Un peu d’histoire
« C’est l’eau qui a fait la richesse économique et donc culturelle de Strasbourg », rappelle Jean-Luc Marchal, ex-chargé de mission à la ville de Strasbourg, qui a piloté l’aménagement des quais. Strasbourg est certes une ville rhénane, mais c’est d’abord une ville construite sur l’Ill, dont les bras et les affluents structurent la ville. C’est par là que, jusqu’à la fin du XIXe siècle, arrivent ou transitent les marchandises, donc les richesses, et les savoirs, qui ont fait du Strasbourg médiéval un épicentre bancaire et intellectuel, une ville suffisamment riche pour se doter d’un patrimoine architectural remarquable.
Des infrastructures portuaires médiévales émaillent toute ville, devant l’Ancienne Douane, mais aussi (entre autres) à l’emplacement de l’actuel parking des Bateliers, rue de Zurich, où passait l’ancien canal du Rheingiessen, comblé en 1872, qui reliait l’Ill au Rhin. D’autres quais de déchargement sont installés quai des Pêcheurs et à côté de la rue du Dragon. La corporation de l’Ancre, qui regroupe bateliers et constructeurs de bateaux, a un poids économique et politique considérable dans la ville libre, notamment parce qu’elle détient le monopole de la navigation fluviale entre Strasbourg et Mayence.
Ce qu’on sait moins en revanche, c’est que jusqu’à la fin du XIXe, on se baigne dans l’Ill. De nombreux bains fluviaux émaillent alors les rives, quai Finkwiller ou quai Saint-Thomas, dont les cabines de change rappellent celle des Bains municipaux. Sans parler des joutes nautiques médiévales ou des compétitions de natation qui s’y déroulent encore dans les années 60. « Dans la représentation mentale de la ville, l’eau est structurante », résume Jean-Luc Marchal.
Alors, que s’est-il passé ? Le port se déplace vers le Rhin, et pourtant l’Ill n’est plus un lieu d’agrément. À la fin du XIXe siècle, on commence à s’éloigner de l’eau pour des questions d’hygiène, elle devient plus sale car les égouts qui y sont déversés sont plus toxiques, et le seuil de tolérance s’abaisse. Le dernier bain fluvial, sur les rives de l’Aar au Contades ferme dans les années 50, et l’usage des bateaux-lavoirs tombe en désuétude dans les années 60. « À partir des années 60, l’eau devient un lieu noir, raconte Jean-Luc Marchal. Certains urbanistes ont même des projets pour recouvrir la rivière. À Nantes, tous les bras ont été fermés, à Mulhouse, une partie du canal est souterrain, de même que le canal Saint-Martin à Paris. » En revanche, il l’assure, « l’eau sera une priorité des prochains mandats, car toutes les villes s’attachent à cela, regardez Paris ! Aux prochains JO, les épreuves de natation auront lieu dans la Seine. À Zurich, il y a deux ans encore la rivière était un égout à ciel ouvert, maintenant on s’y baigne. »
Trois Badi, ou bains fluviaux, sont en effet accessibles en ville, à Bâle on nage dans le Rhin, et le musée suisse d’architecture, à Bâle également, consacre actuellement une exposition à ce mouvement mondial. À Montréal aussi, on nage dans le Saint-Laurent. Le monde entier rétropédale et se remet à l’eau.