Guillaume Herbaut : "J’ai vu un pays tomber dans la guerre" 

Le photojournaliste Guillaume Herbaut montre, de façon chronologique, le basculement de l’Ukraine dans la guerre depuis la révolution de Maïdan à l’hiver 2013 à nos jours. À voir jusqu’au 31 mars 2019 chez Stimultania à Strasbourg.

Affrontement à KIEV - RUE HRUSHEVSKOHO © Guillaume Herbaut
KIEV - RUE HRUSHEVSKOHO - 22 JANVIER 2014 - 14H16 Des affrontements violents se déroulent entre forces de l’ordre et manifestants pro-européens depuis le 21 janvier. Les unités spéciales antiémeutes, les Berkouts, utilisent des armes à feu contre la foule. À la fin de la journée, on dénombre cinq morts et plusieurs centaines de blessés. Photo : Guillaume Herbaut
Après les combats, à Kiev, place Maïdan. © Guillaume Herbaut
KIEV - PLACE MAÏDAN - 23 FÉVRIER 2014 - 14H11 Après les combats entre les manifestants pro-européens et les forces de l’ordre qui ont fait plus de 100 morts et près de 1000 blessés entre le 18 et le 20 février. Photo : Guillaume Herbaut

Poing levé et torse nu, le portrait éclairant d’Inna Schevtchenko devant des barres d’immeubles de Kiev présuppose d’un autre combat que celui mené par la Femen à l’entrée de l’exposition de Guillaume Herbaut, intitulée Ukraine, de Maïdan à la guerre et visible jusqu’au 31 mars chez Stimultania à Strasbourg. Le photojournaliste, primé d’un Visa d’Or en 2014 à Perpignan, raconte de manière chronologique la guerre qui scinde ce pays slave entre pro-Européens et pro-Russes depuis plus de cinq ans. Les photos sont agencées autour d’un espace semi-circulaire, « pour que le spectateur se retrouve au cœur du conflit, comme s’il était sur la place Maïdan », avance Céline Duval, directrice de Stimultania et commissaire de l’exposition.

Guillaume Herbaut a découvert l’Ukraine en 2001 au travers d’un reportage sur la zone interdite de Tchernobyl. Le début d’une longue histoire entre le photojournaliste et ce vaste pays dont l’histoire récente est faite de soubresauts tragiques.

En 2004, il se retrouve aux premières loges pour suivre la révolution orange qui suscite l’espoir d’une grande partie des Ukrainiens, bien décidés à tourner le dos au voisin russe et à se rapprocher de l’Union Européenne. Un changement de cap loin d’être partagé par les populations du Donbass, à l’est du pays, et de Crimée, majoritairement russophones. La scission du pays est en œuvre et sera effective à compter de l’hiver 2013 et des événements de la place Maïdan à Kiev. Quelques mois plus tard, la Crimée proclame son indépendance tandis qu’une guerre civile éclate dans la zone minière du Donbass, causant plus de 10 000 morts. Aujourd’hui, en dehors de tirs sporadiques et de tensions récurrentes entre la flottes russe et son homologue ukrainienne en mer d’Azov, le conflit semble figé. Ce qu’illustre très bien Guillaume Herbaut dans le second volet de son travail, où la vie tente de reprendre ses droits au cœur d’immeubles éventrés tandis que des adolescents se retrouvent dans des camps de vacances pour s’initier aux armes. Le prochain acte se jouera peut-être lors des élections présidentielles dont le premier tour est fixé au 31 mars, même si son issue semble encore floue aux yeux de Guillaume Herbaut. « Je n’en ai vraiment aucune idée », jauge-t-il. En attendant, il revient sur son travail pour Zut.

