimes. Otages, bombes humaines et boucliers à la fois, parce qu’ils essaient de protéger les mères. Or, la mère peut protéger l’enfant mais c’est à la société que revient de protéger la mère. »
La violence se vit à tous les endroits : l’emprise du père sur son fils, ce dernier luttant à tout prix pour tenir son père à distance, les harcèlements ininterrompus d’Antoine pour toucher son ex-femme, l’attitude de Miriam, qui se fera volontaire, forte, presque tyrannique… L’une des forces de Jusqu’à la garde tient justement au renversement des rôles, fidèle à la réalité : une femme victime de violences conjugales se sent bien souvent coupable, lorsque l’homme se place en victime. L’autre force provient du travail du son, évocateur du ressenti des personnages : talons venant longuement frapper le sol, sonneries d’un téléphone qu’on ne veut pas décrocher, alarme d’une ceinture qui tarde à se boucler, bruit d’un ascenseur qui grimpe, d’un interphone incessant… Quand lors d’un tournage de scène de fête, la plupart des réalisateurs imposent aux figurants de singer leurs dialogues en restant muets, ou de danser sans musique – pour que les échanges des personnages principaux restent audibles –, encore une fois, Xavier Legrand favorise le réel et passe sous silence une discussion cruciale entre Miriam et sa fille, offerte alors à l’imaginaire du spectateur. Des trouvailles qui participent de la montée en tension et qui témoignent de la volonté du réalisateur de se servir de situations données comme contraintes.
Il faudra tenir le choc jusqu’à la scène finale, imprévisible et bouleversante. On ne dira de cette scène que son plan d’une efficacité renversante : fixe, immobile, vue plongée d’une baignoire. Dur, toujours à la limite du supportable, Jusqu’à la garde doit être vu pour ce qu’il raconte, de manière juste et jamais criarde, de ces violences. Il trahit l’engagement sans bornes de son réalisateur pour son sujet. « Il est temps, aussi, que les hommes prennent la parole. Cette domination masculine qui nous vient de la nuit de temps et les constructions sociales qui lui sont rattachées sont absolument abominables, ça me révolte. »
Les cinémas Star de Strasbourg rediffuseront Jusqu’à la garde de Xavier Legrand à partir de mercredi 27 février 2019, plus d’infos sur leur site Internet.
Par Cécile Becker