Photographie de la série Them that believe par Cyril Abad, prise en 2019 dans les montagnes Appalaches en Virginie Occidentale, États-Unis.

Cyril Abad,
digressions religieuses

Depuis 2017, le photographe français Cyril Abad s’est lancé dans le projet fou de documenter les déraisons de la religion et son rôle sur la société états-unienne. Après de nombreux voyages aux « pays des rêves », il est rentré sur le continent la tête pleine de souvenirs et l’appareil empli d’images aussi étonnantes que dérangeantes. À La Chambre, l’exposition In God we trust relate cette épopée photographique.

Photographie de la série Them that believe par Cyril Abad, prise en 2019 dans les montagnes Appalaches en Virginie Occidentale, États-Unis.
« Il suffit d’avoir la foi pour manipuler les serpents ».
Them that believe, Appalaches, Virginie Occidentale, 2019. © Cyril Abad, La Chambre.

Muni de son appareil, Cyril Abad a quitté l’hexagone pour découvrir comment, dans cette nation, la foi intègre toutes les strates de la vie sociale, économique, politique… Ici, ne pas croire est signe d’étrangeté et, donc, d’exclusion. Dans les hôtels, les tables de chevet des hôtels abritent presque toujours la Holy Bible.
Pour illustrer sa démarche artistique, et sa volonté de mieux comprendre comment la religion s’insère dans le quotidien, l’exposition occupe deux espaces distincts, et déploie deux ambiancesD’abord, un reportage sur différentes excentricités religieuses au sud des États-Unis, puis une immersion dans les profondeurs d’une petite congrégation perdue des montagnes Appalaches.

Lumière / noirceur, gaieté / morosité

Dans la première salle, la lumière traverse les baies vitrées et inonde l’espace d’exposition. Ici le visiteur s’amuse de tous ces excès typiquement américains. Pour faire face à la baisse de leur fréquentation, les megachurches – qu’on ne voit plus guère qu’au cinéma – misent tout sur le marketing. Comme des publicitaires, elles tentent de se rapprocher de chaque communauté en s’appuyant sur leurs différences identitaires pour leur proposer des cultes sur-mesure. La religion devient marchandise.

Ainsi, en un kaléidoscope d’images aux couleurs vives, les photos de la méta-série In God we trust rassemblent des Nacked Church pour adeptes entièrement nus, une chapelle-roulotte, un cycliste armé d’une croix géante déambulant dans les villes pour propager sa foi, des shows télévisés à l’américaine qui s’achèvent sur un concert de rock-chrétien, une arche de Noé gigantesque – soi-disant grandeur nature – à destination de créationnistes persuadés que les dinosaures auraient disparu suite à une guerre contre les êtres humains, etc. On s’étonne devant la Drive-in-church construite sur le modèle du cinéma en plein air. Chacun dans sa voiture, en pyjama ou avec son animal de compagnie, peut écouter sur ondes radiophoniques le sermon du prêtre Rob. Un concert de klaxons remplace le traditionnel « amen ».

Photographie de la série Drive-in Church par Cyril Abad, prise en 2018 à Daytona Beach en Floride, États-Unis
Drive-in Church, Daytona Beach, Floride, 2018 © Cyril Abad, La Chambre.

De prime abord, ces extravagances amusent : des nudistes dans des chapelles ? Un combat hommes contre dinosaures ? En y regardant de plus près, c’est tout sauf réjouissant. Parfois, le prosélytisme s’invite à la partie. Profitant notamment du régime fiscal avantageux des églises, des entrepreneurs opportunistes s’engagent dans une commercialisation du religieux. À Orlando, dans un parc d’attraction nommé Holyland, justement fermé pour fraude, on rejouait des scènes de la vie de Jésus. De sa naissance à sa crucifixion, le (faux) sang coule à flot tandis que les disciples sont en larmes. Fanatisme religieux. Certains auront la chance de pouvoir se prendre en photo avec le sauveur, le toucher serait une bénédiction. Marketing à l’état pur.

Des cérémonies troublantes

Autre espace, autre atmosphère. Adieu lumière naturelle. Dans la deuxième salle, des images forestières sinistres très cinématographiques cohabitent avec des photographies de troublantes cérémonies. Thriller photographique. En Virginie Occidentale, dans les montagnes Appalaches, une petite communauté isolée de pentecôtistes marquée physiquement par la drogue, le chômage et la pollution, pratique d’étranges rituels.

Photographie de la série Them that believe par Cyril Abad, prise en 2019 dans les montagnes Appalaches en Virginie Occidentale, États-Unis.
Them that believe, Appalaches, Virginie Occidentale, 2019 © Cyril Abad, La Chambre.

Chris, le pasteur de l’Église, est un éleveur de serpents à sonnette. Sous le plancher de sa chapelle, il abrite quelques-uns de ces reptiles dont le venin peut paralyser un homme en quelques jours. D’après lui, « il suffit d’avoir la foi pour les manipuler ». Ainsi, musique country et transes s’invitent à la fête en même temps que les initiés violentent les animaux : ils les piétinent, les tordent avec les mains, les jettent violemment en l’air… Tolérés dans cette ancienne région minière reculée, ces usages mortels sont interdits dans le reste du pays depuis les années 1950. Et pour cause: la plupart des femmes de cette étonnante communauté sont veuves. Le pasteur Chris lui-même aurait été mordu en présence du photographe. Folie furieuse ?

Il n’est pas innocent pour ce pays, né il y a quatre cents ans dans le sang, que la vie spirituelle revête une telle importance dans le quotidien de chacun. Héritage ancestral en perpétuelle transformation. Bien loin de toute solennité chrétienne européenne, les cérémonies religieuses américaines sont à l’image de leur nation : étonnantes. Un folklore assumé qui, souvent, s’imprègne d’un certain capitalisme religieux : soif de pouvoir, soif de contrôle. Autre point notable : dans ces dizaines de photographies, un seul individu noir. Pas vraiment étonnant dans les anciens états sudistes ? Sans doute, et l’exposition invite à poursuivre ces réflexions alimentées par l’actualité.


In God we trust de Cyril Abad, à La Chambre de Strasbourg jusqu’au 30 août 2020


Par Lucie Chevron