Cinéma : les tournages sous Covid-19

Stoppée nette à la mi-mars, la production cinématographique française dans le Grand Est reprend doucement son activité sous contraintes sanitaires : équipe réduite, port du masque obligatoire – entre les prises pour les comédiennes et comédiens – pas de tentes sur les tournages, réécriture des mises en scènes pour respecter au mieux la distanciation sociale ; ce qui n’est pas sans générer des frais supplémentaires. Quelles sont les conséquences sur les tournages ?

Sur le tournage d'En quête de vérité (3eme Œil Story), à la Médiathèque André Malraux, à Strasbourg comme ailleurs, c'est masques obligatoires. Photo : Médiathèques de Strasbourg
Sur le tournage d'En quête de vérité (3eme Œil Story), à la Médiathèque André Malraux, à Strasbourg comme ailleurs, c'est masques obligatoires. Photo : Médiathèques de Strasbourg

« Les tournages dans le Bas-Rhin ont repris le 23 juin, d’abord avec Une affaire française, un 6×52 minutes pour TF1. Sinon, il y a pas mal de projets qui sont relativement conséquents. Il y a les épisodes 2 et 3 de César Wagner et En quête de vérité, des séries diffusées toutes les deux sur France 2. Il y a donc 150 jours de tournage prévus dans le département », indique Glenn Handley, directeur du Pôle Cinéma et Image animée de l’Agence Culturelle Grand Est. En raison de la pandémie, un certain nombre de mesures sanitaires ont été annoncées par une fiche interministérielle (rédigée en mai) qui conditionne la reprise des tournages. Particulièrement stricte, elle prévoit notamment l’interdiction des barnums, « les barnums étant ces grandes tentes, dont on a besoin pour faire les cantines, pour le maquillage et autres », rappelle Glenn Handley. Une interdiction qui peut s’avérer problématique pour les productions, Jean-Paul Guyon, directeur de production d’Une affaire française, explique : « Ça peut sembler très anecdotique mais sur un tournage, chaque minute coûte très cher. Si on met un quart d’heure supplémentaire pour aller manger plus loin, c’est catastrophique. Soit on doit faire des heures supplémentaires qui coûtent extrêmement cher, soit on ne filme pas tout. La régie a très clairement une implication artistique. Quand un tournage est gêné au niveau de la logistique, c’est un manque à gagner artistique. Tout est lié. »

Le principal problème est ainsi l’application généralisée des mesures qui ne collent pas forcément aux réalités des différents lieux de tournage. La Préfecture de Paris a été la première à donner un cadre sanitaire pour la reprise des tournages, les autres régions ont dans un premier temps repris le modèle. « La Préfecture s’est référée à ce qu’il se passait à Paris et nous a donné les mêmes restrictions. Ce qui était aberrant. Les restrictions ne devraient pas être les mêmes dans le Bas-Rhin qu’à Paris, ville piétonne et très dense. Le Bureau d’accueil des tournages et la Région nous ont vraiment soutenu. Ils sont devenus notre voix auprès de la Préfecture pour assouplir les mesures et pour que l’on puisse tourner rapidement », précise Benoît Baverel, régisseur général sur le tournage d’Une affaire française.

Impact de la césure sur les tournages et réorganisation

Le confinement a imposé l’interruption des tournages et la mise en place d’une logistique complexe qui ne s’est pas faite du jour au lendemain. « Au niveau de la production, il y a eu la mise en place du chômage partiel pour les techniciens et comédiens. C’est du travail de bureau, mais ça a pris du temps, car ça n’a pas été simple », explique Jean-Paul Guyon. Au-delà de la sphère administrative, il a ensuite fallu s’attaquer aux éléments techniques. À commencer par les décors, démontés et rapatriés, tout comme le matériel. Dans certains cas, les décors initiaux ont été définitivement perdus, il a alors été nécessaire d’en trouver de nouveaux. Il en va de même pour les comédiennes et comédiens qui n’ont pas nécessairement été disponibles pour les reprises de tournages, recommence alors le travail de casting, mais cette fois-ci dans des délais très brefs.

