Easy : d'autres modèles possibles

Chase, à son cours de danse burlesque dans Easy, saison 2, épisode 7.

Regarder, lire, apprécier avec ce que l’on est. La chronique Identités en séries, c’est un regard personnel et intime sur la représentation des identités, des sexualités et des genres dans les séries. Cinquième épisode : Easy, écrite, créée, éditée et réalisée par Joe Swanberg et diffusée sur Netflix.

Écrire un texte personnel induit l’honnêteté : écrire ce « je » aussi multiple et paradoxal soit-il, penser le « je » en n’excluant jamais le lecteur, trouver le mot juste. J’ai conscience de m’être souvent censurée par peur du ridicule – et toujours cette crainte de ne pas être à la hauteur de la littérature –, pour protéger aussi une vie privée et ces personnages qui l’ont traversée. J’ai conscience d’avoir passé sous silence des détails, des manœuvres de l’histoire qui auraient facilité la compréhension de ce récit de l’intime croisé à la sériephilie, exercice que je me suis moi-même imposé. S’assumer c’est y aller entièrement. Dont acte.

2017 fut une année chaotique : deux ruptures, deux déménagements, un retour vers une liberté toujours difficile à conquérir et jamais vraiment acquise, avec ce qu’elle suppose de parts de soi à accepter et de schémas dont se délester. Prendre conscience de ce qu’on s’est laissé faire, du puits sans fond de souffrances qu’on s’est imposé, des multiples empêchements qu’on s’est opposés, c’est embrasser l’ombre pour aller vers le mieux. C’est faire émerger des saynètes, d’une apparente futilité, pour y cerner des mécanismes puants. Cette mise en lumière fut aidée par un psychiatre. Une année d’analyse. Et cette phrase : « Je vous donne l’autorisation de créer vos propres modèles. » Elle résume tout : quatre années de fusion à un univers étranger à mes aspirations, quatre années de silences et d’enfouissements dont la responsabilité m’incombe. Pourquoi ? C’était inscrit juste-là, dans une histoire familiale dont je n’ai jamais cru qu’elle aurait pu avoir autant de résonances. Je suis convaincue d’être indépendante, libre surtout, mais une part d’hérédité rendait tous mes efforts vains. Libre partout, très peu dans le couple. Il aura fallu un homme marié, un comportement égoïste et sans doute un peu pervers, pour faire exploser tous les schémas, déconstruire jusqu’au dénuement le plus total, pour comprendre, abandonner, avancer, refaire. Tout n’est que remise en question continuelle.

Easy, anthologie diffusée sur Netflix et créée par le réalisateur Joe Swanberg, l’un des visages du cinéma mumblecore (indépendant, traitant des relations humaines, se concentrant sur les vingtenaires/trentenaires) pointe ces allers-retours continuels entre ce qu’on est/ce qu’on souhaite/ce vers quoi l’on tend, à la lumière du champ des possibles que l’ère contemporaine peut éventuellement permettre. Chaque épisode se concentre sur une histoire et ses protagonistes. Intimité, sexualité, parentalité : la quête identitaire, processus mouvant, est illustrée ici dans tous ses paradoxes et ses multiplicités. La saison 2 le fait avec autant de brio que la première saison fut inégale – l’un des écueils des anthologies – mais continue de suivre les mêmes personnages bien loin des clichés genrés ou stéréotypes régulièrement proposés par le cinéma. (Easy passe, à peu près sans encombres, le test de Bechdel.)
En vrac : un couple qui ne fait plus l’amour et cherche des solutions pour y remédier, une lesbienne qui en rencontre une autre, vegan, et le devient pour lui plaire (excellent portrait du communautarisme et ses dérives possibles), un vieil auteur autocentré qui cherche à revivre les premiers frissons, une adolescente débrouillarde en quête de valeurs, etc. D’une saison à une autre, l’on retrouve certains des personnages se frottant à leurs principes de vie qu’ils souhaiteraient figés, pour se prouver une forme de droiture voire de perfection, mais qui doivent nécessairement se faire flexibles.

Je pense à l’épisode 7 de la saison 2, Lady Cha Cha, où l’on retrouve le couple de lesbiennes, Chase et Jo, à l’épreuve de cette souplesse. Jo, l’ultra-féministe, organise une exposition dans le ton de ses combats, Chase se libère par la danse burlesque et décide de pousser l’expérience jusqu’au bout en organisant un show où elle osera se mettre à nu. Jo, l’ultra-féministe, joue son rôle d’ultra-féministe, et assure à Chase qu’elle soutient, avec bienveillance, son entreprise. Mais patatras… Imaginer son amoureuse se dénuder devant autrui, frotter sa vision du féminisme au charnel et à la séduction d’une danse burlesque (alors que la nudité d’une performance artistique ne lui pose aucun problème : un parallèle qui promet de belles interrogations sur la position démiurgique de l’art) vont contre ses principes. Ce dialogue :
« – Il t’arrive d’être une mauvaise féministe ? »
– Oui, c’est super dur. Nul n’est parfait : je me suis rasé les jambes aujourd’hui… »

Au-delà de la drôlerie d’un tel échange et des différentes facettes d’un féminisme exposé ici avec justesse, c’est là, dans la banalité d’une situation que cette chronique trouve son dénouement. On négocie toujours avec soi-même. Peut-être faudrait-il le faire avec plus d’indulgence ? Rien n’est définitif.


Par Cécile Becker