Il fut un temps, au XVIIe-XVIIIe, où l’on appelait ce type de journal, un « journal d’affliction », on connaît notamment celui de Mary Shelley après la disparition de Percy Shelley. Là, nous ne sommes pas tant dans l’affliction, mais plus dans une approche documentaire, distanciée, qui relate des faits.
Je suis intriguée par cette référence à Mary Shelley. Étrangement, depuis la disparition d’Alain, je n’arrive plus à lire de fictions, mais plutôt des journaux intimes. Ces textes, je ne les ai pas retouchés. Je ne sais pas s’ils sont si distanciés. Je n’arrive pas à me rendre compte. J’ai l’impression au contraire de m’être mise complètement à nu. En fait, rien n’a été réfléchi.
Je ne parlais pas forcément de retenue.
Je pense qu’il y a une pudeur. Elle est complètement intégrée en moi – c’est ainsi que je m’exprime de moi à moi-même.
C’est justement de cette forme de pudeur que naît une véritable émotion. Laquelle renvoie à la tristesse de chacun – ça concerne la relation qu’on entretient tous à Alain, mais aussi à nos proches, ceux qu’on a vu disparaître.
Dans tout ce que je fais, que ce soit en chansons ou dans ce livre comme dans celui que je prépare, un peu différent, je travaille sur le matériau qui est ma vie parce que j’ai le sentiment que je ne peux parler que de ça et que c’est là où je peux me montrer honnête. Je sais de quoi je parle, et je me sais traversée par des choses – tout me traverse. J’aime rendre compte de cela. Ce qui m’importe c’est la trace. En cela, dans cet ouvrage, je me sens au plus proche de la vérité.
Vous avez souhaité dans un deuxième temps parler des instants de reconstruction avec Poppée [fille d’Alain Bashung et de Chloé Mons, ndlr]. Évoquer ce temps d’après, et cette présence d’Alain dont vous guettez les manifestations ici ou là dans un échange direct.
Oui, c’est ce que je disais à l’instant. On se pose la question de savoir ce que laisse l’autre, une fois parti. Là, il est vrai qu’on peut toucher au surnaturel. Sont-ce là de vraies traces ou des traits de l’esprit ? Je n’ai pas la réponse, mais ce qui est sûr c’est qu’on traverse des moments très étranges quand on perd quelqu’un.
Et ça n’est qu’à l’issue de tous ces récits que vous relatez votre rencontre avec Alain dans le cadre d’un dialogue très touchant. De placer cette rencontre en fin de volume, est-ce pour montrer que rien ne s’achève ?
De finir le livre sur la disparition, ça ne me semblait pas vrai par rapport à ce que je ressentais. De placer la rencontre à la fin, ça me permettait d’éviter tout pathos et surtout ça me paraissait très beau. Comme un souvenir, un commencement ou quelque chose qui ne finira jamais…
— LET GO, Chloé Mons, paru aux éditions Médiapop
Rencontre le 22 mai à la Fnac de Nancy
Livre disponible à la Vitrine Zut
Par Emmanuel Abela
Photo Renaud Monfourny