Strasbourg, capitale
du fantastique

À partir de ce soir et jusqu’au 19 septembre, le Festival Européen du Film Fantastique de Strasbourg revient pour une 14e édition synonyme d’inattendu et de découvertes. Spécialiste du cinéma de genre et initiateur d’événements d’une créativité sans limites, l’incontournable festival a acquis une renommée internationale à travers une compétition cinématographique exigeante et pointue. Projections de nouvelles productions, courts-métrages, films d’animation, rétrospectives, masterclass, cinéma en plein air ou encore section consacrée aux jeux vidéos et à la VR, la 14e édition du FEFFS plongera la ville dans une ambiance où l’étrange et l’irrationnel seront maîtres mots. Rencontre avec Daniel Cohen, directeur artistique du festival et cinéphile confirmé.

FEFFFS Last Nicht in Soho
Last Night in Soho d'Edgar Wright fait office de film d'ouverture du Festival.

Comment définiriez-vous le genre fantastique ?
Certaines personnes ont un a priori sur ce genre et ne prendront pas le temps de lire la programmation car elles pensent qu’elle n’est composée que de films d’horreurs très calibrés du type Vendredi 13 ou Freddy. Pourtant le FEFFS a une acceptation plutôt large du fantastique. Nous présentons des films dans lesquels on trouve des éléments surnaturels comme des films de fantômes, de zombies ou de vampires, mais aussi de la science-fiction, du cinéma horrifique et du cinéma de genre. Pour aller plus loin, notre section de longs-métrages d’animation accueille des films qui ne sont pas stricto sensu de genre, simplement parce que le trait de l’animation a déjà quelque chose qui nous détache un peu de la réalité. Notre section de courts-métrages est également assez large dans l’acceptation, tandis que la compétition Crossovers présente des thrillers. Toutes ces déclinaisons de thèmes fantastiques et horrifiques nous permettent de toucher un public différent. Évidemment, ce sont toujours des films qui explorent la face sombre de l’âme humaine, on ne projette pas de drames sociaux. Mais dans le cinéma fantastique, il faut accepter que quelque chose de non-rationnel se passe. Il y a des gens qui sont très attachés au cinéma vérité, qui n’aiment pas être illusionnés. Personnellement je pense que depuis les origines du 7e art, la question de l’illusion est au centre du cinéma. 

L’édition 2020 a été écourtée avec le confinement, quel est votre sentiment à l’approche de cette nouvelle édition ?
On est impatients de voir du monde dans les salles de cinéma. Ça fait du bien car c’était une période anxiogène pour tout le monde. On ne fait pas la Zombie Walk cette année, la réalité a dépassé la fiction, on est des zombies depuis deux ans. La pandémie, la contamination, plus besoin de la singer, elle est là. C’était une période compliquée, avec beaucoup d’incertitudes notamment dans le domaine de la culture. Programmer des films, mettre en valeur des œuvres artistiques, cinématographiques, c’est quelque chose qu’on peut faire à nouveau pleinement cette année.

Sur la sélection de film présentés, quels sont vos favoris ?
Je n’ai pas le droit de trop en dire, je pourrais influencer le jury (rires). Je suis ravi du film d’ouverture et du film de clôture. Ils sont hors compétition, je peux donc en parler librement. On va ouvrir le festival avec Last Night in Soho d’Edgar Wright. C’est un réalisateur que j’aime beaucoup, il a notamment réalisé Shaun of the Dead qui est un grand coup de cœur cinéphilique, une magnifique comédie horrifique, mais aussi Hot Fuzz, Scott Pilgrim, Baby Driver  On n’est jamais déçu par Edgar Wright. Avec Last Night in Soho, il nous plonge dans le Londres des années 60. C’est le Swinging London, c’est un vrai film fantastique, horrifique, très bien réalisé et qui prend des tournures assez sombres. Une réussite. On est très heureux de le projeter en cérémonie d’ouverture et ce sera d’ailleurs une première française. En ce qui concerne le film de clôture, il s’agira pour la première fois d’un film d’animation. Un film d’animation japonais de Mamoru Hosoda qui a notamment réalisé Le Garçon et la bête et Summer Wars. Belle est un magnifique film qui a été présenté au festival de Cannes cette année. Il nous permet de clore le festival en couleurs, car c’est un film flamboyant et spectaculaire. 

