Le paradis perdu de Vincent Chevillon

À deux pas de la gare de Strasbourg, la galerie Stimultania accueille l’exposition Lisières de Vincent Chevillon jusqu’au 19 septembre. Artiste et enseignant à la Haute École des Arts du Rhin (HEAR), initialement formé aux Sciences de la Terre, il rapporte des années de voyages et de documentations d’histoire naturelle en questionnant notre rapport au monde et à l’environnement. Du voilier à la marche à pied, ses périples servent le cadre de son exposition : des photographies d’objets comme d’animaux empaillés, des squelettes de mammifères et des étagères bordéliques provenant de muséums belges et français. Une démarche à l’orée des questionnements climatiques. 

Vincent Chevillon Stimultania
Lamassu, 2021 © Vincent Chevillon

Pourquoi avoir intitulé cette exposition Lisières?

Cela vient d’un projet que j’ai engagé en 2011. J’avais un répertoire d’images que j’appelais des « lisières ». C’était des images prises à différents endroits lors de voyages et qui se situaient justement dans un entre deux, dans une zone qui était difficile à situer. Je faisais beaucoup de photographies de ruines, il y avait un entre deux entre plusieurs époques mais aussi entre le minéral et le végétal qui transforme les architectures et qui les donne à voir différemment. 

Est-ce une exposition réconciliant les notions de nature et de culture?

Le terme de réconciliation est beaucoup utilisé notamment dans le champ colonial. C’est un terme aussi utilisé pour qualifier l’oeuvre d’Édouard Glissant. En tout cas ce qui se joue ici, c’est un regard qui change sur un certain nombre d’objets qu’on appelait des objets de nature que ce soit des paysages ou des spécimens conservés dans les musées. Il y a pour moi un retournement car ces objets sont éminemment culturel. 

Vincent Chevillon, Lisières, Stimultania
Dead stars, 2021 © Vincent Chevillon

Votre exposition traduit-elle la domination de l’Homme sur la nature à travers ces objets d’histoire naturelle?

Domination, je ne sais pas, mais un rapport de contraintes, de perversion. Oui, je pense qu’il y a quelque chose évoquant un paradis perdu. Ça nous amène dans un enclos où se jouent un certain nombre de choses entre l’humain et d’autres vivants sauf que le seul humain présent, c’est nous en tant que spectateur. Les autres sont inaccessibles, d’où ce terme de « lisières ». On ne peut pas retourner dans ce paradis on n’en voit que des représentations. Tous ces objets sont des représentations, un animal mort ne ressemble évidemment pas à ça, il a subi l’impact des taxidermistes. 

Comment votre exposition s’inscrit-elle dans ce contexte de crise sanitaire?

Le projet a commencé bien avant la pandémie et continuera après la pandémie. Pour moi, il y a quelque chose d’un paradis perdu aujourd’hui, peut être d’un espace dévasté. Plutôt désolé, j’aime bien ce mot. La racine provient des termes isolée et île. Il y a quelque chose qui se regroupe là-dedans et, d’une certaine manière, ces images en sont un commentaire. Il y a une forme de prise de conscience de ce que pourrait être un monde sans humain. On a tous aperçu ça en se baladant dans les rues lors du confinement. On a vu ressurgir des choses qu’on n’était plus coutumier de voir. On trouvait ça magique alors qu’a priori, il s’agit juste d’autres vivants. 

En quoi l’oeuvre Dead Stars représentant des oiseaux empaillés illustre-elle la notion de paradis perdu? 

Le nom est un titre provisoire, beaucoup d’images que je réalise peuvent changer de statut. Je suis plutôt plasticien et l’oeuvre a été pensée comme un vitrail. On pourrait aussi y voir une forme de tapis. Je me suis beaucoup intéressé au paradis, c’est un terme qui vient de la Perse, qui est pré-chrétien et qui désigne un enclos de chasse. On va le retrouver aussi dans les jardins persans et dans les tapis persans avec une fontaine au centre. Dans le paradis chrétien, il est écrit que le paradis est un enclos à partir duquel du centre s’écoule quatre fleuves. Je parle notamment du paradis car parmi ses représentations occidentales, on a beaucoup de tableaux qui datent du XV et du XVIe siècle qui sont liés notamment à la découverte du nouveau monde et à l’importation d’un certain nombre de spécimens (des perruches, des perroquets…) comme dans la gravure Adam et Eve de Dürer mais aussi dans les peintures de Brueghel le Jeune ou chez Rubens. Aujourd’hui on a cette image du paradis qui n’est pas du tout celle du Moyen-Âge. On va y voir une espèce de faune extérieure, un idéal lié aux représentations des mondes en dehors de chez nous et des fantasmes qui les accompagnent. La plupart des objets qui sont ici ont été collectés dans des mondes qui ne sont pas les nôtres. Je me suis intéressé aux objets africains des colonies. j’ai grandi aux Antilles et à la Réunion donc je m’intéressais en particulier à l’influence que pouvait avoir ces objets dénaturés sur nos imaginaires et comment nos imaginaires allaient agir sur ces environnements et ces territoires. 


Lisières de Vincent Chevillon à la galerie Stimultania, 33 rue Kageneck à Strasbourg, jusqu’au 19 septembre.


Par Zina Kemouche