Dans De son vivant, vous mettez en scène un homme dont le diagnostic d’un cancer le confronte à sa mort imminente. Qu’est-ce qui vous a conduit vers ce sujet ?
Emmanuelle Bercot : Je voulais écrire un mélo sur une mère qui perd son fils. Dans l’ordre inverse de la logique. J’ai pensé au cancer car c’est quelque chose qui touche beaucoup de gens, j’y ai été confronté dans mon entourage. Un homme de quarante ans, si il ne meurt pas d’un accident, fatalement ça ne peut quasiment être que du cancer. Ensuite, j’ai fait la rencontre du Dr Gabriel Sara qui joue dans le film et qui a apporté une dimension supplémentaire à ce projet à travers son travail auprès de ses patients. Le film n’était plus simplement l’histoire d’une mère et de son fils mais racontait également comment un médecin les accompagne pour traverser l’inacceptable. On sait tous qu’on va mourir un jour, mais là Benjamin sait quand il va mourir, il sait que sa maladie est irréversible. Comment peut-on faire face à ça ? On se pose parfois la question de : « S’il me reste six mois à vivre, qu’est-ce que j’en ferais ? ». Je n’avais pas envie de raconter l’histoire d’un mec qui soudainement va faire des choses dont il a toujours rêvé, partir en voyage… J’avais envie que ce soit une expérience métaphysique et que ce soit son expérience intime, son chemin vers la fin.
Quel travail avez-vous entrepris pour aborder ce sujet fort sans basculer dans le documentaire ?
E.B. : D’une façon très simple, le film est archi-documenté parce que toutes les scènes de consultation sont véridiques, elles sont basées sur des choses que j’ai observées. En revanche, j’ai tout de suite décidé de ne pas faire un film réaliste dans le sens où on ne voit pas d’actes médicaux. Benoît maigrit au fur et à mesure du film mais je ne voulais jamais que ce soit compliqué de le regarder. J’évacue toute forme documentaire à commencer par l’hôpital dans lequel se déroule le film. Il n’est pas réaliste, c’est un hôpital un peu inventé, rêvé on va dire. Je ne montre rien de la maladie qui soit choquant ou repoussant comme ça l’est dans la vraie vie. Le genre du mélo a permis de transcender complètement l’aspect documentaire de ce type d’histoire. Ce film, on peut le voir comme un conte, parce que c’est un peu ce qu’on rêverait de voir. Si l’hôpital pouvait exister sous cette forme ce serait merveilleux.
Comment aborde-t-on ce genre de rôle ?
B.M. : Il n’y a pas de films qui arrivent par hasard. Parfois, il y a des films qui arrivent dans votre vie à un moment où vous y trouvez des résonances personnelles. Lorsqu’Emmanuelle m’a proposé ce film je me suis dit : « Il va m’arriver une merde. C’est prémonitoire, je vais choper un cancer. » Première partie de tournage, j’ai perdu une vingtaine de kilos et je commençais à avoir des douleurs dans le dos. Je suis allé voir les symptômes du cancer du pancréas sur internet et j’étais persuadé qu’il allait m’arriver des bricoles. J’étais dans un sentiment introspectif hyper compliqué, je n’étais pas bien, fermé aux autres. C’est bouleversant une histoire pareille, c’est frontal, vous ne pouvez pas vous débiner. Puis, avec la pandémie, le tournage s’est arrêté. On s’est retrouvé six mois plus tard, j’ai recommencé un régime et je me suis aperçu qu’il ne m’était rien arrivé, je n’avais pas attrapé de maladie. Du coup, j’ai abordé la deuxième partie du tournage dans la bonne humeur. C’était très joyeux et on s’est bien marré. C’est comme ça qu’il faut faire les choses, trouver du plaisir dans des scènes où on a l’impression que c’est douloureux. Ça n’enlève rien à la force des choses. Vous pouvez vivre les choses dans la douleur d’une manière très introspective et puis vous pouvez le faire aussi d’une autre façon. Quand j’ai lu pour la première fois le scénario, je me suis écroulé, c’était la première fois que j’étais aussi ému à la lecture d’un scénario. J’étais très en colère aussi. Quand on a 40 ans et qu’on vous annonce que vous avez un cancer incurable, que c’est un cancer injuste, on ne peut être qu’en colère. Ce sont des rôles qu’on est obligés de tirer vers soi pour pouvoir les comprendre. Savoir comment on réagirait face à ce genre de choses, on ne peut pas aller le chercher en écoutant des malades, ça ne sert à rien de faire ce genre de travail, c’est trop personnel. Il faut le vivre en se mettant dans cette position. Ça aide à comprendre et à jouer.
Après La Tête Haute en 2015, vous réunissez à nouveau Benoît Magimel et Catherine Deneuve à l’écran. C’est un duo que vous aviez envie de retrouver ?
E. B. : Ce film, je l’ai écrit pour eux. J’avais déjà retrouvé Benoît dans La Fille de Brest, le film que j’avais réalisé après La Tête Haute et j’avais un désir très fort de les retrouver.
Benoît Magimel : C’est bien de travailler avec des gens qu’on connaît, c’est plus simple surtout quand on a une relation aussi intime. Ce film on l’a tourné en deux périodes, la première partie était pour moi un peu trop introspective, un peu trop douloureuse. Quand on a tourné la deuxième période, ça s’est fait davantage dans la lumière, dans la joie. On est devenu presque des copains avec Gabriel Sara.