Dans son livre La vie en sourdine, David Lodge constate que « la surdité est comique, alors que la cécité est tragique ».
Depuis le théâtre antique, on s’est toujours moqué des gens qui entendaient mal. Qu’est-ce qui fait qu’on se moque d’un malentendant mais pas d’un aveugle ? On ne va pas se moquer d’un handicap profond, la malentendance c’est beaucoup plus léger. C’est ce qu’on appelle une singularité plus qu’un gros handicap. On se moque d’Antoine parce qu’il finit toujours par entendre ce qu’on lui dit, ce n’est pas complètement irréversible, on a ainsi une petite marge de manœuvre pour se foutre de sa gueule. Et pourtant c’est très pénible pour les personnes qui en sont atteintes. Très compliqué, déstabilisant, fragilisant, mais c’est comme ça, on s’est toujours moqué de quelqu’un qui entend mal et je trouve ça plutôt pas mal. Pas de se moquer évidemment mais de rire avec ces sujets. Il faut rire de beaucoup de choses, je dirais presque de tout, je n’aurais pas imaginé faire un film, une espèce de chronique où je prend en chantage affectif les spectateurs en leur disant : « Vous avez vu ? Le pauvre ! ». C’est un peu comme dans la scène au conseil de classe durant laquelle Antoine annonce difficilement à ses collègues qu’il est malentendant et au final ils s’en foutent tous. La proviseure lui dit : « Je préfère te savoir malentendant que dépressif. » Et on passe à autre chose.
Il avait honte d’en parler. La malentendance a quand même une connotation liée à la vieillesse.
C’est pour ça qu’il y a de la gêne je suppose. Et pourtant tellement de jeunes sont atteints de malentendance. Quand je fais les tournées en province, beaucoup de gens après la projection font leur coming-out dans la salle. Peut-être qu’ils se disent : « Si lui l’assume, il faut y aller. » Mais il y a toujours cette gène, qui va jusqu’à la honte parfois et j’espère que mon film va permettre à des gens de sortir un peu du bois, de s’assumer. Le film parle de ce chemin qu’on doit faire avant d’aller vers l’autre. Antoine finalement fait ce travail avec lui-même pour accepter de ne plus être dans le déni et c’est à ce moment qu’il peut aller vers l’autre, vers sa voisine notamment. Lorsqu’on entend moins bien, on se replie d’abord sur soi-même et après, quand on assume sans avoir honte, on peut aller vers les autres. Je n’ai pas écrit ce film pour qu’il serve à quelque chose mais s’il contribue à ça, c’est bien. Je ne suis pas le porte-parole des sourds, ça a bouleversé ma vie, mais je n’ai jamais trouvé la situation angoissante ou anxiogène.
Dans votre film, Antoine est professeur. On imagine que le choix d’un métier d’écoute, d’apprentissage et de transmission n’est pas un hasard ?
Une profession de transmission oui. Dans le film, Berléand dit à Antoine : « Si tu prenais la peine de les écouter, tu serais surpris. » Je voulais aborder encore une fois cette communication parfois rompue, notamment dans l’Education nationale, où il est compliqué d’enseigner, compliqué de dialoguer, de communiquer avec tous ces mômes qui sont toute la journée sur les réseaux. Il est très difficile de leur enseigner des périodes de notre histoire ou d’obtenir une minute de silence pour un prof qui a été décapité. C’est fou que ce soit difficile, c’est fou d’en être arrivé là. Après je n’ai pas fait un film là-dessus, j’ai réalisé une comédie, un truc léger. Je ne voulais pas non plus une comédie qui ne fasse que rire, qui prenne à la gorge, ni que ce ne soit que dramatique, mais au fond de moi je suis très inquiet.