En d’autres termes, une deuxième préparation du tournage a dû être mise en œuvre, ainsi qu’un nouveau plan de travail. Comme l’explique le directeur de production d’Une affaire française : « L’un des gros décors que l’on avait était une vraie gendarmerie. À cause de la crise sanitaire, une partie de l’effectif d’une gendarmerie principale a dû revenir pour faire respecter les distances de sécurité. Il a fallu refaire des repérages et du travail de décoration. Deux actrices n’étaient plus disponibles… »

La seconde conséquence de la césure, c’est l’impact financier colossal sur les productions : charges à débourser sur le chômage partiel – même si l’État rembourse le salaire brut –, heures supplémentaires pour la seconde préparation et coût du matériel lié au « tournage-covid » (masques, gel, équipement pour le maquillage désormais individualisé, etc.) Jean-Paul Guyon rappelle que les intermittents sont fragilisés : « On a une vision à très court terme de notre avenir professionnel. Quand ça s’arrête net, c’est très dur parce qu’on se retrouve démunis. Ce chômage partiel a permis de garder un lien avec l’équipe, de la faire tenir, sans trop d’impact sur leurs finances. De fait, l’équipe reste quasiment la même sur cette deuxième partie de tournage. »
Le CNC (Centre national du Cinéma et de l’Image animée) a également mis en place un fonds d’indemnisation de 50 millions d’euros qui s’adresse aux productions cinématographiques majoritairement françaises. Certaines assurances couvriront par ailleurs une partie des pertes, cette césure étant reconnue comme un sinistre.

Sur le tournage d'En quête de vérité (3eme Œil Story), à la Médiathèque André Malraux, à Strasbourg.© Médiathèques de Strasbourg
Sur le tournage d'En quête de vérité (3eme Œil Story), à la Médiathèque André Malraux, à Strasbourg. Photo : Médiathèques de Strasbourg

Référents-covid et infirmière : la prévention d’abord

La grande nouveauté sur les tournages, c’est la création du poste de référent covid qui intègre l’équipe de régie. Régisseu·rs·euses ou adjoint·e·s, ils assurent le respect des règles sanitaires et des protocoles. « Notre rôle, c’est de faire de la prévention sur le plateau et de fournir l’équipe en matériel covid. On gère l’approvisionnement et le port du masque, à changer toutes les quatre heures, ainsi que le gel hydroalcoolique. On s’occupe également de la signalétique pour indiquer les gestes barrières et le sens de circulation obligatoire, c’est-à-dire de l’affichage sur les décors, dans les lieux d’HMC (habillage, maquillage, coiffure), les cantines. On fournit les blouses, lunettes de protection et visières, qui sont obligatoires notamment pour les maquilleuses et les coiffeuses en contact direct avec les comédiens », explique Laura Mathon, référente covid sur le plateau d’Une affaire française.

Les costumes sont directement enfilés par les comédiennes et comédiens qui sont les seuls à pouvoir toucher à leurs propres vêtements. Sur le tournage d'En quête de vérité (3eme Œil Story), à la Médiathèque André Malraux, à Strasbourg. Photo : Médiathèques de Strasbourg
Les costumes sont directement enfilés par les comédiennes et comédiens qui sont les seuls à pouvoir toucher à leurs propres vêtements. Sur le tournage d'En quête de vérité (3eme Œil Story), à la Médiathèque André Malraux, à Strasbourg. Photo : Médiathèques de Strasbourg

