Marine Froeliger :
Échelle / Massstab / Scala

Pour son projet Échelle / Massstab / Scala, l’artiste strasbourgeoise Marine Froeliger a travaillé autour du rite du Schieweschlawe : documentation, regards et (ré)interprétations transmises sous forme d’installations, de pièces sonores et de photographies.

Au départ, il y a ce rite du Schieweschlawe (à Offwiller). Comme un jeu de pistes, Marine Froeliger a reconstitué les sens multiples que ce rite revêt en documentant ses préparatifs (photographies) et en enregistrant des témoignages d’habitant.e.s et sons concrets, elle a ensuite ajouté une couche d’interprétations en travaillant avec des collégiens qui ont produit images et sons. Enfin, une expérimentation a été menée pour regraver ces créations sonores sur vinyles (en bois de hêtre), des dispositifs d’écoute ont été créés et une exposition présentée à Offwiller (visible jusqu’au 30 septembre 2019). Marine Froeliger cherche désormais à pouvoir éditer le fruit de son travail pour le diffuser auprès des participant.e.s et du grand public. Le nom de la totalité de son projet ? Échelle / Massstab / Scala. Il ne reste d’ailleurs plus que quelques jours pour soutenir son travail sur la plateforme de crowdfunding KissKissBankBank.

Le rite du Schieweschlawe

Offwiller Schieweschlawe
Le rite du Schieweschlawe, lancer de disques enflammés. Image : commune d'Offwiller.

Depuis janvier 2018, Marine Froeliger amoncèle enregistrements sonores, témoignages et photographies autour du rite Schieweschlawe à Offwiller. Pour encadrer son projet artistique, elle a choisi de mettre en rapport ce travail avec une phrase de Nicolas Thély, extraite du livre Hypergeography de Joe Hamilton : 
« Dans quelles conditions l’échelle humaine du monde peut-elle encore être donnée par notre corps ? »
« Cette phrase me semblait résumer un des grands questionnements de notre génération. J’avais l’envie de la mettre en regard du Schieweschlawe parce que c’est un rite qui remet les choses à leur place, en quelque sorte. Alors qu’on a tous un smartphone entre les mains, que nos vies et nos usages se transforment, nous ne sommes pas assez conscients qu’une balade en forêt peut-être est plus intéressante que de démultiplier les “ubiquités numériques”, moi la première. »

Schieweschlawe © Eve Buchi
Le Schieweschlawe. Photo : Eve Buchi

« Le Schieweschlawe nous fait repenser le rapport aux saisons, à l’agriculture, le rapport à soi, au monde et aux autres. Il y a cette ascension à travers forêt, dans la nuit noire, l’arrivée près d’un énorme feu, puis tu te retrouves à faire rougir un petit disque de bois de hêtre pour aller le lancer depuis une des grosses pierres de grès disposées face au ciel. Les disques qui volent à tour de rôle partent en petits soleils, comme des étoiles filantes qui viennent réchauffer le ciel. C’est un condensé de sensations, un moment convivial et bon enfant où, tu fais spontanément corps avec ce qui t’entoure et où les branches qui craquent sous tes pas, l’odeur de feu, les claquements de disques contre la pierre, les rires, t’invitent à être dans un ici et maintenant. »

Documenter les préparatifs du Schieweschlawe

Schieweschlawe Autour Disque bois de hêtre © Marine Froeliger
Image issue de la série "Autour" illustrant les préparatifs du Schieweschlawe. Confection des disques en bois de hêtre. Photo : Marine Froeliger

Première étape : la documentation. Marine, aidée des habitant.e.s a pu découvrir des archives autour du rite. Elle a également enregistré des témoignages d’habitant.e.s et a suivi tous les préparatifs : ramassage du bois et confection des disques en bois de hêtre. Ce travail lui a par ailleurs permis d’enregistrer des sons concrets, trouvés lors de ces balades.
« J’ai appris qu’il y avait pléthores de lectures de cette fête au sein du village, que chacun se l’approprie avec son prisme, que certains la pratiquent sans se poser trop de questions depuis plus de 40-50 ans, pour la beauté du geste et ces retrouvailles autour du feu. Certains voient cela comme une simple fête de village, n’en voient pas forcément l’originalité (mais ils ne la manqueraient pour rien au monde !), d’autres y allaient davantage pendant leur jeunesse, certains se sont beaucoup documentés sur le rite à travers tout le bassin rhénan et m’ont apporté des éléments liés aux évolutions du rite et de sa/ses symbolique(s). On a pu remonter jusqu’à après-guerre. » 

Image issue de la série "Autour" illustrant les préparatifs du Schieweschlawe. Photo : Marine Froeliger

« Cette multiplicité de lectures et d’expériences du rite m’a guidée. J’avais le sentiment qu’il fallait travailler en transmédia, tout en restant au plus près du geste et de la parole, en sons : à partir de captations de sons concrets inhérents au Schieweschlawe et d’entretiens menés et de sons bidouillés. Pour transmettre, le son est trop souvent considéré comme une matière qui semble abstraite. Je me devais de faire un double travail photographique (argentique – photogrammes – et numérique) ; mêlant artefacts, prélèvements sur site et images documentaires. Je n’avais pas envie de montrer le rite à proprement parler, j’estime qu’il se vit, se concentrer sur l’autour c’était aussi étirer l’espace temps. C’était à mon sens la manière la plus juste de donner à voir, de souligner immuabilités et constances, permanences et impermanences, de ce genre de pratiques. » 

