Bouli Lanners interprète Mario, ce père quitté qui se retrouve à affronter cette nouvelle solitude et, en même temps, à gérer ses deux filles adolescentes, le tout dans ce territoire, Forbach, miné par le chômage. On lit dans le dossier de presse qu’il a souhaité vous rencontrer à Forbach, ce qui traduit un engagement fort !
Je ne m’y attendais pas… Lorsqu’il me l’a proposé, il m’a dit immédiatement : “Paris me gonfle”. C’était intéressant pour moi parce que j’allais tourner à Forbach, en région, avec beaucoup de professionnels et également, des gens de ma famille, des amis d’enfance (qui jouent dans le film), le tout dans la maison de mon père. Ce n’est pas évident de mélanger tous ces mondes. Les gens de mon équipe, je les recrute pour leurs talents techniques mais aussi pour leurs qualités humaines. Je les embarque au fin fond de la Lorraine dans un endroit un peu costaud socialement. C’est important que, comédiens et techniciens, soient vraiment des gens humainement capables de vivre ça. Ça crée quelque chose de chouette… Bouli était vraiment capable de ça. Il a une forme de simplicité dans les rapports humains, une vraie générosité. Un humanisme qui allait nourrir le personnage et transpirer sur le tournage. Le récit est une modulation de choses intérieures, de bouleversements intimes… il y’a pas de péripéties incroyables. Donc son engagement, son attitude, sa personnalité, ont été très importants.
Il y a beaucoup de parallèles dans ce film : Mario, issu de l’immigration italienne, travaille à la préfecture et rencontre les immigrés d’aujourd’hui, il y a la question du groupe et de l’intime, de la société et de la ville…
Même si je fais des films intimistes, ils se sont toujours inscrits dans un territoire, dans une géographie mais aussi dans une société. Il y a quelque chose de vrai dans cet effet poupée russe. J’ai vécu la découverte de mon homosexualité à Forbach, au moment où mes parents se séparaient et dans une ville qui était en train de traverser une crise sociale avec la fermeture des mines. À l’intérieur de moi, tout s’est mélangé : je ne sais plus très bien si, quand j’étais ado, mon sentiment d’angoisse absolu venait de la découverte de mon homosexualité, de la situation de mes parents où de l’ambiance d’une ville extrêmement oppressante. Et en fait, je pense que c’est les trois. Ces choses-là s’alimentent les unes les autres. Ça m’intéresse de travailler comme ça : élargir et focaliser.
Cela me fait penser à Didier Eribon, sociologue et philosophe auteur de Retour à Reims. Il parle très bien de l’influence du terreau familial et du territoire géographique sur nos identités.
C’est un livre très important. Même si je ne suis pas issue de la classe ouvrière de Forbach, j’ai grandi avec des ouvriers autour de moi, dans une certaine mentalité, avec une mère communiste. Quand je suis montée à Paris, j’ai ressenti une violence sociale. J’ai mis un certain temps à me débarrasser de mes complexes provinciaux. J’étais regardée comme une prolétaire. Il y a un certain nombre de codes que j’ai dû apprendre pour survivre. Il y a ce sentiment de honte mais il s’agit de le dépasser pour savoir d’où l’on vient et en faire une force. Quand j’ai décidé de travailler sur Forbach, mon premier court métrage, c’était aussi une manière pour moi de transformer une faiblesse en force. C’est quelque chose de très présent dans mon travail…
Par Cécile Becker
Photo Alexis Delon / Preview