« Dans les centre-villes il y a beaucoup d’art dans la rue. C’est très recherché aujourd’hui. Certaines personnes ne se déplacent que pour voir ça. C’est important de s’ouvrir à l’art, de le rendre public et de faire réagir dans la ville. » Après ses succès, le festival continue d’être subventionné et soutenu par la Ville de Strasbourg, ainsi qu’un partenaire plus intriguant, Socomec, groupe industriel indépendant, spécialisé l’énergie électrique. Ce sont d’ailleurs leurs boîtiers électriques qui sont repeints un peu partout dans Strasbourg, essentiellement dans le cadre du Festival Colors. De nouveau boîtiers seront également embellis cette année par les Alsaciens Régis Fauquet, Édouard Blum, Mahon, Léonie Kœlsch, Organe Kauffmann ou Le StudioGraphe. Dans des partenariats similaires, la CTS, ou le CROUS vont voir apparaître certaines œuvres sur leurs bâtiments, comme le restaurant universitaire Paul Appel avec les artistes Grems et Dan23 ou encore AlexOne pour un pilier à Rotonde. Le Festival Colors s’invite même sur les fenêtres du château des Rohan à Saverne mais aussi, à la Foire Européenne.
Le festival Colors, ce n’est pas seulement des peintures sur les murs, des réalisations en live en extérieur et une exposition au Studio 116. Ce sont aussi des événements autour de la culture de l’art urbain contemporain et de ses pratiques. Une table-ronde “Le graffiti est-il condamné à la rue?” aura lieu le 17 septembre au Graffalgar et risque d’être mouvementée. Elle est organisée par le festival et proposée par Antoine Hoffmann, aka Seku Ouane. Cet artiste plasticien, graffeur et chercheur estime que le festival d’art urbain contemporain s’ancre dans « une démocratisation nécessaire du graffiti, permettant de le reconnaître et de le considérer comme un courant d’art à part entière ». Ce qui entraîne une reconnaissance et une rémunération accrue des artistes issus du graffiti. Résultat : le graffiti se voit coté. « Je ne vais pas jeter la pierre à ceux qui font des galeries parce qu’à un moment, un artiste, il doit manger et payer ses factures. » Si Seku Ouane met avant ces points positifs, ça ne l’empêche pas d’avoir une vision critique sur le lien avec les institutions politiques et culturelles. « Ça influence la scène du graffiti et invisibilise certaines pratiques. On va souvent opposer le bon graffeur au mauvais tagueur, ce qui va aussi avoir une incidence sur la réception de la pratique par le public. »
Exemple criant ? Le recouvrement d’œuvres « sauvages » par celles officiellement commissionnées. Seku Ouane cite notamment les fameux boîtiers électriques pour illustrer le propos : « C’est une bonne idée, d’autant que les artistes sont rémunérés. Repeindre le graffiti par le graffiti ? On se retrouve avec untel qui avait des tags sur ce boîtier, et un autre qui est venu repeindre dessus avec un projet payé. Une querelle se met en place entre les formes de graffiti et la discussion est coupée. Une opposition naît : le graffiti et sa fonction décorative et le graffiti comme rapport à l’urbanité et expérience dans l’espace public. »
La question de la rémunération et de l’appropriation institutionnelle et marchande de cette culture bat toujours son plein, et d’autant plus en 2020. Antoine Hoffmann dénonce une promotion de l’art à deux vitesses. « La ville est contente de faire une belle communication se prétendant “ville d’art urbain” alors que concrètement, on n’y est pas. Tu connais un seul mur autorisé à Strasbourg ? Il n’y en a pas. Il y en a des tolérés, mais on peut t’embêter. Il n’y a pas d’espaces dédiés autorisés à notre pratique et c’est problématique. » Il admet cependant une plus grande tolérance des pratiques dites vandales et moins de répression qu’au début des années 2000.
Il reste très content de voir un festival comme Colors à Strasbourg : « Ça reste un festival monté par des praticiens. Stom500, il connaît le terrain et le terreau. Il ne va pas œuvrer à une mise en administration immédiate de la pratique du graffiti et de son contrôle, au contraire. » Son seul reproche serait peut être un manque de nouvelles têtes. « Mais c’est aussi les grosses pointures qui font que les gens vont vouloir se déplacer. »