Le travail de co-création avec des collégiens

college diemeringen Marine Froeliger co-création Schieweschlawe.
Les collégiens de Diemeringen ont travaillé avec Marine Froeliger. Une co-création sonore et plastique. Photo : Marine Froeliger

Marine Froeliger a ensuite travaillé avec des collégiens de Diemeringen qui découvraient le rite et ont créé images et sons en rapport avec celui-ci. « Transmission transversale, sortir, observer, faire des entretiens avec les anciens, croiser les regards, provoquer une rencontre trans-générationnelle impromptue autour d’un objet culturel méconnu, et qui, de prime abord ne parlait pas aux jeunes… jusqu’au moment où ils sont venus lancer des disques ! Cette co-création a permis de développer leur sensibilité. Ces deux jours par semaine avec eux, dans une salle de classe transformée en atelier son/labo-photo argentique m’ont permis de parler d’art, d’exposition, d’aborder l’écologie sonore, les questions de territoire… Par chance, certains collégiens étaient en option classe-orchestre, cela a permis de faire des improvisations instrumentales en lien avec les différents phases du rite que nous avons décortiquées ensemble qui apparaissent sur la création “Le Geste”, mêlées aux sons du rite et à des nappes plus électroniques co-composées avec Janick Deneux. » 

La production / L’exposition

Vinyles Échelle / Massstab / Scala
Vinyle du projet Échelle / Massstab / Scala mené par Marine Froeliger.

Enfin Marine Froeliger a monté une exposition au Musée des Arts et Traditions Populaires à Offwiller débutant le jour du Schieweschlawe et visible jusqu’au 30 septembre 2019. Elle y présente une installation sonore composée des 2 co-créations (avec les collégiens) de 12 minutes : Le geste et La parole, des photographies, une platine vinyle et un disque de bois de hêtre gravé avec l’un des témoignages ! « L’idée de demander au menuisier du village de me préparer des disques de hêtre version 33T me trottait dans la tête depuis un moment. J’avais l’envie d’y regraver des sillons et de faire en quelque sorte “vaciller la parole”. Depuis une vingtaine d’années, le rite est traité médiatiquement comme étant perpétué pour “chasser l’hiver”, à Offwiller, mais aussi en Italie par exemple. Les rencontres m’ont permis d’avoir des lectures très différentes et de découvrir que la fête a été un temps grandement liée à la fertilité des sols mais aussi des femmes. J’ai voulu mettre en exergue cette transformation du rite à travers ses évolutions successives. » 

Exposition art contemporain Offwiller Echelle / Massstab / Scala
Exposition Échelle / Massstab / Scala visible à Offwiller jusqu'au 30 septembre 2019.

« Le son compressé et retranscrit sur le disque est une description du rite d’1mn40 en alsacien. Avec le matériau bois, il y a une déformation de l’ordre du glitch qui opère, ça donne une espèce de « wood-noise » car le diamant vient cheminer sur la fibre du bois et ce son très particulier vient se mêler à la voix. Tout l’enjeu est de parvenir à trouver un juste équilibre entre le côté noisy et les paroles. Les premiers tests sur contreplaqués ont été concluants en ce sens ; avec Jérémie Wojtowicz, nous allons maintenant peaufiner les réglages sur hêtre (le bois est beaucoup plus dur) d’après la documentation open-source d’une ingénieure américaine. Et pour boucler la boucle, on le lancera au prochain Schieweschlawe après l’avoir enflammé !
Les habitants d’Offwiller à qui j’ai présenté mon travail ont été assez étonnés ; tous ne comprennent pas ma démarche, mais certains m’ont dit avoir apprécié, se sentir bien dans l’espace de l’exposition, et m’encouragent fortement. » 

« C’est la première fois que le Musée des Arts et Traditions Populaires accueille une exposition d’art contemporain, cela ouvre à d’autres publics, et permettra peut-être aux visiteurs de passer du temps à s’intéresser à cette maison d’antan qui regorge d’objets de la culture locale qui s’avèrent passionnants. » 

En plus de cette exposition Marine Froeliger souhaite inscrire ces gestes et paroles dans la durée et perpétuer ces traces en éditant des vinyles de son projet qui seront ensuite distribués aux partipant.e.s du projet et auprès du grand public. Elle souhaite également pouvoir diffuser ses créations sonores sur un dispositif de qualité et rémunérer le travail de post-production sonore. Elle a donc lancé une campagne de crowdfunding qui s’achève dans quelques jours ! Soutenez-la !


Échelle / Massstab / Scala, exposition jusqu’au 30 septembre 2019 au Musée des Arts et Traditions Populaires d’Offwiller
Soutenir le projet Échelle / Massstab / Scala sur KissKissBankBank et l’édition de supports vinyles !
Découvrir le travail de Marine Froeliger sur son site Internet ou sur sa page Instagram


Propos recueillis par Cécile Becker