Regionale 2020 : coups de cœur

Chaque année, 18 lieux d’expositions entre Alsace, Bade-Wurtemberg et Suisse présentent des œuvres d’artistes installés sur ce territoire. La Regionale est un projet transfrontalier unique, qui fête cette année ses 20 ans. Avec toujours la volonté questionner la notion de frontière et de soutenir la création. Gros plan sur cette édition, avec les coups de cœurs de quelques commissaires d’exposition.

Questions à Silke Baumann, directrice de Regionale. 

La Regionale, c’est quoi ?
18 institutions de réputation international, dans de trois pays (Suisse, France, Allemagne),  présentent des positions artistiques de la région trinationale. Les artistes, qu’ils soient de la région ou en lien avec elle, répondent à un appel à projets pour y participer.

Quels sont pour vous les enjeux de la manifestation ?
La Regionale encourage l’échange des institutions et des artistes, et permet également de découvrir ou de redécouvrir des œuvres. Les artistes peuvent se rencontrer, traverser des frontières physiquement, mais aussi questionner le principe même de frontière. Pour beaucoup, il s’agit d’une réalité quotidienne, puisqu’ils traversent ces frontière en quête d’inspiration et d’échanges.

Les projets transfrontaliers ont souvent une dimension politique : comment faire pour que l’art et l’artiste restent au centre ?
La première Regionale s’était construite en réaction aux changements de société, à la mobilité et la dissolution des frontières. Elle s’est ensuite développée indépendamment des enjeux de politique culturelle, en se focalisant sur les artistes régionaux, leurs questionnements et leurs thématiques artistiques.

Les coups de cœurs des commissaires

Katrin Niedermeier, reality island is elsewhere, 2019, Courtesy of the artist

Le choix de Boris Magrini / HeK Basel
> Katrin Niedermeier, reality island is elsewhere
Exposition Avatars, figures du double et paysages allégoriques
« Dans l’ensemble des dossiers qu’on a reçus pour la Regionale, j’ai vu un fil rouge : la notion d’avatar, que j’ai pris de façon large. Cela peut aussi être un alter ego ou un paysage qui reflète une émotion. Cette vidéo est un très beau film d’animation de Katrin Niedermeier, artiste d’origine allemande travaillant en Suisse, où une figure féminine déambule dans plusieurs paysages, tantôt réalistes, tantôt surréels. Il y a une mise en abyme entre les deux, des clins d’œil à des reality show, des jeux vidéo, à la création d’une identité à travers des personnages fictifs. Il y a toujours dans son travail un miroitement entre nos vies numériques et nos vies biologiques. C’est une œuvre très forte d’un point de vue esthétique, très Zeitgeist avec l’utilisation d’animations 3D mais aussi très picturale. »
> 29.12.2019
Haus der Elektronischen Künste | Basel

Femmes [Frauen], technique mixte sur toile / Mischtechnik auf Leinwand. ©Emilie Vialet

Le choix de Mathilde Sauzet et Karin Schlageter
> Aurélie de Heinzelin, Femmes & La Belle au bois dormant
Exposition Rouges crépuscules désirs solaires
« Le titre de l’exposition reprend une phrase de Rainer Maria Rilke dans une lettre à Lou Andreas-Salom, qui reflète la tension entre les sentiments sombres et l’énergie vitale. Cette dualité fait écho au travail complexe d’Aurélie, qui a étudié la littérature avant de se lancer dans l’art et se réfère beaucoup à l’expressionnisme allemand. Elle se place dans un rapport historique à la peinture, et c’est intéressant de revenir à cette immense généalogie. Par ailleurs, ce qu’on pourrait appeler « sentiment romantique » serait à réinterroger aujourd’hui ,alors qu’en Occident on se demande comment et pourquoi continuer. Il y a aussi quelque chose d’assez total, de grandiloquent : des corps, de la chair, quelque chose de truculent, du carnaval, comme un exutoire. »
> 22.12.2019
Une proposition d’Accélérateur de particules
La Chaufferie + Le Garage Coop | Strasbourg

Aline Veillat, Impression d'interdépendances

Le choix de Sandrine Wymann / Kunsthalle Mulhouse
> Aline Veillat, Impression d’interdépendances
Exposition Se suspendre aux lendemain
« J’ai souhaité présenter les artistes avec lesquelles nous travaillons en partenariat avec l’Université de Haute-Alsace et le Cresat (centre de recherche sur les économies, les sociétés, les arts et les techniques). L’artiste bâloise Aline Veillat a effectué une résidence de deux ans sur le sujet des inondations, dans Mulhouse et la région. Un risque minimisé et mal cerné par la populations. Elle fait un lien avec l’histoire économique de la ville, dont le volet textile s’est développé grâce à la présence abondante de l’eau. Elle présente notamment un tissu imprimé d’une composition réalisée à partir de motifs du Musée de l’impression sur étoffes, que vient perturber un programme informatique qui s’appuie sur les données du fleuve. L’idée est de donner ici une place à l’artiste-chercheur. »
> 05.01.2020
Kunsthalle Mulhouse

Légende : Hannah Kindler, Embodied Patterns, papier, encre / Papier, Tinte, 2019, photo / Foto : Courtesy of the Artist

Le choix de Heidi Brunnschweiler, Ted Davis & Jana Spät
> Hannah Kindler & Nika Timashkova, Soft Violence in Mimicry
Exposition I and The Machine
« Hannah Kindler et Nika Timashkova sont deux jeunes artistes de Freiburg et de Bâle, qui présentent ensemble une installation qui observe l’actualité de l’impression textile en Suisse et dans le sud du pays de Bade, à travers l’histoire du Glarner Tüechli [foulard traditionnel, ndlr]. Les dessins, photographies et assemblages sont arrangés autour d’une construction en forme de tente avec différents imprimés. L’identité culturelle, l’appropriation, l’imitation, l’originalité, les rapports de pouvoir et d’exploitation sont au cœur de leurs travaux de recherche ».
>05.01.2020
Galerie für Gegenwartskunst | E-WERK Freiburg

Éléonore Cheynet, Bonne arrivée, vidéo HD, 13 min, 2019

Le choix de Frédéric Darcy, Adrien Jutard & Sofia Lismont
>Éléonore Cheynet, Bonne arrivée
« Outre sa réalisation irréprochable, le sujet de cette vidéo est hautement actuel : un monde où l’appartenance détermine le destin d’un homme ou sa sécurité physique. Elle met en scène un entretien de RH, et peut aussi faire allusion aux entretiens que subissent les demandeurs d’asile. Des procédés qui visent à déterminer l’identité de l’individu et à le ranger dans une case. Bonne arrivée pose un regard décalé sur ce sujet, puisque le décor n’est pas celui auquel on peut s’attendre dans un tel contexte, et que l’identité de la personne qui nous fait face difficile à déterminer : qui est-elle et de quel côté de la table est-elle assise ? De même, le sens des questions nous échappe. Bonne arrivée nous engage, en tant que spectateur, à nous sentir dans une position vulnérable et ainsi à mettre en question la légitimité de ces procédés. »
> 05.01.20
Cité Danzas, 12 rue Théo Bachmann | Saint-Louis


Regionale 20
Jusqu’au 19.01.20
18 lieux d’exposition dans la région tri-rhénane


Propos recueillis par Sylvia Dubost