Au Musée Vodou,
pulsion scopique assurée

Imposant, l’ancien château d’eau construit sous la domination allemande abrite désormais le Musée Vodou et sa collection de plus d’un millier d’objets africains. Ce vaste espace unique en son genre accueille actuellement une nouvelle exposition temporaire présentée au rez-de-chaussée du musée. Des profondeurs du massif vosgien jusqu’en Afrique de l’Ouest, Magie religieuse et Pouvoirs sorciers raconte d’étranges rituels magiques qui perdurent depuis des générations.

Les vitrines accumulent les artefacts parfois dérangeants. Le regardeur ne peut s’empêcher d’être fasciné : pulsion scopique. Chaussures, pattes de lapins, restes d’un chat emmurés vivants originaires du Grand Est côtoient les têtes de canard cadenassés, os d’animaux ou humains, cheveux, ongles, plantes et petites figurines issus d’Afrique de l’Ouest. Photo : Modica Marilyn

Telle une caverne d’Ali Baba, de curieux objets éclectiques se rencontrent. Vodouïsme africain et coutumes occidentales ancestrales méconnues sont mis en parallèle, autant dans le fond que sur la forme. Dans les deux cas, la religion est magie et fait partie intégrante du quotidien. Séparés par un gouffre spatio-culturel, sculptures de bois, ossements divers, animaux momifiés, plantes et poupées de papier mâché se confrontent pour mieux se compléter. Les objets sont hétérogènes selon les régions mais bien souvent ont un objectif commun : protéger ses enfants, les maisons, les récoltes, le bétail . Au Nord de l’équateur, des chaussures sont emmurées afin de garantir la sérénité du foyer tandis qu’au Sud, des petites statuettes nommées Kudio Bocio sont disposées à l’entrée du village.

De la magie à la religion, il n’y a qu’un pas

Comment parler de religion sans parler de magie ? Telle est la question que pose l’exposition. Interrogées, la dévotion populaire et la religion sont mises en lumière comme des modèles reprenant une construction de l’invisible, identique aux rituels magiques. Bouleversante par l’atmosphère qui s’en dégage, Magie religieuse et Pouvoirs sorciers nous confronte à la réalité d’un monde soumis depuis quatre cents ans à l’hégémonie impériale occidentale. Exploiter. Détruire. Contraindre. Imposer. Et si la scission entre les deux n’était qu’une construction blanche dans une volonté de légitimer le christianisme comme la norme et donc, de délégitimer les magies religieuses noires telles que le vodou ? Archaïque. Barbare. Autre.

Déviante du point de vue des chrétiens, la magie a pourtant posé ses jalons dans la région du Rhin Supérieur : incantation, prières, théâtralisation, danses, musiques et rituels divers rythment le quotidien d’une petite souche d’irréductibles « gaulois » et rappellent les cérémonies vodou du Ghana, Togo, Benin et Nigeria. Des « vierges à gratter », des « billets à avaler », des livres de magie écrits en latin attestent de la connaissance évidente des textes sacrés. Ici, magie et religion ne font qu’une. Dans un même temps, des croix grimées en provenance d’Afrique interrogent la colonisation et son impact sur les cultures et religions africaines. Se confronter pour mieux se compléter disions-nous.

Vue de l'exposition « Magie religieuse et pouvoirs sorciers » au Musée Vodou, 2020.
Vue de l'exposition « Magie religieuse et pouvoirs sorciers » au Musée Vodou, 2020. Photo : Modica Marilyn

Protéger. Soigner. Attaquer.

À travers les objets fabriqués de leurs mains, les magiciens, sorciers, exorcistes et autres guérisseurs sont aussi de la partie. Fixés par la culture populaire occidentale, les stéréotypes négatifs attachés à leur mission sont questionnés. À l’image du prêtre Bokono dans le vodou, ils protègent et soignent avant toute autre chose. Les vitrines accumulent les artefacts parfois dérangeants. Le regardeur ne peut s’empêcher d’être fasciné : pulsion scopique. Chaussures, pattes de lapins, restes d’un chat emmurés vivants originaires du Grand Est côtoient les têtes de canard cadenassés, os d’animaux ou humains, cheveux, ongles, plantes et petites figurines issus d’Afrique de l’Ouest. Là-bas, sacrifier un animal fait partie prenante du rituel. Son sang est offert à la divinité tandis que ses restes pourront entrer dans la composition d’objets magiques de protection ou de soin. Les frontières se brouillent dans le désordre volontaire et assumé des commissaires. Nul ne sait d’où proviennent ces substances. De France ou d’Afrique ? La question se pose encore et encore.

Des herbes, minéraux et poudres en tout genre sont délicatement disposés tandis que les objets dont le but est d’agresser se font rares. Contrairement aux idées reçues et véhiculées par l’Homme blanc, le propre de la magie et du vodou est avant tout de protéger, soigner et non pas d’attaquer. Encore un point que l’exposition révèle avec brio.

Magie religieuse et pouvoirs sorciers ne questionne pas la croyance. À l’inverse, il s’agit davantage d’une forme d’historicité essentielle à l’évolution d’un monde encore encré dans la binarité. En somme, l’objectif est limpide : questionner l’opposition construite entre religion et magie, interroger la séparation fabriquée entre deux coutumes à peu de chose près similaires et pourtant opposées par leurs spatialités Nord/Sud.

Quant à l’exposition permanente présentée dans les étages supérieurs, elle ne laisse pas de marbre. Une atmosphère indescriptible impose des sentiments paradoxaux, entre gêne et séduction, pour qui se prête au jeu. Comme si l’invisible nous observait. Éblouissant. Captivant.


Magie religieuse et Pouvoirs sorciers au Musée Vodou à Strasbourg, jusqu’au 29 novembre 2020


Par Lucie Chevron
Photos Modica Marilyn