Portrait de Guillaume Herbaut. © Richard Dumas
Guillaume Herbaut - 2011 - Photo : Richard Dumas

Aviez-vous l’impression d’assister à une révolution pas maîtrisée ou, à l’inverse, hyper-organisée pour que le Donbass et la Crimée se retrouvent annexées par la Russie lorsque la place Maïdan se soulève à Kiev en décembre 2013 ?
C’est compliqué. J’ai d’abord vu un mouvement populaire assez fort, qui s’est ensuite durci face à la répression et, après, on a senti une vraie organisation. La place Maïdan était organisée comme un camp cosaque. Quand il y a eu les premiers morts, on a vu l’ambiance complètement changer. En 2004, pour la révolution orange, il y avait une sorte de fraîcheur et d’optimisme alors que là, le climat était beaucoup plus lourd. Ça ne sentait pas très bon. En 2004, il y a eu de l’espoir avec l’arrivée d’un pouvoir qui était derrière la révolution orange. Puis ce gouvernement s’est entretué entre Ioulia Timochenko et Viktor Iouchtchenko. Clairement, ils ont foutu en l’air la révolution. Quand Viktor Ianoukovytch reprend le pouvoir en 2010, je vois vraiment l’ambiance décliner. Il y a une sorte d’agressivité dans la rue. En 2013, les gens veulent une démocratie hors de la corruption. Ils se battent d’abord pour cela et pour un accord avec l’Union Européenne qu’avait rejeté Ianoukovytch. Quand les premiers morts arrivent, on sent qu’on prépare les gens à la violence. Des films de guerre sont projetés sur la place, on entend des bruits de tir. J’étais frappé par ce conditionnement qui incitait les gens à aller jusqu’au bout.

Aviez-vous déjà couvert ce genre de conflits auparavant ?
J’ai décidé de devenir photojournaliste très jeune. J’avais 19 ans et je me voyais photographier des conflits. Donc je pars en Bosnie et en Croatie et c’est un échec photographique. Parce que j’arrive sur les lieux en première ligne mais tout est calme alors que je m’imaginais courir d’une tranchée à l’autre, ce qui était une idée complètement romantique et ridicule. J’ai compris que je faisais ce métier pour raconter des histoires et je n’ai donc plus du tout été confronté à la guerre. Je traitais de sujets autour de l’environnement, de la politique et du social. Quand Maïdan commence, la guerre revient dans mon univers et cela fait maintenant cinq ans que je retourne régulièrement sur les lignes de front. Mais cela n’était plus un désir de ma part. On est beaucoup de photographes et journalistes qui avaient l’habitude d’aller en Ukraine à se retrouver ainsi confrontés à la guerre sans la chercher.

Comment fait-on lorsqu’on se retrouve face à la guerre sans forcément l’avoir cherché ?
J’essaie de raconter et de prendre du recul par rapport à ce que je vois tout en pensant à ma sécurité car j’ai une famille. Je ne suis pas là pour montrer des gens en train de courir avec des kalachnikov. J’essaye de donner du contexte et de raconter la guerre autrement. Pour qu’on comprenne les choses sans être uniquement focalisé sur l’uniforme, l’arme et le mec dans la tranchée.

Qu’est-ce qui vous a marqué durant ce conflit ?
Même si je m’y attendais un peu, j’ai vu un pays tomber dans la guerre. Avec une centaine de personnes déterminées, on peut tomber dans le chaos. J’ai vu la fragilité des choses, d’un État et d’une société. J’ai aussi vu l’arrivée de la haine, de la foule qui cherche à tuer, c’est effrayant. D’un autre côté, on voit des gens qui continuent leur vie sur les lignes de front alors que la guerre est entrée dans leur quotidien. 

Au début de la révolte de Maïdan, vous montrez les face-à-face entre les manifestants et les forces de l’ordre. Peut-on dresser un parallèle avec ce qui se passe en France dans le cadre des violences qui entourent les rassemblements des gilets jaunes ?
Je ne veux pas rentrer là-dedans car les deux situations ne sont pas comparables. Je ne veux pas faire de raccourcis. L’Ukraine a une histoire particulière. Elle a vécu sous un régime soviétique avec un taux de corruption particulièrement élevé. Chaque crise a sa particularité. La seule différence que je peux faire en tant que journaliste, c’est qu’à Maïdan, j’étais protégé par les manifestants.


Ukraine, de Maïdan à la guerre – photographies de Guillaume Herbaut 
Jusqu’au 31 mars 2019 à Stimultania,
33 rue Kageneck à Strasbourg


Par Fabrice Voné