Stratiformes

Mémoire après mémoire, certains savoir-faire expriment une vibration commune pour l’humain et les mécanismes géologiques. À l’heure où le rythme des mutations nous incite à ralentir, ces quatre artisan.e.s et/ou artistes – entre techniques méditatives, traditions archaïques et réflexion fondamentale – nous prouvent que le temps manque (parfois), se partage (souvent) et s’expérimente (aussi).

Roxane Filser | La Bîhe

Série Les états chromatiques. À droite : Mélancolie espérante et à gauche : Lévitation enivrante, lin, teinture végétale, noyer (les encadrements étaient en cours de finissage lors de la prise de vue) © Alexis Delon / Preview

De ses études de sociologie et de science de l’éducation jusqu’à l’accompagnement de détenu.e.s, son travail artistique s’est toujours nourri du comportement humain et d’autres disciplines : « J’ai deux, voire trois activités. De toute façon, je suis incapable d’être mono-tâche ! Il me manque quelque chose à chaque fois. Le pourquoi, je le cherche encore… »

| Sa pratique |

Spécialisée en teinture végétale – un savoir-faire qu’elle a appris auprès de Michel Garcia, la référence française –, et qu’elle pratique à La Bîhe, son atelier d’ennoblissement textile. C’est à la lecture de Carl Gustav Jung qu’elle a récemment orienté son travail de la couleur vers le pliage, la sphéricité et les mandalas : « Je me suis obligée de travailler le rond, chacun représentant un état d’âme. » Son médium ? Du lin français labélisé Oeko-Tex provenant d’une manufacture vosgienne, longuement décatit au savon de Marseille puis mordancé afin de préparer la fixation de la couleur. Viennent ensuite l’étape du shibori, une technique japonaise de teinture à réserve par ligature sur tissu, et de la teinture avant d’aborder la phase du pliage. Des jeux de plis qui s’infléchissent en d’autres plis : « La genèse, c’est cette question du temps. Faire vite, ca ne m’intéresse pas. ».

| Son actu |

Salon international des Métiers d’Arts (SIMA) les 18, 19 et 20 novembre 2022


www.la-bihe.com


 

Jonathan Stab

Un inventaire expressif et organique, en grès émaillé inspiré par le végétal et la forêt, fait de vases, cruches et pichets aux subtiles palettes de gris verts. © Alexis Delon / Preview
Un inventaire expressif et organique, en grès émaillé inspiré par le végétal et la forêt, fait de vases, cruches et pichets aux subtiles palettes de gris verts. © Alexis Delon / Preview

Céramiste, il ne s’intéresse pas moins à la vigne, au bois et au jardinage. D’ailleurs, tout ce qui touche au médium terre l’intéresse, une obsession qui était déjà omniprésente lors de son diplôme à la Haute École des Arts du Rhin : « Quand je suis sorti de la HEAR, j’avais besoin de vivre pour démarrer. Je travaille depuis la moitié de mon temps à la taille des vignes, je jardine aussi beaucoup… Tout cela était d’ailleurs dans la thématique de mon diplôme, qui avait à voir avec les plantes, l’évolution de l’agronomie – une obsession – et des pratiques agricoles. »

| Sa pratique |

Elle demande un temps infini, car avoir la main ne s’improvise pas : « Le tour, c’est comme un instrument de musique, il y a de la création dans le geste, à la manière d’une chorégraphie. On rentre dans un état second. »

| Son actu |

Marché des Potiers de Kaysersberg, les 3 et 4 septembre 2022


Atelier partagé La Hutte, dans le parc d’activité Gruber à Koenigshoffen
06 31 50 60 76 (visites sur rendez-vous)
Instagram : @jonathan_stab


 

Camille Ancelin | Petit Pallas

Magnifiant l’usure naturelle du temps et proche de l’esthétique brutaliste, sa dernière collection, Ruines, se décline en bagues et anneaux de différentes formes et largeurs, certaines piquetées de billes d’or (à droite), certains attachés à d’autre et à laisser libres comme des breloques. « Les anneaux ne sont pas soudés, c’est un mélange entre l’or et l’argent lors du travail de la flamme qui modifie la texture du matériau. Même le chalumeau est révélé, pour faire apparaître les irrégularités, arriver à une pièce unique. »
Magnifiant l’usure naturelle du temps et proche de l’esthétique brutaliste, sa dernière collection, Ruines, se décline en bagues et anneaux de différentes formes et largeurs, certaines piquetées de billes d’or (à droite), certains attachés à d’autre et à laisser libres comme des breloques : « Les anneaux ne sont pas soudés, c’est un mélange entre l’or et l’argent lors du travail de la flamme qui modifie la texture du matériau. Même le chalumeau est révélé, pour faire apparaître les irrégularités, arriver à une pièce unique. » © Alexis Delon / Preview

