La marginalité de la prostituée vient moins de son expérience de vie que du regard que la société lui porte. Le film parle aussi des droits bafoués des prostituées. N’ont-elles le droit d’exister qu’en marge de la société ?
Elles n’ont pas de fiches de paye, ni la Sécu. Si elles se font emmerder ou violer dans le cadre de leur travail, les flics ne se déplacent pas. Quand les gens parlent de métier dangereux, c’est cette précarité, cette clandestinité qui créent la dangerosité. Elles sont obligées de se cacher par cette loi qui poursuit le client, elles n’iront pas en prison, mais le client oui, donc pour pouvoir exercer leur métier il faut se cacher. C’est comme les travailleurs du BTP qui ne sont pas déclarés ou les travailleurs clandestins qui n’ont aucun droit. Il y a de la dangerosité, des accidents du travail, parce que c’est précaire. Bien sûr on peut tomber sur le cinglé de service. Quand on voit le nombre de féminicides, en tant que putes ou en tant que non-putes, ça rééquilibre les chiffres sur ce qu’on risque. La prostituée qui exerce en indépendante a les cartes en mains, c’est elle qui donne les règles, qui dit : « Ça va se passer là, ça va être tant, ça je ne le fais pas, ça oui. » Elle mène le jeu au sein du déroulé de la passe. C’est elle qui va maîtriser.
Dans le film, on découvre une relation parfois de rivalité entre les prostituées mais surtout de grande solidarité.
Il y a une relation de rivalité seulement lorsque c’est au sein du bordel. Dans le bordel, les nanas sont soumises à faire du chiffre, à avoir le plus de clients possibles. Elles ne sont plus indépendantes, elles sont en concurrence les unes avec les autres. Elles dépendent de la bonne volonté du taulier. En dehors, il y a de la solidarité. Et en ce qui concerne les réseaux de prostitution, ce n’est pas de la rivalité, c’est simplement de la contestation. Dans ces réseaux, les prix sont cassés, c’est de l’esclavagisme. 10 euros la passe, qu’est-ce que ça veut dire ? Forcément si des filles le font à 10 euros, ça porte préjudice à toutes les autres. C’est invivable. C’est l’ »ubérisation » de la prostitution.
Au début du film, le fils de Marie a une attitude assez égoïste. Son comportement découle aussi d’un très grand manque de confiance en lui. Puis, il y a un point de bascule lorsqu’il rend visite à sa mère dans le bordel.
C’est un ado en crise, comme tous les ados. On voit bien qu’il n’y a pas trop de père. Lorsqu’il va voir sa mère dans le bordel, soudainement il se rend compte des sacrifices qu’elle fait pour lui. Elle le met presque en position d’être un ersatz de mac. La voir dans ce bordel va être un déclencheur. On voit bien qu’il a un grand manque de confiance en lui. Marie est un pitbull, elle ne va rien lâcher. Son fils va s’ouvrir et s’épanouir dès qu’il va être reconnu et mis en valeur.
Marie est un bulldozer, mais est-ce que ce n’est pas aussi le fait d’être prostituée qui l’oblige à se battre tout le temps ?
Elle a un métier pas facile et je pense qu’il y a une dureté qui en découle. Elle n’est pas née avec une cuillère en argent dans la bouche, elle a dû se battre. J’aime bien qu’on ne sache trop rien de son passé, je trouve ça assez beau. Heureusement qu’elle a ses copines du STRASS, sinon on voit une grande solitude. Elle est dure, dure avec elle-même. Il n’y a jamais de douceur, ni de je t’aime. On sent que ce n’est pas son endroit, ça n’a pas dû être le sien en tant que petite fille non plus.
Pourquoi Cécile Ducrocq a-t-elle choisi Strasbourg comme ville de tournage ?
Elle cherchait une ville frontalière. Strasbourg, c’est aussi la ville qui avait été choisie pour tourner le court-métrage La Contre-allée.
Dans son livre Baise-moi, Virginie Despentes dit d’une prostituée dont elle conte l’histoire : « Quand elle va travailler, elle a toujours la même tenue, comme si elle avait réfléchi à quel costume endosser. » C’est le cas de Marie et de sa veste dorée ?
Marie porte sa veste dorée comme une armure et une espèce de réflecteur qui attire la lumière de jour comme de nuit. Je trouve ça assez beau. C’est une belle de jour, une belle de nuit. Sa veste dorée attire le client et, en même temps, c’est son armure d’or.
Une femme du monde, de Cécile Ducrocq, sortie le 8 décembre 2021.
Propos recueillis le 7 décembre dans le cadre de l’avant-première du film à l’UGC Ciné Cité de Strasbourg.
Par Emma Schneider