Dans votre film, la mère est au cœur de tous les enjeux. La vôtre a vu ce film ?
Oui. Fort heureusement, ma mère ne ressemble pas du tout au personnage d’Hélène Vincent dans le film. Je me retranche derrière Sébastien Thiéry, c’est sa pièce, son idée, c’est son cerveau malade qui a produit cette pièce (rires). Je sais que lorsque sa mère est venue voir la pièce, il lui a dit que c’était Jean-Michel Ribes, le metteur en scène, qui avait eu cette idée. Donc tout le monde se repasse la patate chaude.
Au-delà des situations cocasses qui se succèdent, le film aborde un thème plus profond, à savoir le poids du secret au sein de la famille. C’est un thème qui vous touche intimement ?
Oui, les liens familiaux me passionnent, c’est un lien obligatoire et c’est une forme d’injonction à l’amour, à l’attachement. Que fait-on du lien familial quand il n’y a pas de connexion ? Pas de connexion intellectuelle, ou sentimentale, lorsqu’on a pas de sensibilité commune ? Ça m’intéresse beaucoup. Jean-Louis s’est détaché de sa famille, il ne voit quasiment plus sa mère, il ne sait pas pourquoi. Il va le savoir, puisqu’il y aura tout de même trois révélations dans le film qui seront assez spectaculaires. Puis il va être obligé de recréer un lien avec elle, et ce sont ses révélations qui vont débloquer sa situation. La famille c’est passionnant pour cela, même quand il y a beaucoup d’amour, c’est un sujet génial.
Au début du film, lorsque Jean-Louis dit qu’il n’est pas allé voir sa mère depuis des années, puis quand on voit cette petite femme toute seule dans son appartement, on a de l’empathie pour elle. On se dit que Jean-Louis est vraiment un fils affreux…
C’était l’idée. Dans la mise en scène de Ribes, le personnage de la mère était jouée par Isabelle Sadoyan, une actrice au physique un peu dur, un peu trapu. La comédie venait plus du fait qu’on se demandait comment les personnages allaient parvenir à obtenir une photo de cette femme qui ne semblait pas commode. J’ai voulu déplacer un peu tout ça, et je voulais plutôt qu’on soit en empathie avec la mère, qu’on la plaigne, et qu’on se dise : « Mais qu’est-ce qu’ils vont faire à cette pauvre petite dame ? ». Afin que plus tard, au moment des révélations on soit totalement déstabilisés, et que notre point d’empathie soit décalé d’un coup.
Effectivement à la fin du film, on se dit qu’elle a bien caché son jeu.
C’est souvent ainsi avec les personnes âgées. Comme l’âge les fragilise ,on a tendance à sous-estimer qui ils ont pu être ou ce qu’ils ont pu faire dans le passé.
Quelles ont été les difficultés pour adapter cette pièce de théâtre en film ? Quelle a été votre approche ?
Cela n’a pas été très difficile puisqu’on retrouve 70% de la pièce dans le film. J’ai allégé les dialogues. Au théâtre, on peut pousser la situation au maximum dans le dialogue, au cinéma ça devient très vite bavard ou un peu verbeux. J’en ai intégré d’autres aussi, puis j’ai ajouté tout le prologue sur la vie de Jean-Louis, au bureau, chez lui, au Bois de Boulogne (rires). Tout ce qui explique où il est dans sa vie et à quel niveau il bloque. J’ai aussi intégré des changements de lieu pour qu’on ne soit pas tout le temps dans l’appartement de Jean-Louis, les rêves, les flashbacks, toutes ces petites choses qui, pour moi, manquaient dans le récit. Mais l’ADN de la pièce est là.
Cette première réalisation vous a-t-elle donné envie de réitérer l’expérience ?
Oui j’ai adoré la réalisation. Pour la première fois, j’ai eu l’impression de faire du cinéma au sens propre, de fabriquer du cinéma, et de ne pas être seulement un élément de la fabrication du film. J’ai adoré le fait d’avoir une vision globale et d’avoir à ma disposition des gens talentueux qui ont été là pour concrétiser une idée. C’est magique.
Si vous pouviez emmener quelque chose de Strasbourg chez vous, ce serait quoi ?
Un moule à kougelhopf (rires).
L’Origine du monde, de Laurent Lafitte, sortie le 15 septembre 2021
Par Emma Schneider