FEFFS Inexorable
Benoit Poelvoorde est à l'affiche d'Inextricable, thriller de Fabrice Du Welz. @ Kris Dewitte

Dans les films en compétition, j’ai un petit faible pour The Innocents, un film scandinave dans lequel des enfants ont des pouvoirs ultra sensoriels. J’aime beaucoup aussi Inexorable de Fabrice Du Welz, un réalisateur qu’on suit et qu’on apprécie au festival. Il s’agit d’un thriller plein de suspens avec Benoit Poelvoorde et Mélanie Doutey dans lequel le jeu d’acteurs est très bien mené. Je recommande également My Heart Can’t Beat Unless You Tell It To. Jonathan Cuartas y revisite le mythe du vampire d’une manière assez réaliste puisque c’est l’histoire d’une fratrie qui assure la survie de l’un des siens en l’abreuvant de sang humain, J’ai adoré After Blue de Bertrand Mandico, un western cosmique complètement lunaire avec une vision du futur au féminin et des partis pris esthétiques très expérimentaux et très pop. Je recommande également Lamb, un film islandais qui a été projeté dans la sélection Un Certain Regard à Cannes. C’est un long-métrage magnifiquement filmé dans des paysages somptueux, avec Noomi Rapace notamment. Il raconte l’histoire d’un couple d’éleveurs qui adopte un agneau et l’élève comme s’il s’agissait de leur propre enfant. Dans la section Crossovers, je conseille Oranges Sanguines de Jean-Christophe Meurisse. Un film déjanté avec des acteurs et actrices assez connus comme Blanche Gardin ou Denis Podalydès. De manière imprévisible, il débute avec un contest de danse totalement kitsch animé par Patrice Laffont et puis ça part dans une histoire de serial killer kidnappeur. C’est inattendu, libre et composé de moments d’impro très bien maitrisés.

Depuis quelques années, le jeu vidéo et la réalité virtuelle occupent une place importante  dans la programmation du FEFFS. Quelles surprises sont programmées cette année ?
Nous présentons en compétition douze nouvelles productions de jeux vidéos internationaux. Ils sont testables au Shadock jusqu’au 30 octobre. Il y a également une programmation de films en VR qui se regardent avec des casques à 360 degrés et il ne faut pas louper l’installation Inextricable, du duo Crash Server. Ce sont des gens qui font de la musique procédurale, de la musique qu’ils codent en live jusqu’à ce qu’elle crashe. En l’occurence, le serveur fonctionne avec un algorithme et ce qui est projeté à l’écran et le son changent en fonction des personnes présentes dans l’espace. On voit les informations circuler à travers des cables grâce aux lumières produites, c’est assez hypnotisant. Il sera également possible de participer à des tables rondes, des ateliers de pédagogie numérique. Sur place, on peut trouver du rétro gaming, des vieux jeux sur le thème du flow cette année. Le flow questionne le rapport au corps dans le jeu vidéo. Quand on joue, il y a une gestuelle, il y a également la question de la transe, le côté hypnotique de certains jeux auxquels on joue de manière très impulsive. Ça questionne aussi les influences que certains jeux des années 90 ont pu avoir, les influences musicales , la jungle, la street culture. D’ailleurs, des graffeurs ont réalisé des œuvres pour qu’on baigne dans tout ça. 

Le FEFFS proposera également de nombreux temps forts comme la projection des Goonies en plein air place du Château en hommage à Richard Donner.
C’est un film qu’on avait dans les tuyaux puisqu’on a toujours choisi de projeter sur la place de la Cathédrale des films cultes des années 80-90. Jurassic Park, Retour vers le futur, Indiana Jones, Ghostbuster, Les Gremlins… Suite à la mort de Richard Donner, on a voulu lui rendre hommage. C’est un film que j’ai beaucoup regardé en étant ado, il y a une identification puisque les protagonistes sont adolescents, c’est un magnifique film d’aventure avec des éléments fantastiques, une histoire de trésor, de passages secrets, de pièges, de gadgets … Un beau film grand public.

Un petit mot sur votre invité d’honneur ?
Alex De La Iglesia est pour moi un des grands réalisateurs contemporains. Il a fait du cinéma de genre sous des formes aussi vastes que le fantastique, l’horrifique, le thriller, la comédie. C’est un réalisateur très talentueux qui est assez trublion dans le sens où il appuie là où ça fait mal. Critique de la société des médias, de la consommation de masse, du passé historique de l’Espagne sous Franco, tout y passe et il fait ça avec beaucoup d’intelligence, d’ironie et d’humour. C’est franc, cru, c’est un cinéma de sensation, un cinéma qui n’est pas timide. On présentera une rétrospective de six de ses films et il fera une masterclass au Cinéma Star St-Exupéry le 12 septembre à 14h.

Si vous deviez donner un titre de film ou de série à l’édition du FEFFS de cette année, lequel choisiriez-vous ?
Les Revenants (rires).


Festival Européen du Film Fantastique de Strasbourg, du 10 au 19 septembre aux cinémas Star, Vox et UGC Ciné Cité. Toute la programmation est à découvrir ici.


Par Emma Schneider