Édouard Louis : le regard ferme

Sans doute les gens talentueux sont-ils paradoxaux… Sans doute le paradoxe et les incompréhensions, doutes et nuances qu’il génère deviennent-ils plus aisément littérature. Sans doute Édouard Louis est-il de ces êtres qui cumulent les paradoxes et ne cessent de les explorer pour se comprendre lui-même et, ainsi, décrire avec plus d’acuité le monde qui l’entoure. Oui, En finir avec Eddy Bellegueule, Histoire de la violence et son dernier et tonitruant Qui a tué mon père sont des déclarations de guerre : contre les politiques, contre les normes, contre la domination masculine. Pourtant, face à Édouard Louis, on est d’abord saisi par son regard, doux mais décidé. On ne peut s’empêcher de discerner derrière son écriture ciselée, souvent dure, une certaine nostalgie de l’enfance. « C’est vrai, les gens disent que la violence est le fil conducteur de mes trois livres, mais c’est aussi l’enfance : ça m’intéresse de connaître les raisons de ce regard nostalgique que je porte sur une enfance détestée et détruite. Écrire sur l’enfance, c’est une manière de la vivre a posteriori, de rattraper ce que je n’ai pas vécu. Et puis, c’est parler directement de ces gens qui ont été affectés par la violence sociale. J’ai grandi entouré de corps détruits par cette violence-là : la pression, l’exclusion et la persécution sociales. » La politique, une question de vie ou de mort, comme l’analysait déjà Pierre Bourdieu dont il est l’héritier direct. La littérature, un moyen de dénoncer, de ne pas détourner le regard des réalités sociales. « La bourgeoisie met en place des mécanismes pour ne pas être confrontée à ce qui est en train de se passer, c’est comme – Geoffroy de Lagasnerie [philosophe, sociologue et ami d’Édouard Louis, ndlr] le raconte très bien – détourner le regard d’un SDF. J’ai voulu explorer une forme de littérature de confrontation. » Son texte, Qui a tué mon père, issu d’une invitation à l’écriture formulée par Stanislas Nordey, directeur du TNS, sera créé au théâtre de la Colline et présenté à Strasbourg au mois de mai. Une autre manière de regarder cette écriture acérée, adaptée au « théâtre de l’adresse » de Stanislas Nordey qu’admire Édouard Louis.


Par Cécile Becker
Photo Pascal Bastien