Par tournage, il est préconisé d’avoir deux référents covid. Ils sont formés au préalable par un représentant de la Médecine du travail, ainsi qu’un médecin habitué aux plateaux de tournage. Cette formation est proposée par la Région et ne dure qu’une journée. « Ce qui est bien, c’est que les gens qui nous forment ont une très bonne connaissance des plateaux de tournage et des réflexes. Ils combinent les missions sanitaires avec les possibilités d’un plateau. C’est très riche, très complet et à la portée de tous », indique Laura. Outre les référents covid, la présence d’un·e infirmier·ère est désormais obligatoire. Elle est en charge de prendre la température des différents intervenant·e·s sur le plateau. Cette prise de température se fait sur la base du volontariat, car les productions n’ont pas le droit d’y contraindre leurs employés. Si en revanche, l’un·e des employé·e·s a de la fièvre, le protocole impose une mise en quarantaine, le temps de vérifier qu’il ne s’agit pas de la Covid-19. Si ce devait être le cas, le médecin ferait intervenir une brigade en charge de retracer tous les contacts qu’a eu la personne malade avec d’autres technicien·ne·s. Une possibilité redoutée par les productions…

Un tournage en pandémie, ça ressemble à quoi ?

La reprise des tournages a impliqué de réduire les équipes techniques à 50 personnes au maximum. « L’idée, c’est d’avoir le moins de gens possible sur le plateau. Tous les stagiaires ont été supprimés. La seconde équipe implique tout de même pas mal de gens sur le plateau : cadreur, assistant, preneur de son et machiniste supplémentaires. C’est cinq ou six personnes qui ont dû être enlevées. Ce sont aussi des contraintes de mise en scène, on a dû rajouter une journée de tournage puisqu’on a moins de caméra. Le réalisateur a dû modifier son découpage », raconte Jean-Paul Guyon. La limitation s’applique également au nombre de figurant·e·s. Sur le plateau, le port du masque est obligatoire pour tous les technicien·ne·s et l’interdiction de la climatisation est de mise, malgré la chaleur causée par les projecteurs (on leur souhaite bien du courage en pleine canicule !). Les acteurs ne portent évidemment pas de masque lors des prises mais doivent passer un test PCR au préalable, surtout lorsque les scènes comportent des moments d’intimité et de contact physique. Les tests sont aussi à disposition des équipes techniques, les productions étant en collaboration étroite avec divers laboratoires.

En dehors de l’aspect technique, l’artistique est également impacté. Si les lignes de scénario ne sont pas forcément modifiées, la mise en scène peut être adaptée. « Dans l’enquête [du film] on avait beaucoup de figuration et beaucoup de séquences de journalistes très intrusifs. Il a fallu garder cet esprit, mais le réalisateur a retravaillé sa mise en scène pour qu’on puisse faire passer l’idée sans montrer les bousculades et les scènes de contacts importants. Il y en a quelques-unes, mais on raconte ça différemment, avec plus de hors-champ, de jeu sur le son. La place de la caméra a été revue. Avant elle était davantage à l’extérieur de la meute de journaliste. Maintenant, la démarche de Christophe [Lamotte, réalisateur d’Une affaire française, ndlr], c’est de se mettre davantage dedans, de façon à être en vision subjective de la meute et de moins voir les gens en contact », explique le directeur de production.

L’aspect délicat de la situation sanitaire se traduit également par la perte d’un temps précieux. Notamment en ce qui concerne l’habillage : « Les habilleurs donnent leurs costumes aux comédiens. Ils doivent eux-mêmes s’habiller et les ajuster sur les directives des habilleurs. C’est beaucoup plus lent de dire à quelqu’un de remettre son col de telle ou telle manière plutôt que de le faire. »

Toutes ces mesures sanitaires mises en place risquent de laisser quelques traces sur les plateaux de tournage explique Laura Mathon : « Il y aura surement des vestiges de tout ça, c’est-à-dire peut-être plus d’hygiène de la part de tout le monde, mais de manière autonome cette fois-ci. »
Sur les tournages, tout est ainsi déployé pour protéger et rassurer les équipes. Il semble aujourd’hui plus risqué d’aller faire ses courses que de faire du cinéma…


Par Ludivine Weiss