Chloé Mons : journal d'une disparition

Avec Let Go paru aux éditions Médiapop, Chloé Mons, épouse d’Alain Bashung, nous livre un superbe journal de deuil après la disparition du chanteur. Interview.

Chloé Mons épouse d'Alain Bashung © Renaud Monfourny
Chloé Mons. Photo : Renaud Monfourny

Un mot sur le titre : ce n’est pas Let’s go (« allons-y »), mais bien Let go, un choix très fort.
Oui, c’est bien « laisser partir ». Je vois dans ce titre une notion d’abandon par rapport à ce qui arrive, une forme d’acceptation face à des événements qui se révèlent parfois violents. Pour moi, ce titre évoque plein de choses mais d’une façon simple.

Ce titre semble s’adresser à votre lecteur, qui est invité lui aussi à « laisser partir ».
Oui, c’est vrai. Ce titre parle au lecteur, il exprime la fonction même du livre. La forme correspond au fond. Je vois ce livre comme un objet transitionnel à un moment de ma vie. Ça a été très important de le faire, je l’ai vécu comme une nécessité. Quand j’entends les lecteurs en parler, ils le voient effectivement comme cela aussi. Le livre leur fait du bien : Laisser partir, c’est dans l’ordre des choses. La disparition d’un être aimé est une situation banale – chacun la vit à un moment ou à un autre –, mais elle est vécue de manière extraordinaire, au sens premier du mot. Ce voyage, on le fait tous. Alors oui, il y a une invitation à le vivre bien. Personnellement, je l’ai vécu d’une manière extrêmement « terrienne » et je pense que c’est ce qui m’a sauvée.

Rappelez-nous les conditions de cette rédaction qui porte principalement sur la dernière semaine de l’homme que vous aimez. Des notes ont-elles été posées au préalable sous la forme d’un journal ?
Oui, c’est exactement cela. Je tiens mon journal depuis toujours – j’ai des caisses de journaux de chaque époque. [rires] Durant cette période, je l’ai tenu aussi. Très vite, après la mort et l’enterrement d’Alain, j’ai ressenti le besoin que ça existe, de donner à ces textes une réalité. Que ça ne parte pas comme ça dans mes souvenirs. Ça rejoint la condition d’artiste : ce besoin de fabriquer un objet. Et de le montrer au monde.

On suppose que vous avez ressenti le besoin de les écrire, et même de les écrire assez vite ?
Très vite, j’ai rassemblé ces notes, puis je les ai organisées de manière à les rendre lisibles. De même pour les photos, je les avais prises tout au long de ces moments. J’ai estimé qu’elles fonctionneraient bien avec le texte.

« On se pose la question de savoir
ce que laisse l’autre, une fois parti. »

Il fut un temps, au XVIIe-XVIIIe, où l’on appelait ce type de journal, un « journal d’affliction », on connaît notamment celui de Mary Shelley après la disparition de Percy Shelley. Là, nous ne sommes pas tant dans l’affliction, mais plus dans une approche documentaire, distanciée, qui relate des faits.
Je suis intriguée par cette référence à Mary Shelley. Étrangement, depuis la disparition d’Alain, je n’arrive plus à lire de fictions, mais plutôt des journaux intimes. Ces textes, je ne les ai pas retouchés. Je ne sais pas s’ils sont si distanciés. Je n’arrive pas à me rendre compte. J’ai l’impression au contraire de m’être mise complètement à nu. En fait, rien n’a été réfléchi.

Je ne parlais pas forcément de retenue.
Je pense qu’il y a une pudeur. Elle est complètement intégrée en moi – c’est ainsi que je m’exprime de moi à moi-même.

C’est justement de cette forme de pudeur que naît une véritable émotion. Laquelle renvoie à la tristesse de chacun – ça concerne la relation qu’on entretient tous à Alain, mais aussi à nos proches, ceux qu’on a vu disparaître.
Dans tout ce que je fais, que ce soit en chansons ou dans ce livre comme dans celui que je prépare, un peu différent, je travaille sur le matériau qui est ma vie parce que j’ai le sentiment que je ne peux parler que de ça et que c’est là où je peux me montrer honnête. Je sais de quoi je parle, et je me sais traversée par des choses – tout me traverse. J’aime rendre compte de cela. Ce qui m’importe c’est la trace. En cela, dans cet ouvrage, je me sens au plus proche de la vérité.

Vous avez souhaité dans un deuxième temps parler des instants de reconstruction avec Poppée [fille d’Alain Bashung et de Chloé Mons, ndlr]. Évoquer ce temps d’après, et cette présence d’Alain dont vous guettez les manifestations ici ou là dans un échange direct.
Oui, c’est ce que je disais à l’instant. On se pose la question de savoir ce que laisse l’autre, une fois parti. Là, il est vrai qu’on peut toucher au surnaturel. Sont-ce là de vraies traces ou des traits de l’esprit ? Je n’ai pas la réponse, mais ce qui est sûr c’est qu’on traverse des moments très étranges quand on perd quelqu’un.

Et ça n’est qu’à l’issue de tous ces récits que vous relatez votre rencontre avec Alain dans le cadre d’un dialogue très touchant. De placer cette rencontre en fin de volume, est-ce pour montrer que rien ne s’achève ?
De finir le livre sur la disparition, ça ne me semblait pas vrai par rapport à ce que je ressentais. De placer la rencontre à la fin, ça me permettait d’éviter tout pathos et surtout ça me paraissait très beau. Comme un souvenir, un commencement ou quelque chose qui ne finira jamais…


— LET GO, Chloé Mons, paru aux éditions Médiapop
Rencontre le 22 mai à la Fnac de Nancy
Livre disponible à la Vitrine Zut


Par Emmanuel Abela
Photo Renaud Monfourny