« J’ai besoin de manipuler », une pratique viscérale pour cette jeune artisane bijoutière qui a obtenu un Master 2 en Design Produit et un DNSEP en Art-Objet à l’atelier bijou de la HEAR avant de créer sa propre marque et d’enseigner le design et les arts appliqués.

| Sa marque |

Petit Pallas a vu le jour en 2018, baptisée ainsi en référence à Pallas Athéna, la déesse des artisans, mais surtout à la femme rousse guerrière et androgyne du tableau de Gustav Klimt. La singularité de ses bijoux ? Un univers poétique, d’une beauté brute, parfois minérale, ne cherchant pas à cacher les traces des outils qui les sculptent : « J’en suis venue à interroger l’objet, et plus spécifiquement le bijou, sur sa fonction que je qualifierais “d’arme”, de protection, qui cadrerait les regards, qui serait un alter-ego poétique, c’est-à-dire une sorte de traduction, une interprétation des limites de soi. » Elle aime aussi les fêlures, venir dessiner avec la lame, traduire un projet de la 2D à la 3D, comme dans sa collection Floraison : « La fleur fleurit par le trait de ma scie, une certaine poésie se dégage de l’outil. »

| Son actu |

Salon Résonance[s] du 11 au 14 novembre 2022 au Parc Expo de Strasbourg


Atelier Cerbère
19a, rue de Molsheim à Strasbourg
www.petitpallas.fr (boutique en ligne, actualité et prise de rendez-vous)


 

Marine Chevanse

À gauche, série Les Rebus, celles qui se concentraient, broches en papier, zinc ou argent, 2022 et à droite, Les Rebus, bleu roi+canari, broche en papier et zinc, 2022
À gauche, série Les Rebus, celles qui se concentraient, broches en papier, zinc ou argent, 2022 et à droite, Les Rebus, bleu roi+canari, broche en papier et zinc, 2022 © Alexis Delon / Preview

Sa démarche artistique s’est acquise au fil de ses apprentissages en céramique à Antibes, en design d’objet et bijou contemporain à l’ENSA Limoges et lors de son DNSEP en bijou contemporain à la HEAR. Un travail délicat autour du geste, empreint de vibrations et de l’énergie spirituelle de la couleur et qu’elle traduit en bijoux, sculpture, peinture et écriture : « Je recherche comment saisir cette énergie, impalpable et imperceptible. »

| Sa pratique |

Tout commence par la capture vidéo de gestes glanés : « La base de mon travail c’est la vidéo, c’est une matière brute. Par exemple, comme dans les tensions entre l’acteur et le spectateur liés au milieu sportif. J’associe ensuite une couleur à leur âme, liée à chaque énergie. C’est un travail d’enquête très instinctif. Je fais beaucoup de zooms, que je retraduis ensuite à l’atelier. Ces allers et retours s’autonourrissent. » Dans ses trois médiums de prédilection (bijou – avec lequel elle a débuté –, peinture et sculpture), le changement d’échelle est parfois une nécessité. Ses bijoux contemporains se révèlent en triangulaire (« Un trio d’acteurs : le porteur, le créateur, le regardeur ») et sont constitués de papier : « J’ai commencé avec des Post-it que j’ai superposés feuille à feuille ». Le pouvoir cinétique du papier a fait le reste. Dans ses broches, le papier – la vibration – est cerclé de zinc, un matériau qu’elle recouvre ensuite d’une patine pour se rapprocher au plus près des cieux basques (elle vit et travaille entre Strasbourg et Hendaye).

| Son actu |

Salon Résonance[s] du 11 au 14 novembre 2022 avec le Collectif Brio


www.marinechevanse.com


Par Myriam Commot-Delon
Photos Alexis Delon / Preview