Dans l’intimité
de Yan Pei-Ming

Le Musée Unterlinden propose une rétrospective inédite de l’œuvre de Yan Pei-Ming, à la fois monumentale mais avant tout intimiste, jusqu’au 11 octobre. Intitulée Au nom du père, cette exposition revient sur 40 ans de carrière du peintre chinois, mêlant la thématique du sacré à celle de la filiation. Un parcours linéaire qui s’achève avec Pandémie, une toile créée spécialement pour le musée colmarien qui fait écho au célèbre Rétable d’Issenheim.

Yan Pei-Ming a bâti une partie de sa notoriété en réalisant de gigantesques portraits de sommités : Michael Jackson, Barack Obama, Dominique de Villepin, Bruce Lee, la famille princière de Monaco et même l’escroc de la finance, Bernard Madoff. Mais c’est une facette beaucoup plus intime de l’artiste chinois que le Musée Unterlinden propose au travers de sa rétrospective Au nom du père jusqu’au 11 octobre à Colmar.
Soit une soixantaine de tableaux, dont une douzaine de dessins et d’aquarelles de jeunesse du temps où Ming était encore étudiant à Shanghai. C’était juste avant qu’il ne s’installe en France, d’abord chez un oncle à Paris, puis à Dijon, où il possède toujours son atelier. Ses esquisses adolescentes ont ensuite trouvé leur prolongement dans des œuvres monumentales.

Yan Pei-Ming Musée Unterlinden
Une soixantaine de tableaux compose la monumentale rétrospective de Yan Pei-Ming au Musée Unterlinden. © Dorian Rollin

« Pour moi, cette exposition permet de répondre à cette interrogation : qui est Yan Pei-Ming ? Quelle est son identité ? Jusqu’à présent, les différentes expositions qui ont été montrées s’intéressaient à des parties très précises ou des moments très ponctuels de son parcours, souligne Frédérique Goerig-Hergott, conservatrice en chef du Musée Unterlinden et commissaire de l’exposition. J’étais curieuse de montrer la spécificité de Ming à travers ses origines et son histoire personnelle ».
L’un des premiers modèles de l’apprenti-peintre, tout juste diplômé de l’École nationale des Beaux-Arts de Dijon après avoir quitté son pays natal, fut Mao Zedung, assorti de calligraphie et d’un soupçon de propagande. En réalité, la sienne comme il aime à le souligner. Autres figures tutélaires présentées en très grand à Colmar, celle de ses parents. Après Mao, le père de la patrie, c’est au père biologique que Ming consacre, avec frénésie, une quarantaine de toiles. La série s’intitule L’homme le plus… père de l’artiste où son regard d’enfant va tenter de percer le mystère et la complexité du patriarche à différentes étapes de sa vie. Du plus perspicace au plus doux, en passant par le plus faible et le plus respectable, Yan Pei-Ming interroge sa relation à son aîné, avec une extrême pudeur et une certaine sensibilité. La mère de l’artiste trouve aussi sa place dans la nouvelle aile du musée colmarien, anciennement dévolue aux bains municipaux. Elle est souvent incarnée par le Bouddha, qu’elle vénérait bien que le Parti communiste eut interdit cette religion. Cette enfilade de monochromes dévoilent finalement un portrait de cette dame, daté de 2018, comme un hommage vibrant après sa disparition.
Arrivent ensuite les autoportraits dont Nom d’un chien ! Un jour parfait (2012), imposant triptyque et première représentation en pied de l’artiste, mais surtout point de départ de la connexion avec Frédérique Goerig-Hergott. C’était en 2012, dans la chapelle de l’oratoire du Musée des Beaux-Arts de Nantes où l’œuvre fut exposée pour la première fois. Neuf ans plus tard, Yan Pei-Ming se dévoile sans concession à Unterlinden. Avec une profondeur juste monumentale.

La pandémie en point de mire

La rétrospective consacrée par Unterlinden à Yan Pei-Ming n’élude pas totalement l’actualité dont se nourrit habituellement le peintre. Ainsi, le musée colmarien a eu la bonne idée de lui commander Pandémie, une toile réalisée à l’automne dernier et qui renvoie à notre modeste présent ainsi qu’au Rétable d’Issenheim.
« Il s’est représenté sous forme d’autoportrait en combinaison blanche avec un masque, devant un immense cimetière extérieur à une ville contemporaine que l’on devine par ses HLM, avec une illustration du Vatican sur la gauche, décrit Frédérique Goerig-Hergott. La scène se passe la nuit et, derrière lui, d’autres hommes s’affairent à enterrer des cadavres ».
Cet instantané sombre, de quatre mètres de hauteur sur plus de cinq mètres de long, n’a cessé d’évoluer pour finalement devenir « un arrêt sur image sur une époque », d’après l’artiste. Il ne cache pas avoir été marqué par cette période. « Peut-être que sans la pandémie, j’aurais voyagé davantage. Depuis un an et demi, je vois très peu de monde. Est-ce que ça me dérange ? Non. Est-ce que ça me fait chier ? Oui », poursuit-il. Dans son atelier, Yan-Pei Ming peint aujourd’hui des animaux sauvages comme des tigres. « Il n’y a pas d’autres animaux qui peuvent s’opposer à l’homme. Un jour, tout va disparaître. Depuis l’invention de l’électricité, l’homme s’est lancé dans la destruction totale de notre planète. Peut-être que la pandémie est une punition envers l’homme d’aujourd’hui ? »

Yan Pei-Ming Pandémie
Le peintre a réalisé Pandémie à l'automne dernier qui renvoie à notre modeste présent. © Dorian Rollin

Au nom du père, rétrospective de Yan Pei-Ming jusqu’au 11 octobre au Musée Unterlinden à Colmar.


Par Fabrice Voné
Photos Dorian Rollin