En quoi cette affaire vous a-t-elle interpellé au point d’en faire un film ?
J’ai lu le livre La Syndicaliste dans lequel la journaliste Caroline Michel-Aguirre mène une enquête sur l’histoire de Maureen Kearney et je suis resté sidéré en découvrant ce qu’elle a vécu, la manière dont elle a été traité et le courage qu’il lui a fallu pour vivre après ça. Je me suis dit que le cinéma était le meilleur vecteur pour faire connaître cette histoire injustement méconnue.
Comment expliquez-vous que cette affaire ait été si peu médiatisée ?
J’ai une théorie qui a l’air d’être partagée. Cette histoire a commencé sous Nicolas Sarkozy et s’est poursuivie sous François Hollande. La gauche comme la droite ont été impliquées et ce secret d’État ne pouvait servir personne. Je pense qu’en s’en apercevant, les journalistes se sont dit qu’il allait être compliqué de faire mousser cette affaire. Cependant, il n’y a pas non plus eu d’omerta, des journaux en ont parlé, L’Obs notamment sous la plume de Caroline, qui a écrit le livre plus tard, mais ça n’a pas touché le public. Chaque soir, après les avant-premières du film, je demande à main levée qui connaissait l’affaire Maureen Kearney et je suis extrêmement frappé qu’ils soient si peu nombreux. Ma grande satisfaction est de me dire qu’à la fin de la séance, il y en aura 200 de plus qui sauront qui elle est et ce qu’elle a vécu.
Quel travail avez-vous entrepris pour rendre compte de cette affaire ?
Le livre était extrêmement précis et permettait de synthétiser les faits pour raconter une histoire. On a rencontré Maureen, son mari, sa fille, afin d’essayer de trouver ce qui n’était pas dans le livre, c’est-à-dire comment elle a vécu les choses, ses réactions, les scènes de famille… Les faits étaient encore très frais, j’ai essayé d’être précautionneux en privilégiant les échanges par mail afin de ne pas être trop intrusif. Les questions par écrit permettaient de lui laisser le temps de répondre, de réfléchir à ce qu’elle voulait me dire. Ensuite, soit je retranscrivais ses propos, soit ils stimulaient nos imaginaires et nous faisaient rebondir sur autre chose. C’était une sorte de ping-pong sur la part psychologique et affective du personnage. En ce qui concerne les rouages de l’affaire, 80% de ce que l’on voit dans le film s’est vraiment passé ainsi dans la réalité.
Vous dressez le portrait d’une femme combattante mais fragile. Le combat de Maureen Kearney n’était pas pro ou anti-nucléaire, mais social.
Le nucléaire l’intéressait, elle était attachée à cette entreprise et l’indépendance énergétique française était pour elle un symbole qui avait son importance. Mais ce qu’elle voulait défendre avant tout, c’était les 55 000 emplois en danger. Au lendemain de Fukushima, le nucléaire était totalement dévalorisé, les gouvernements voulaient s’en débarrasser comme d’un vieux chewing-gum sous la chaussure. Aujourd’hui, on a l’impression qu’il faut revenir au nucléaire. Le sujet est intéressant, c’est la toile de fond du film.
Lorsqu’elle lance l’alerte, la crédibilité de Maureen est remise en cause du fait de son sexe et de sa place sociale.
« Tu n’y connaîs rien » lui dit-on. Elle n’a pas fait les grandes écoles comme ces gens-là. Ils l’acceptaient parce qu’ils avaient besoin d’elle, qu’elle maintenait un dialogue social et qu’elle savait autant parler aux employés qu’elle représentait, qu’aux ministres et aux autorités. Elle les combattait mais toujours à la régulière et le jour où elle a gratté trop fort, où elle a franchi la ligne jaune dans ce pour quoi elle luttait, on lui a fait comprendre qu’elle était allée trop loin. Elle a subi tout ça, parce qu’elle était une femme et parce qu’elle n’était pas de leur milieu.