Vous travaillez souvent à l’étranger : il y a aussi eu l’Art farm en Chine, avec ses cochons tatoués, ou vos expositions en Iran, où vous êtes en train d’essayer de créer une fondation. Votre atelier est toujours à Gand, mais vous êtes très critique vis-à-vis de la Belgique.
Je suis libre et indépendant, je ne dépends pas de l’état belge, tout ce qui l’intéresse c’est de me prendre de l’argent. Mon projet d’un musée de sculptures en plein air près de Gand, un peu comme l’a fait Tony Cragg à Wuppertal, a été torpillé par des bureaucrates. Ma position me permet de dire des choses à propos de la Belgique, comme : « mieux vaut un pays de nuls que deux ! »
J’habite à plusieurs endroits : en Angleterre, dans le Sud de la France, et j’ai mon atelier en Belgique. Je suis attiré par des pays éloignés qui n’ont pas un grand intérêt pour l’art contemporain : en Chine, ils veulent tous devenir médecins ou avocats, personne ne rêve de devenir artiste ! Bien sûr, ça va changer progressivement. En Iran, il y a de jeunes gens qui me disaient acheter de l’art pour choquer leurs parents. C’est une bonne raison, c’est mieux que pour décorer. Là-bas, ils évoluent dans une direction incroyable ; en Europe, on fait le chemin inverse.
C’est tout de même étonnant qu’un homme qui expose des cochons et des mains de Fatma sur des tranches de jambon puisse travailler en Iran !
Je sais ! Je dois aimer chercher les problèmes ; ça m’excite. Mais je suis prêt à aller en prison : je sais tatouer, je pourrais toujours continuer à travailler de là-bas. Une journaliste m’a interrogé à ce sujet, elle voulait tourner les choses à sa façon, faire un article sensationnaliste, polémique. Elle disait : « On vous interdit de vous exprimer là-bas, vous disiez que si vous exposiez des cochons tatoués, vous auriez des problèmes. » Oui, mais quand j’ai exposé au Louvre, on me l’a aussi interdit !
Vous avez un grand respect et une passion pour les sculptures du XVIIe siècle, les livres anciens, les techniques anciennes… Au Louvre, vous disiez être en admiration devant ces grands maîtres, mais que vous considériez leurs œuvres comme des objets comme les autres. C’est valable aussi pour les vôtres ?
Complètement. On a réalisé un livre pour une exposition à la fondation Guggenheim à Venise : il faisait très chaud, je me disais que ce ne serait pas pratique à transporter pour les gens, que le livre serait abîmé, alors on a créé un sac. Pour moi c’est aussi important de penser à ça, je ne veux pas classifier, hiérarchiser les choses : il n’y a pas l’art avec un grand A, l’art avec un petit a et ce truc qui n’est pas de l’art mais un sac plastique. À 20 ans, je voulais faire de l’art, aujourd’hui je suis plus à l’aise avec ça, plus libre, je m’en fous un petit peu.
Si je vous dis que vous êtes un artiste du détournement, un pirate, ou sa version moderne, le hacker, cela vous convient-il ?
J’aime bien l’idée… Je pense quelquefois au virus, infiltré dans un corps et très efficace pour faire des dégâts. Il existe des artistes qui critiquent la société mais ne sont pas dedans, du coup ils sont de plus en plus marginalisés et leur critique n’est pas efficace. Moi je suis à l’intérieur… je peux vraiment abîmer le système.
Sur quoi travaillez-vous actuellement ?
Je suis en train d’arrêter les Spud guns, mais la technique va peut-être resurgir ailleurs. Je voudrais peindre mais je ne trouve jamais le bon moment. L’architecture m’intéresse : beaucoup de mégalomanie ! Il faudrait presque tout reprendre à zéro, c’est très exigeant, contraignant et je ne veux pas faire de concessions.
Depuis Cloaca, une idée me travaille : créer une religion. Je pourrais en imaginer l’architecture, les vêtements, le cérémonial… je voudrais que les gens puissent y croire.
Et si ce n’est pas le cas ?
Tant pis, on leur dira que c’est de l’art !