Lalique en lumière #1

Cette année, Lalique fête les 100 ans de sa manufacture de Wingen-sur-Moder. Un anniversaire qui coïncide avec l’Année internationale du verre. Un double événement qui méritait une visite en coulisses, dans la magie du cristal.

Pousser les portes de la manufacture Lalique, c’est faire un voyage dans le temps. Même si l’usine s’est largement modernisée, depuis son rachat par Silvio Denz en 2008 et plus de 20 millions d’euros d’investissement, certains lieux semblent figés dans le passé et les gestes immuables depuis plusieurs générations. 250 personnes travaillent ici, certains la nuit, car les fours ne s’arrêtent jamais. Ils assurent toutes les étapes du circuit de fabrication de cette prestigieuse production, expédiée dans 80 pays, depuis Wingen-sur-Moder.
Unique site manufacturier de Lalique, l’usine de 17 000 m2 produit chaque année 350 à 400 000 pièces. Pièces d’art numérotées, objets décoratifs pour l’architecture d’intérieure, bijoux, parfums, arts de la table… De quelques grammes à plusieurs dizaines de kilos, chacune passe entre des dizaines de mains, car la perfection est un emblème de marque. Les joyaux Lalique, même les verres issus d’une production plus industrielle, subissent la traque au zéro défaut, qui laisse sur le carreau près de la moitié d’entre eux. « Le cristal est une matière vivante et nous sommes loin d’une science exacte. Tout au long de la chaîne de fabrication, il y a de multiples inconnues. Heureusement, le cristal se refond à l’infini », explique Frédéric Bour, responsable développement du cristal.

Masquage d’un vase Mossi de la collection « Into the Blue » avec une résine et découpage sur certaines zones pour permettre un jeu de transparence. © Christoph De Barry
Opération de retouche sur un vase Bacchantes incolore par Matthieu Muller, un des MOF (Meilleurs Ouvriers de France) dans la discipline « taille sur cristal » promotion 2015 de la manufacture Lalique. © Christoph De Barry

Un site en constante fusion

La visite du site, fermée au public, révèle une maitrise complète de la chaine de fabrication du cristal, à commencer par la fabrication des fours en argile par deux potiers. La technique requiert un grand savoir-faire et du temps : chaque pot de terre nécessite environ trois jours de travail manuel et neuf mois de séchage. Ces récipients seront utilisés trois à quatre mois, pour fondre le cristal à une température de 1400 °C. Ensuite leur paroi interne se détériore et nécessite le remplacement du pot. 12 pots placés dans le four produisent environ 1,5 tonne de cristal quotidien, que les verriers viennent cueillir pour le souffler.
La visite passe ensuite par l’atelier des moules en acier, dont Lalique réalise chaque année une cinquantaine de modèles, pour ses créations ou d’autres fabricants. Les ouvriers utilisent les mêmes machines que dans l’industrie automobile. Mais le fraisage numérique de chaque moule est rectifié à la main par les intérioristes qui corrigent et redessinent l’expression des visages, peaufinent la finesse des détails, polissent l’intérieur des moules et ajustent les jonctions entre ses différentes parties. « Certains moules complexes nécessitent jusqu’à trois semaines de reprise manuelle pour obtenir un résultat parfait. Ils seront ensuite utilisés seulement quelques centaines de fois. » Quand on sait que la fabrication d’un moule peut coûter plusieurs dizaines de milliers d’euros, on comprend aisément pourquoi Lalique est protégé des contrefaçons. Véritable patrimoine de l’entreprise, un stock conserve précieusement plus de 6 000 moules, qui retracent toute l’histoire des créations Lalique.

Le vaste atelier consacré au verre chaud est le cœur battant de la cristallerie. Le premier four y a été allumé en 1922. C’est ici que les maîtres-verriers cueillent la goutte de matière incandescente à l’aide d’une canne, dans une fontaine de cristal en fusion. Luisante et coulante comme du miel, la matière est soufflée à la bouche par l’artisan verrier, puis pressée dans un moule et démoulée pour être refroidie. Le ballet est millimétré et sans cesse répété. La magie est intacte.

Travail de taille sur une petite panthère Zeila réalisée par Nicolas Lalluet. © Christoph De Barry

Un nouveau souffle

Redynamisée par d’importants investissements industriels, la manufacture a révolutionné son process en 2008 avec l’acquisition d’un four à bassin dernière génération qui produit six tonnes de cristal en fusion par jour. « La qualité est encore supérieure car la fusion est constante. C’est comme si on avait quitté l’âge de pierre », explique Jean-Claude Hertrich, technicien process verre chaud. Autre évolution, la renaissance d’un grand atelier de cire perdue. Déjà utilisés par René Lalique pour ses bijoux jusqu’en 1930, ces moules en plâtre à usage unique autorisent une plus grande liberté artistique pour des pièces de grande taille ou l’incrustation de motifs à l’intérieur du cristal. La technique ne vaut que pour de petites séries réclamant souvent des centaines d’heures de travail, comme celles inspirées par des collaborations avec les plus grands artistes contemporains, tels que Yves Klein, Damien Hirst, Zaha Hadid, Anish Kapoor, Terry Rodgers ou James Turrell. Les pièces qui résistent à ces étapes de fabrication prennent alors la destination de l’atelier de verre froid. La taille des hauteurs et le gommage des coutures du moule sont rectifiés sous l’eau froide avec des pointes diamantées. Les détails sont travaillés par les graveurs avec une extrême délicatesse et une précision qui tient de l’artisanat d’art. Viennent ensuite les étapes de sablage, de polissage et de lustrage en fonction de l’effet de brillance et de transparence recherché. Un savoir-faire typique du style Lalique, qui donne au cristal une opalescence unique, entre ombres et lumières.

C’est seulement à l’issue de ce long circuit de haute couture que chaque pièce passe entre les mains et surtout les yeux des contrôleurs qualité, capables de déceler la moindre imperfection. Les élues sont enfin gravées avec la prestigieuse signature Lalique, calligraphiée tout en volutes. L’ultime étape se déroule dans le nouveau centre logistique où les précieuses marchandises sont soigneusement emballées pour être expédiées à travers le monde.

Du 18 juin au 6 novembre 2022
au Musée Lalique
L’exposition estivale retracera les 100 ans de la manufacture à Wingen-sur-Moder, en mettant en valeur la création et les techniques. Elle mettra également en lumière les savoir-faire des verriers, tailleurs, potiers, directeurs de cette épopée centenaire.


Par Corinne Maix
Photos Christoph De Barry